"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 16 mars 2012

Fisc et expatriation


Quand vous êtes comme moi expatrié, même pas évadé fiscal et d'ailleurs, je vais y revenir, dans une situation fiscale assez désavantageuse, vous ne pouvez échapper à l'incompétence, la fainéantise, l'absence de sens du service public, le mépris, bref un certain nombre de tares rappelées périodiquement et qui affectent un certain nombre de fonctionnaires français. J'en arrive même à croire qu'ils adorent être mal-aimés, sachant que finalement ils ne risquent rien protégés qu'ils sont par un statut anachronique qu'il faudra bien réviser un jour pour le rapprocher du privé. Mais en attendant, et puisqu'eux ne seront pas touchés puisqu'ils sont déjà en place, ils en profitent très largement en ne faisant pas ou en faisant mal leur travail entre deux grèves.
 
A vrai dire quand vous êtes expatrié, vous n'avez plus guère de lien qu'avec l'administration française, sauf avec les services consulaires bien sûr, et là en contradiction avec ce qui va suivre, dont je ne peux jusqu'à présent que louer la qualité des services, et cette fameuse administration fiscale qui vous collera au basques où que vous soyez, et même mieux ira se servir directement sur vos revenus si elle le peut. J'allais oublier la sécurité sociale qui se sert allégrement sur vos revenus français tout en vous interdisant de bénéficier de ses prestations si vous êtes expatrié hors UE, ce qui vous oblige donc à avoir recours à une assurance privée. Sans doute un moyen de financer la CMU et l'AME, au moins partiellement puisqu'il parait que ça coûte fort cher ces choses-là.
J'en reviens donc à l'administration fiscale objet de mon courroux.
 
La France a signé de nombreuses conventions, environ 150, avec des pays étrangers destinées à préciser le statut fiscal des expatriés, en tant que personnes morales ou physiques. Ce qui veut dire d'ailleurs au passage que les dernières propositions de Sarkozy et Hollande concernant les exilés fiscaux auraient bien du mal à être mises en œuvre à moins d'une part, de créer un statut spécial les concernant puisque comme les expatriés pour d'autres raisons, ils sont considérés avant tout comme non-résidents vis-à-vis de la loi, et donc il faudra faire un tri, et d'autre part, renégocier ces dizaines de conventions, ce qui parait peu vraisemblable.
L'idée générale des conventions, même s'il existe quelques exceptions, c'est que les revenus de source française sont imposés en France et les revenus de source étrangère à l'étranger, mais ceci selon des modalités particulières peu favorables à l'expatrié qui a pour revenus un salaire ou une pension, ce qui constitue tout de même la majorité, la grande majorité. Car la taxation de l'expatrié est quelque peu sauvage et arbitraire. Les revenus français dans leur totalité, hors pensions, sont imposés d'office à 20% quelle que soit la situation familiale. Et ce n'est pas libératoire, bien évidemment. Mais sans prendre le temps de faire des calculs savants sur simulateur, on peut déjà deviner que pour être taxé à un taux de 20%, pour une famille classique disons, 2 adultes et deux enfants, il faut déjà disposer de revenus très confortables. Donc souvent les impôts perçus sont dans un premier temps supérieurs à ceux qui auraient dû être payés en France avec les mêmes revenus. En ce qui concerne les pensions, la taxation se fait à la source avec 3 tranches, une à 0%, une à 12% (les deux tranches étant libératoires), et une troisième (à partir environ d'un revenu annuel de 40000 euros) à 20% et non libératoire. Là non plus le quotient familial n'intervient pas, pas plus que d'autres déductions.
Mais bien entendu tout ceci ne vous dispense pas de remplir une déclaration annuelle où vous indiquerez vos revenus français et également dans une case spécialement mise à disposition à cet effet, vos revenus mondiaux, je reviendrai sur ce point. A noter que certaines déductions sont interdites aux expatriés comme par exemple les pensions versées à un ex-conjoint ou à ses enfants mineurs ou majeurs, ce qui peut tout de même infléchir quand vous résidez en France de façon notable le montant de votre impôt. Je ne parle pas bien sûr de la femme de ménage. Donc l'administration fiscale calcule à partir de ces données votre impôt et en déduit les sommes forfaitairement prélevées conformément à votre statut de non résident. Mais avec cette particularité. Si x (montant de l'impôt)-y (sommes perçues forfaitairement far le fisc) = z (somme restant due au fisc) quand y est inférieur à x, x-y=0 si y est supérieur à x. ce qui signifie, pour ceux qui seraient fâchés avec l'arithmétique, même la plus élémentaire, que quand vous avez été prélevés d'une somme supérieure à l'impôt "normal", l'administration fiscale déclare simplement que vous n'êtes pas imposable. Et peut-être pour ne pas vous faire de peine, l'avis d'imposition que vous recevez est suffisamment opaque pour que la somme que vous auriez dû payer normalement en tant que résident en France, si bien sûr cette somme est inférieure au montant des 20% ou retenues à la sources effectuées sur vos pensions, n'y figure pas. Et bien évidemment on ne vous indique pas que vous pouvez, que vous avez le droit de demander la restitution totale ou partielle du trop perçu.
Car le code des impôts, que nul n'est sans doute censé ignorer, précise que vous n'avez pas à payer un impôt supérieur à celui que vous paieriez en France si vous y résidiez encore. Mais non pas sur vos revenus français desquels je rappelle vous n'avez pas la possibilité de déduire certaines choses, ce qui veut dire que déjà d'office vous paierez davantage qu'un résident. Non cet impôt qui peut-être considéré comme virtuel et qui devient donc la référence pour les remboursements éventuels auxquels vous pourriez prétendre est calculé sur vos revenus mondiaux, donc la somme de vos revenus français et des éventuels revenus perçus à l'étranger. Ce qui veut dire en clair que le fisc français vous soumet quand vous êtes expatrié à une double imposition totale ou partielle.
 
