Où s'arrêtera-t-on? Cette marche sans fin vers le progrès parfois me fascine. Celle qui voit s'effacer le pouvoir politique devant, comme dirait l'autre, le pouvoir financier. Mais si ce n'était que ça! Car l'impétrant a oublié de nommer, et on devine pourquoi, les pouvoirs médiatique et judiciaire. Eux non plus ne se soumettent à aucune élection, eux non plus n'ont pas de visages ou trop ce qui revient au même, eux non plus ne sont jamais sanctionnés en cas d'erreur manifeste, fut-elle volontaire, et quelles qu'en soient les conséquences, ou si peu.
Tout ceci mériterait un très ample développement, un bouquin même, c'est pourquoi je me contenterai de limiter mon propos à un exemple récent, celui qui vient de voir un juge permettre l'ouverture d'une enquête judiciaire pour "mise en danger de la vie d'autrui" suite à la plainte de certaines familles des militaires tués lors de l'embuscade d'Uzbin en Afghanistan en 2008.
Rappelons brièvement les faits. Le 18 août 2008 une patrouille d'une centaine d'hommes composée de deux sections françaises, d'une section de l'armée nationale afghane et d'éléments de l'armée américaine. Vingt-quatre hommes de l'une des sections française débarquée en fin de piste poursuit la reconnaissance à pied et est prise en embuscade par des talibans très supérieurs en nombre puisqu'ils sot environ 150, ce qui leur permet en outre d'empêcher un appui efficace de la seconde section française arrivée en renfort mais incapable à cause du feu ennemi de déployer ses mortiers. En outre l'appui aérien dirigé par les Américains au sol est rendu très difficile du fait de la forte proximité, voire imbrication des forces qui s'opposent. La section afghane quant à elle "victime" fort opportunément d'une panne de véhicule fut la grande absente de ce combat. C'est l'arrivée de renforts supplémentaires et la possibilité de tirs aériens qui débloquera la situation après quelques heures et permettra une contre-offensive. Au final 10 militaires français restent au sol, tandis que 21 de leurs camarades sont blessés. Du côté de l'ennemi il y aurait eu au total et après la contre-offensive environ 80 talibans tués.
Il ne sera pas de mon propos de décrire les différentes phases d'un combat qui a duré plusieurs heures, de dire doctement qu'on aurait dû faire autrement, de dégager d'éventuelles erreurs de commandement qui auraient été fatales, ou d'autres choses encore. Bien d'autres que moi qui bien que n'ayant sans doute jamais porté l'uniforme et n'ayant en tout cas jamais connu le feu s'en sont amplement chargé racontant souvent tout et n'importe quoi. Mais peut-être un n'importe quoi qui a incité certaines familles de disparus lors de ce combat à déposer plainte pour "atteinte à la vie d'autrui". Plainte jugée classée sans suites dans un premier temps, jusqu'à ce que la cour d'appel de Paris la juge recevable et autorise l'ouverture d'une enquête judiciaire.
Je peux comprendre que la douleur des familles qui ont perdu un des leurs les incite à ce genre de démarche, en espérant que la douleur soit la seule motivation. Je comprends moins bien qu'un juge accepte ce type de plainte et autorise une procédure qui sera une première et risque fort d'avoir des conséquences désastreuses.
"Mise en danger de la vie d'autrui". Voilà le libellé d'un motif de plainte assez insolite quand il s'agit d'actions militaires. On pourrait d'ailleurs assigner en justice tout militaire le jour de la signature de son contrat d'engagement pour "mise en danger de soi-même et éventuellement d'autrui" tant c'est la raison d'être du métier des armes.
Il est vrai que depuis la fin de la guerre d'Algérie, l'armée française n'avait guère eu à combattre. Les seules actions de combat significatives connues ou ayant à être connues furent Kolwesi au Zaïre (5 morts) en 1978 et la reprise du pont de Verbania aux Serbes en 1995 (2 morts). Certes l'armée française a participé à de nombreuses opérations pendant ces années, a subi des pertes, le plus souvent accidentellement comme en ex-Yougoslavie (84 morts – soit davantage qu'en Afghanistan pour l'instant sur une période à peu près équivalente), et même fait la guerre du Golfe (2morts- déminage- pendant les opérations). Ce qui fait effectivement que 10 morts lors d'un même combat ça peut frapper les esprits. Je ne veux surtout pas être cynique, dire que c'est insignifiant par rapport à ce qu'on a connu avant, même en Algérie (25000 morts), dire que le destin d'un soldat c'est de mourir au combat, dire comme quelques idiots patentés qu'ils ont signé pour ça (comme si on signait pour mourir!!!), mais je voudrais tout de même souligner deux choses : la première est que la vocation première d'une armée est bien de faire la guerre (même si on ne l'espère pas) et donc de se préparer avant toute chose à ça. La seconde est que le militaire, d'autant plus que désormais les armées sont professionnalisées, doivent admettre l'éventualité de perdre la vie ou leur intégrité physique lors d'engagements armés. Ce sont des choses qui vont de soi, quasiment des tautologies mais qui semblent oubliées par beaucoup en ces temps de paix prolongée sur le territoire national et à une époque où le principe de précaution est malencontreusement entré dans la constitution.
