Il ne s'agit pas ici de dire pour qui vont voter les Français expatriés, même si Sarkozy a de fortes chances de l'emporter derrière l'abstention, mais plutôt de donner un aperçu général de la manière dont peut être vécu une élection présidentielle par un Français vivant à l'étranger et de donner quelques précision sur les modalités du vote.
S'agissant du premier point, il n'est évidemment pas question pour moi de me faire le porte-parole des Français de l’étranger. Je me contenterai donc d'envisager celui-ci en essayant de dégager ce qui peut intéresser les expatriés dans ce genre de scrutin. Quant au second point il comprendra évidemment quelques aspects techniques mais qui peuvent, au moins partiellement, expliquer le comportement électoral des Français de l’étranger.
Mais avant ça, dressons une rapide photographie des Français de l'étranger, ce terme étant d'ailleurs préférable à expatriés dans la mesure où tous les Français résidant à l'étranger ne sont pas expatriés.
Leur nombre doit être à peu près autant inconnu que celui des étrangers résidant en France. Car les Français résident à l'étranger ne sont connus des autorités que quand ils se font connaitre et enregistrer auprès de leur consulat. Or comme cet enregistrement n'est pas obligatoire, il y a beaucoup de Français, mais combien?, qui passent sous les radars. Parmi ceux-là, on peut compter sans doute essentiellement ceux qui ne savent pas, qui n'ont pas préparé leur expatriation, ceux qui ne comptent pas s'installer durablement hors de France et estiment donc qu'ils n'auront sans doute pas besoin des services consulaires, ceux qui pensent qu'en s'inscrivant sur les listes consulaires, ils passeront sous le statut fiscal de non-résident qui n'est pas toujours avantageux, malgré les légendes persistantes et ainsi que je le décrivais dans un précédent billet, ceux qui sont gênés par la distance qui les sépare d'un consulat et qui peuvent se mesurer en milliers de kilomètres, ceux qui sont rébarbatifs à tout fichage, etc. Tous ceux-là ne pourront voter qu'en France, là où ils étaient inscrits avant leur départ. Il y a aussi vraisemblablement un certain nombre de ceux qui ne sont pas toujours expatriés, à savoir les binationaux.
Les autres, ceux qui sont répertoriés donc constituent une masse d'environ 1,5 millions d'individus qui se répartissent de par le monde de façon très inégale, d'environ 150000 en Suisse à une petite vingtaine au Vatican. Avec la Suisse, les Etats-Unis (env. 115000) et le Canada (env. 72000), ce sont évidemment les pays de l'ancienne Europe des 15, voire des 9, qui en reçoivent le plus. Ainsi qu'Israël (env. 60000). Ici, en Russie ce sont environ 5500 Français qui sont enregistrés auprès des autorités consulaires.
Bien évidemment les motifs de l'expatriation sont très divers. De l'exilé fiscal à celui qui dans le cadre de son entreprise française vient passer deux ans dans un pays étranger, en passant par le retraité qui s'établit, le jeune adulte qui cherche à mieux gagner sa vie qu'en France avec son diplôme fraichement obtenu, l'étudiant, celui ou celle qui rejoint son conjoint étranger, celui qui veut voir du pays, il y a un monde. Et ces différents motifs sont peut-être explicatifs, en partie, de l'intérêt que chacun peut porter aux élections présidentielles.
Cet intérêt peut en effet peut-être se mesurer, en partie au moins, au rapport qu'on a et qu'on va avoir avec la France. Par exemple, l'expatrié durable s'attachera sans doute davantage aux aspects fiscaux, scolaires ou administratifs que celui qui sait que dans un an il est de retour en France et qui aura davantage les mêmes préoccupations matérielles qu'un Français résident en France puisque son avenir proche est là-bas. Et bien évidemment, à partir de là, les motifs des choix peuvent être également différents.
Au-delà de ces aspects matériels, qui doivent sans doute constituer une part importante du choix fait dans l'isoloir, rentre en ligne de compte la vision, l'attachement, l'amour qu'on peut porter à son pays et qui, nonobstant les aspects matériels, peut être déterminant quant à la participation au vote et quant au choix de celui qu'on souhaite voir accéder à la présidence. Car l'expatriation ne signifie pas forcément une perte d'intérêt pour son pays. J'aurais tendance à croire que pour certains, au moins, c'est même l'inverse. Car du quotidien subi, des querelles idéologiques diverses dans lesquelles on baigne en permanence, on passe à un état de distanciation qui peut aller jusqu'à la rupture complète, si on le souhaite, mais qui en général amène à un travail davantage actif de recherche et d'analyse de l'information. Et finalement ce travail est payant, du moins me semble-t-il. Car il amène à davantage réfléchir et à comprendre certains enjeux, ce qui n'est pas toujours possible à moins de faire un gros effort sur soi-même quand l'information se transforme en prêt-à-penser. Et puis, autre avantage, en vivant à l'étranger, surtout si ce n'est pas la première fois et si on a été expatrié dans d'autres pays, on dispose d'éléments de comparaison. Si on a vécu ou si on vit sur d'autres continents par exemple, et même dans d'autres pays européens, on relativise très vite quand on entend les pleureurs et pleureuses de service parler de souffrance du travailleur ou d'acquis sociaux en voie d'être bradés. On peut faire certes gober ça à quelqu'un qui ne quitte jamais la France ou uniquement pour aller prendre le soleil au bord de la piscine d'un hôtel à Marrakech, mais difficilement à un expatrié.