Je ne sais pas si j'ai été assez clair. Je vais donc prendre quelques exemples chiffrés.
Une foyer fiscal avec 3 parts ayant 50000 euros de revenus annuels paiera en France environ 2300 euros d'impôts sur le revenu. S'il s'expatrie et conserve les mêmes revenus français il en paiera d'office 10000. S'il ne dispose pas de revenus de source étrangère il pourra demander sous certaines conditions, je vais y revenir, à se voir restituer la somme de 7700 euros qu'il aura néanmoins avancée. Si ce même foyer fiscal a 20000 euros de revenus supplémentaires perçus à l'étranger, ces revenus seront, dans le cas le plus général, imposés dans le pays d'expatriation. Par exemple en Russie l'impôt serait de 20000x13% = 2600 euros. Suite à ce revenu étranger le foyer en question peut demander à l'administration fiscale française la restitution de 10000 – 4800 = 5200 euros, 4800 correspondant à l'impôt français virtuel sur un revenu de 70000 (50000+20000) euros. Ce qui signifie que ces 20000 euros de revenus supplémentaires lui auront coûté la modique somme de (4800-2300)+2600 = 5100 euros (cas d'une expatriation en Russie pour les 2600 du second terme de l'opération), le fisc français entrant pour 2500 euros dans cette somme. Donc effectivement double imposition totale dans ce cas de la part du fisc français. Une double imposition partielle n'interviendrait qu'à partir du moment où l'impôt virtuel dépasserait les 20% forfaitaires. Ce sont donc les très riches qui sont les moins impactés par ce système.
 
Dès lors vous comprendrez aisément que l'expatriation ne procure pas d'avantages fiscaux s'agissant de l'impôt sur le revenu (puisque les expatriés sont tout de même exonérés de CSG et de RDS sur leurs revenus)et que la tentation peut être forte de réduire au maximum ses revenus de source française, c'est-à-dire de transférer ses sources de revenus à l'étranger en même temps que sa propre personne. Evidemment dans l'exemple que j'ai pris et qui correspond en gros au cas d'un cadre débutant envoyé par son entreprise à l'étranger, ce n'est guère possible, de même que ça ne l'est pas pour les gens dans mon cas qui perçoivent une pension de retraite. Mais les gens fortunés qui disposent d'un capital en propre peuvent très bien le faire et y sont même clairement incités par ce système d'imposition qui leur est très défavorable. Voilà donc en quoi consiste l'évasion fiscale : partir avec ses sources de revenus.
 
