"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 5 février 2012

Civilisation et connerie



Ça y est, une certaine gauche bienpensante vient de trouver de quoi s'indigner pour la semaine. Eh oui, il lui faut bien ça, un os à ronger pendant quelques jours en attendant le suivant. Sans espoir de la voir rentrer à la niche qui pourtant est sa vraie place.
Imaginez donc cette horreur : Claude Guéant, ci-devant Ministre de l'Intérieur a déclaré lors d'une conférence que toutes les civilisations ne se valaient pas. Ce qui veut dire implicitement que la nôtre, la civilisation occidentale serait supérieure à certaines autres que certes il n'a pas citées mais que ses références à l'attitude tenue vis-à-vis des femmes, de la liberté de conscience, le la tolérance, etc., désigne de façon assez explicite. Bien évidemment les réactions n'ont pas tardé : "provocation", "ministre rabatteur des voix du FN", "retour de 3 siècles en arrière", "abject" figurent parmi ces réactions sans parfois en comprendre le ridicule.
Tiens, prenons par exemple ce " retour de 3 siècles en arrière" énoncé par Cécile Duflot qui devrait cesser de brouter du foin. 3 siècles dit-elle alors qu'un certain Léon Blum, qui sans doute inspira le FN, parlait en son temps, et avec d'autres souvent du même bord politique, de mission civilisatrice de la France pour justifier la colonisation. Peut-être devrais-je un jour écrire un billet qui s'intitulerait "Ecologie et histoire".
 
Ceci dit la déclaration de Guéant ainsi que les réactions indignées de nos bien aimés progressistes sont très intéressantes. Parce qu'elles déplacent un débat politique de campagnes présidentielle et législative sur un autre terrain que celui des chiffres, sur le terrain des valeurs, sur le terrain du devenir de la France sur un plan sociétal. Il me parait plus intéressant en effet, plutôt que de voir une campagne faussement s'enliser sur des problèmes économiques et financiers au sujet desquels parce que nous appartenons à l'Union Européenne, parce que la mondialisation s'impose à nous avec ses règles ou plutôt ses dérèglements, plutôt que de voir des débats s'alimenter de la petite phrase prononcée par l'autre ou de la présence au bal de l'extrême-droite autrichienne de Marine Le Pen, il me parait donc plus intéressant de voir s'élever des débats sur la conception qu'ont les protagonistes sur l'identité de la France, voire au-delà, sur les rapports entre les habitants de ce pays.
Or, si on s'attache à cette dernière péripétie, on voit tout de suite, que là, sur ces points, il existe des différences fondamentales. D'un côté l'affirmation de l'appartenance de la France à une civilisation occidentale, judéo-chrétienne pourrait-on dire, et jugée préférable à d'autres, de l'autre une égalité totale entre les différentes civilisations dont les représentants peuplent de plus en plus notre pays, égalité qui peut laisser supposer que la cohabitation de civilisations différentes, portant des valeurs différentes, est un phénomène pas seulement à accepter, mais à encourager.
 
Si on considère que la civilisation, c'est l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur les plans sociaux, religieux, moraux, politiques, artistiques, intellectuels, scientifiques, techniques, peut-on affirmer que toutes les civilisations se valent, qu'elles ne peuvent être hiérarchisées.
Voyons brièvement ces différentes caractéristiques.
Je laisse tomber d'emblée les plans scientifique et technique, car la discussion parait inutile quant à la supériorité actuelle mais déjà ancienne de la civilisation occidentale.
Sur les plans intellectuel et artistique, force est de constater que la production occidentale reste la plus développée dans le monde, de même que l'innovation dans ces domaines.
Aborder le religieux et plus difficile tant il est patent que dans certaines civilisations le religieux englobe normes sociales, morale et politique. Mais indiquer cela est peut-être déjà indiquer une certaine supériorité de la civilisation occidentale qui a su un peu partout, et même dans les pays qui disposent encore d'une religion d'Etat, dans les pays où le président entrant prête serment sur la bible, s'affranchir de la religion dans les autres domaines.
Sur le plan politique, c'est la démocratie qui est devenu le modèle dominant dans la civilisation occidentale. C'est moins vrai, beaucoup moins vrai dans d'autres civilisations mais dont les pays qui la composent pourtant s'adonnent volontiers à un simulacre de démocratie, ce qui est implicitement la reconnaissance de la supériorité d'un modèle.
Sur le plan social, la civilisation occidentale reconnait le caractère unique de l'individu, ce qui peut amener à certains travers, je pense à un individualisme exacerbé. Dans d'autres l'individu n'est rien ou peu. Chaque individu, dans la société occidentale est généralement égal en droits et devoirs, au moins devant la loi, à ses congénères, dispose souvent d'une protection sociale, même si elle est variable selon les Etats, peut exprimer librement ses opinions. Les différences de sexe, de couleur de peau ne constituent pas devant la loi des différences justifiant une différence de traitement. Les résistances sociologiques à cette égalité ont tendance à s'effacer de plus en plus. Ce "de plus en plus" constituant une des caractéristiques de la civilisation occidentale.
 
C'est en effet ce "de plus en plus" qui est peut-être la marque essentielle de la supériorité de la civilisation occidentale. Car contrairement à d'autres qui sont dans une stagnation complète depuis des siècles, qui refusent les apports des autres civilisations, la civilisation occidentale a su évoluer à travers les siècles. C'est une civilisation cumulative, perméable aux influences extérieures et capable, souvent après des chocs, de se remettre en cause. Elle n'a peut-être pas progressé linéairement, le faisant par bonds par bonds, mais elle a su s'amender à travers les siècles, ce qui lui a d'ailleurs permis d'exercer pendant très longtemps une réelle suprématie sur les autres civilisations. Une suprématie à laquelle elle va peut-être renoncer, peut-être, car elle se situe actuellement à la croisée des chemins selon l'expression consacrée, en partie tiraillée entre ceux qui tentent de la défendre, car bien sûr ils pensent qu'elle reste la meilleure, et ceux qui au contraire la situent au même niveau que les autres, quand tout simplement ils ne passent pas leur temps à la dénigrer tandis qu'ils revendiquent la défense des identités allogènes.
 
Ce qui pourrait devenir un débat mais qui se finira comme d'habitude en invectives vis-à-vis de celui qui a lancé la polémique, à prendre dans le bon sens du terme, est à mon sens sans doute le point sur lequel devraient s'exprimer en priorité nos candidats à la présidentielle. Ils ne le feront pas ou laisseront comme d'habitude ça au FN tout en s'étonnant de son succès auprès des classes populaires sans doute intuitivement plus sensibles à cette thématique que d'autres catégories sociales.
 
Pour terminer, une citation extraite de "Race et culture" de Claude Lévi-Strauss, qui comme chacun sait était un inspirateur du FN :
"Sans doute nous berçons-nous du rêve que l'égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé (…), elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s'amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité..."

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