Mais il est vrai que beaucoup d'expatriés ou plus largement Français de l'étranger semblent rester en retrait de ce qui se passe en Français. En témoigne le fort taux d'abstention qui caractérise généralement le vote des Français de l'étranger et qui semble aller en s'aggravant de manière inquiétante. SI en 1981, le taux d'abstention des Français de l'étranger était de 21%, il était passé à presque 58% au second tout de l'élection de 2007. Cette dégradation mériterait une étude fine tendant à montrer quel est le taux d'abstention en fonction de la nature de l'expatriation. Je pense, mais de façon tout à fait instinctive, que les expatriés de longue durée votent davantage que ceux pour lesquels l'expatriation constitue un bref moment de leur existence, mais je me trompe peut-être complètement, donc je ne développerai pas. C'est d'ailleurs à ceux-là qui sont établis pour un temps durable que s'adresse le discours des politiques.
Mais le faible taux de participation s'explique peut-être aussi en partie du fait des modalités du vote.
S'agissant du processus qui amènera le Français de l'étranger jusqu'à l'isoloir, il est un peu différent de ce qu'il est en France.
Je rappelle que pour pouvoir voter il faut déjà être inscrit sur les listes consulaires, cette démarche valant inscription, sauf choix contraire, car on peut déclarer qu'on votera en France lors des scrutins nationaux, sur les listes électorales. Pour mémoire les Français de l’étranger peuvent voter lors de l'élection présidentielle, lors des référendums et à partir de cette année aux législatives. Ce qui fait qu'ils ne sont pas trop sollicités. Mais le consulat n'a d'autre rôle que celui d'une mairie qui est d'organiser le scrutin, en faisant parvenir les liasses (professions de foi, bulletin de vote) quelques jours avant le vote et en organisant le bureau de vote et son fonctionnement. Donc toute la phase amont d'information/propagande des partis des candidats reste à la charge des partis politiques. Cela leur est rendu possible par internet. En effet, lors de l'inscription sur les listes consulaires, si on donne une adresse mail qui permet d'être joint par le consulat, on est informé que cette adresse sera communiquée également aux partis politiques dans le cadre de leur droit d'informer les citoyens.
Ce dont ils usent de façon très variable. Pour cette élection, on pourra remarquer l'assiduité de l'UMP à vouloir informer les Français de l'étranger. Les messages n'ont pas manqué, messages écrits, messages audiovisuels, le tout augmenté de la création d'un site internet spécialement dédié. Les autres candidats sont restés plus discrets, certains n'envoyant qu'un message (Hollande, Bayrou, NDA, Mélenchon), certains en envoyant deux (Le Pen, Joly), et certains pas du tout (Poutou, Artaud, Cheminade) (à moins que mon brave ordinateur ait simplement rejeté leur professions de foi). Les messages reçus, après avoir passé la couche de pommade nécessaire visant à démontrer que nous faisons partie des forces vives de la nation, vecteur de son rayonnement de par le monde, s'attaquent essentiellement à la fiscalité, pour nous rassurer en ne nous assimilant pas aux expatriés fiscaux (qui doivent pourtant recevoir la même chose), à la scolarité des enfants dans les écoles françaises, et aux simplifications administratives. De fait ils se calquent sur Sarkozy qui a réalisé pas mal de chose dans les deux derniers domaines ces 5 dernières années et qui après ses sorties sur les expatriés fiscaux a tenu à rassurer les Français de l'étranger.
Concernant le vote lui-même, il est organisé, du moins en Russie, dans les consulats qui ouvrent un bureau de vote, et même deux à Moscou (3 consulats en tout en Russie, Moscou: Saint-Pétersbourg, Iekaterinenbourg). On peut donc voter soit en se déplaçant, soit par procuration. Et c'est là peut-être une explication partielle au faible taux de participation. Par exemple la circonscription consulaire de Saint-Pétersbourg a une élongation Nord-Sud d'environ un millier de kilomètres. Il est donc probable que le Français résidant à Mourmansk situé à quelques 800 kilomètres au Nord ne se déplacera pas. Mais à qui peut-il donner procuration, puisque le bénéficiaire doit être inscrit sur les listes consulaires de Saint-Pétersbourg et qu'il ne connait sans doute personne résidant dans cette ville? Il est donc probable qu'il ne pourra pas voter. Que dire de la circonscription de Moscou qui s'étend sur 8 fuseaux horaires! Effectivement 3 points de vote pour un territoire qui est 55 fois plus grand que la France ne permet pas à tout le mode de se déplacer. Seule une majorité le pourra, mais en gros un milliers de votants ne peuvent se déplacer, soit 1 sur 5. D'un autre côté, on ne peut pas se déplacer vers chaque électeur.
La parade semble avoir été trouvée pour les législatives de juin puisque nous pourrons voter soit par internet, soit par correspondance. Il n'y aura pas cette fois de bureau de vote, mais tout le monde pourra s'exprimer. A ce propos, j'ai pu lire des choses peu amènes au sujet du vote par internet. Mais pour beaucoup de Français de l'étranger c'est tout de même le moyen adapté.
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