L'incitation est d'autant plus forte que le remboursement des trop-perçus par l'administration fiscale est des plus problématiques. J'en arrive là à ce que j'évoquais dans le premier alinéa de ce billet.
Pour bénéficier du remboursement, possibilité bien cachée et que vous devez découvrir pas vous-même soit en allant fouiller les textes, soit en allant vous renseigner au centre des non-résidents, car personne ne vous en informera spontanément, il vous faut prouver que l'impôt forfaitaire est supérieur à celui que vous auriez payé en France calculé sur vos revenus mondiaux. La charge de la preuve, contrairement au contribuable résident, est imputée à l'expatrié. Ce qui impose parfois un parcours du combattant dans le pays d'expatriation pour obtenir une attestation de l'administration fiscale étrangère précisant les revenus déclarés auprès d'elle. Par exemple, en Russie, où existe un prélèvement à la source non modulé par des déductions diverses ou un quotient familial, c'est à celui qui verse vos revenus de faire les déclarations, ce qui fait que le particulier n'a aucun lien avec l'administration fiscale locale. Il faut donc persuader cette dernière de la nécessité de vous procurer une attestation dont l'objectif n'est pas facilement perçu étant donné la différence de modes d'imposition. Car évidemment l'administration française ayant tendance à se prendre pour le centre du monde ne comprend pas que dans d'autres pays existent des procédures totalement différentes et répondant mal à leurs exigences. Mais passons. Avec un peu de persévérance vous pouvez obtenir cette attestation. Mais bien évidemment même avec tous les tampons qui vont bien ça ne suffit pas parce que c'est bien sûr incompréhensible pour le fonctionnaire des impôts. Il vous faut donc une traduction officielle, celle que vous pourriez proposer étant entachée de la plus lourde suspicion. Car l'administration fiscale française ne vous fait pas confiance en tout cas pas assez pour accepter votre papier officiel et le faire traduire en cas de doute ou dans le cadre d'un contrôle. Mais donc vous pourriez considérer qu'à partir de là les choses vont s'arranger vite et que le remboursement des sommes qui vous sont dues va s'opérer rapidement.
 
Et bien détrompez-vous. Depuis que j'ai entamé la procédure pour mon impôt sur mes revenus 2010, donc déjà réglés avec un excédent confortable depuis la fin de la même année, il s'est déjà passé plus de 6 mois. Car le service des non-résidents est d'une efficacité redoutable, du moins pour bloquer votre argent. Comme évidemment à moins d'être expatrié à Monaco, à Londres, à Bruxelles ou à Genève, vous ne prendrez pas forcément l'avion pour aller régler le problème d'un remboursement dont le coût serait inférieur au prix du billet d'avion augmenté d'une nuit d'hôtel et de ce qui va autour. Donc vous envoyez des mails. Mais alors que la charte du contribuable qui parait-il est une référence opposable au fisc précise que vous aurez une réponse dans les 48 heures (ouvrables), vous pouvez attendre 5 semaines avant d'avoir une réponse à la première question que vous posez : comment? Cette réponse est généralement incomplète. Donc vous relancez pour avoir de précisions. Comptez encore un bon mois et enfin vous savez comment faire ou presque. Dans mon cas la première réponse a été de fournir les justifications de ma non imposition en Russie et un RIB. Ce qui est assez vague puisque le problème de la traduction n'est pas du tout abordé. J'ai donc renvoyé un message demandant si une traduction était nécessaire. La réponse fut affirmative, mais bien évidemment rien sur la nature de la traduction, officielle ou pas, certifiée par le consulat ou pas. Donc nouvelle demande de précisions avant une autre encore. Donc une démarche engagée le 6 septembre aboutit à un envoi par mail des documents demandés le 23 décembre (c'était peut-être pas une bonne idée) sous une forme que j'espère correcte, car le 16 mars suivant je ne le sais toujours pas. J'ai oublié de dire qu'entre temps j'ai réussi à obtenir le nom et l'adresse mail de la personne s'occupant de mon dossier. Le 16 janvier, estimant que le réveillon était déjà loin, que les brumes de l'alcool étaient dissipées, je demande où en est mon dossier. La réponse que je reçois est que les pièces envoyées par mail, 3 semaines auparavant quand même, ne peuvent être ouvertes et que je dois donc les envoyer par fax. J'envoie tout par mail à quelqu'un de mes connaissances en France et qui peut miraculeusement ouvrir toutes les pièces que j'envoie en lui demandant d'envoyer ça par mail le lendemain, ce qui est fait et certifié par un rapport d'émission dont je reçois une copie. 3 semaines plus tard, ne voyant toujours rien venir j'écris de nouveau à madame Françoise A (je ne citerai évidemment pas le nom pour respect pour la famille et les éventuels homonymes) qui ne me répond pas. Donc 2 semaines plus tard, j'envoie un long mail faisant le récapitulatif des mois qui viennent de s'écouler et exprimant au passage mon mécontentement. Je reçois alors une réponse laconique me disant qu'il faut que j'envoie par fax les documents demandés. La distance ayant l'avantage de préserver des paroles et gestes impulsifs, j'envoie tout de même un mail saignant avec en PJ le rapport de transmission valant accusé de réception. S'ensuivent deux jours d'échanges mouvementés où je remercie encore une fois le ciel d'être à 2500 kilomètres de Madame A. mais me résous à faire renvoyer un fax selon la même procédure que la fois précédente. Bien évidemment le jour même de l'envoi je rédige un mail demandant à Madame A. d'accuser réception du fax dont je dispose une nouvelle fois de l'accusé de réception automatique. Et ne voilà-t-il pas que cette personne me répond que jamais un fax me concernant n'est arrivé. Je rédige donc un mail pas très sympathique, avec quelques menaces d'ordre administratif à la clé et quelques minutes plus tard je reçois un message d'anthologie me précisant que du papier ayant été remis dans le télécopieur, mon fax envoyé tout de même 5 heures plus tôt, avait pu être réceptionné. Eh oui, c'est comme ça dans l'administration, pas de papier dans le télécopieur et votre demande passe à la trappe. J'ai depuis reçu une demande de précision de la part d'un autre contrôleur des finances au sujet d'une somme ajoutée à mes revenus français par moi dans la case revenus mondiaux, (en fait l'allocation reçue par mon épouse lors de la naissance de notre fils de la part de l'Etat russe, pas imposable en Russie mais que la France est bien capable de prendre en compte pour la calcul définitif de mon impôt), mais dont j'avais déjà donné toutes les précisions dans ma déclaration de revenus. Ne voyant toujours rien venir sur mon compte en banque, j'ai adressé il y a deux jours un nouveau mail demandant dans quels délais je pouvais espérer être remboursé. La réponse tombée aujourd'hui me précise que "Comme plusieurs services interviennent, je ne peux donc pas vous fournir de délais précis. Il faut compter plusieurs semaines pour obtenir le remboursement effectif." En France les remboursements de trop-perçus se font ou se faisaient avant mon départ sous 8 jours. Quand vous êtes expatriés, il faut compter des mois. Pour info la somme en jeu est inférieure à 1000€, ce qui mérite de mobiliser sans doute plusieurs services.
 
Ce texte, sans doute bien trop long, avait pour but de préciser ce qu'est la réalité fiscale d'un expatrié classique, confronté à des lois pas du tout avantageuses et à des fonctionnaires, du moins à certains fonctionnaires vraiment peu soucieux de l'administré, en l'occurrence le contribuable qui les nourrit. Ça change un peu du discours habituel sur ces salauds d'expatriés qui échappent au fisc.
Vous aurez en outre compris que les deux cumulés, lois et fonctionnaires dilettantes, peuvent fortement inciter les expatriés qui le peuvent à réduire l'emprise de l'administration fiscale sur eux. Pourrait-on leur en vouloir?

 

4 commentaires:

  1. les administrations françaises informatisées, les impôts, la sécu, fonctionnent admirablement bien....en France
    être étranger en France par ailleurs doit être plus facile que français à l'étranger, y a pas Mélanie je peux l'écrire

    avez vous accés à impôt gouv point truc?

    parce qu'à partir d'un espace personnel on peut décider de baisser ses mensualités si on est mensualisé et qu'on a fait le calcul montrant que la prochaîne "séance" sera en baisse

    et, l'année suivante les mensualités sont au prorata
    mais vous savez tout ça

    NS compte sur les voix des expat, peut être lui poser le problème

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  2. Je sais, cela n'a pas de rapport avec votre texte d'aujourd'hui, mais j'ai pensé que vous seriez intéressé par cette chronique sur le halal parue dans le Journal de Montréal:
    http://blogues.journaldemontreal.com:80/benhabib/actualites/le-halal-un-label-commercial-au-service-dune-ideologie-islamique/

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  3. Bonjour Cimabue,

    effectivement je pensais du bien de l'administration fiscale quand j'étais en France.
    Désormais c'est une catastrophe mais qui outre l'incompétence de certains fonctionnaires (en fait j'en vise une particulièrement)a pour cause un réel manque de confiance vis-à-vis des expatriés qui pourraient être traités comme les autres selon les mêmes moyens puisque nous remplissons nos déclaration de la même manière sur le site des impôts et que donc les calculs pourraient être faits aussi vite et aussi bien. Puisque en théorie, mais je crois avoir prouvé le contraire seuls les revenus français devraient être taxés en France, et le fisc y ayant facilement accès, tout devrait être simple. Mais non. Pas à cause de l'administration mais du législateur car c'est quand même lui qui pond les lois. L'expat est considéré comme quelqu'un qui s'enrichit et même si ses revenus sont d’origine étrangère, il doit cracher au bassinet. D'où des forfaits prohibitifs et des procédures infinies pour récupérer son bien. C'est un climat de jalousie et de suspicion qui est à l’origine de tout ça.

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  4. Merci beaucoup pour le lien. Je viens de lire. Remarquablement expliqué. Je suis absolument d'accord avec ce texte.

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