"Mise en danger de la vie d'autrui". C'est à chaque fois qu'un officier donne l'ordre d'effectuer une mission en territoire hostile. Mettre en danger la vie de ses hommes, mettre en danger sa propre vie est, qui en douterait, une caractéristique majeure des armées en tant de conflit. Comment pourrait-il en être autrement? Comment ordonner une mission de reconnaissance sans envisager la possibilité de pertes humaines, puisque la reconnaissance permet de déterminer si la zone est sûre ou pas, donc contient en elle-même l'hypothèse d'une rencontre avec l'ennemi? Ah oui, bien sûr, on pourrait envoyer les avions, les hélicos, en oubliant au passage leur propre vulnérabilité, et en n'étant jamais sûr définitivement du résultat de cette reconnaissance aérienne. Parce qu'à un certain moment seuls les hommes au sol peuvent donner l'état d'une situation réelle. C'est comme le reste des missions de combat. Elles ne pourront jamais s'affranchir des hommes en dernier ressort. Sauf s'il s'agit de vitrifier une zone. Accuserait-on le patron d'une entreprise de transports de mettre la vie de ses chauffeurs en danger à chaque fois qu'il leur ordonne un déplacement?
Reste l'hypothèse de la faute professionnelle, de l'erreur de commandement, de la légèreté du donneur d'ordres, de l'absence de mise à disposition des moyens ad hoc pour accomplir la mission. Si c'est là-dessus que devra se prononcer le juge, sur quels éléments pourra-t-il se fonder? Le combat n'est ni une procédure administrative, ni une chorégraphie de ballet. Et de surcroit, c'est une affaire de spécialistes. Quel est donc le juge civil qui sera à même de décider si, oui ou non, il y a eu faute. Et de la part de qui? Ce juge demandera-t-il une reconstitution sur place? Je ne suis pas contre cette dernière hypothèse d'ailleurs qui permettrait à celui qui juge de connaitre les frayeurs de l'engagement. On voit là toute l'absurdité de la démarche.
Si faute il y a eu, c'est à l'armée d'en juger, ce qui est d'ailleurs la procédure normale, jusqu'à ce jour. S'il y a des responsables à cette issue tragique, ils ont déjà été sanctionnés. Et croyez-bien que l'armée est moins tendre avec ceux qui font des fautes et même simplement des erreurs que ne le fut la magistrature avec le juge d'Outreau. Parce que cette affaire, cet engagement, a été disséqué sous tous les angles, pas dans l'optique unique et principale de trouver le bouc émissaire qu'on pourrait sacrifier, mais surtout pour en tirer les enseignements pour les fois suivantes. Car il y en aura. Et, même si c'est dommage, mais c'est comme ça, les savoir-faire au combat s'acquièrent davantage au combat que lors de l'entrainement, même si celui-ci est essentiel. Or comme je l'ai écrit plus haut, depuis la guerre d'Algérie, cette expérience du combat, et on peut s'en réjouir, fait quelque peu défaut. En ce sens l'engagement en Afghanistan constitue une expérience précieuse pour les armées.
Mais revenons au sujet.
Si, et j'espère l'avoir démontré, la possibilité pour un juge d'une juridiction commune de se prononcer sur les actions militaires est absurde, ses conséquences sont elles désastreuses.
Imaginez que le procès ait lieu et se termine par une condamnation d'un officier général, d'un colonel, d'un commandant ou je ne sais qui, quel pourra être l'avenir des interventions militaires. Quel est désormais le responsable de tout grade, du sergent au général qui osera donner un ordre de combat ou au combat, sans se demander si la mort d'un de ses hommes, chose qui entre pourtant dans les hypothèses de forte probabilité quand il s'agit d'engagement armé, ne va pas le conduire devant un tribunal et ensuite en prison. Comment peut-on se battre efficacement sous l'œil d'une justice civile incompétente dans les choses militaires? Et quel est donc ce pouvoir exorbitant qui permettrait à n'importe quel juge de s'autosaisir, car bien évidemment cette étape ne peut-être que la suite logique de la première relatée ici, à propos d'un événement intervenu lors d'une intervention armée? C'est réduire de façon drastique l'efficacité des armées en opération. C'est une incitation à éviter tout contact avec l'ennemi, ce qui est tout de même un comble. C'est annihiler toute réaction face à un événement. Et c'est aussi favoriser l'utilisation des moyens les plus meurtriers, ceux qu'on utilise de loin ou de très haut, pour contrôler les territoires. Si effectivement on avait passé la vallée d'Uzbin au napalm, il n'y aurait pas eu 10 morts français le 18 août 2008.
Pour terminer, je donnerai cette simple suggestion au cas où un juge viendrait à lire ce billet. Si la justice cherche des responsables qui "mettent en danger la vie d'autrui, et des militaires en particulier", qu'elle se penche sur les responsables politiques qui n'honorent pas les lois de programmation, qui en réduisant les budgets empêchent l'acquisition de matériels plus performants ou simplement la mise à niveau de ceux existants. Il y a une dizaine d'années de cela, plus de la moitié de la flotte d'hélicoptères était au sol faute de pièces de rechange, idem pour les chars et autres engins blindés. L'armée de terre réclamait des renforcements de blindages et autres modifications sur des engins pour protéger ses hommes au combat. Mais on manquait d'argent, pour acheter les pièces de rechange, pour améliorer les vieux matériels existant, après une loi de programmation qui, en plus de ne pas faire rêver initialement, avait été amputée des 20% par le gouvernement en place.
Allez Monsieur le juge, un peu de courage! Et trainez devant votre tribunal ceux qui n'ont cessé de mettre en danger la vie d'autrui. Et qui continueront.
bonjour
RépondreSupprimerle ressenti des missions de notre armée est de l'ordre du petit nuage chargé de bisounours portant la paix avec le seul risque de se coller des ampoules aux pieds
tout le monde y croit, en 2008 Obama a dit: on sort de l'Irak on se renforce en Afghanistan et nous on a cru ce qu'on nous a dit, on suit à hauteur de n hommes en plus pour des missions bases arrieres pédagogiques
sachant qu'en face des barbares sur doués jouent pearl Harbour en miniature chaque fois que c'est possible
pour paumer 80 hommes faut être motivé, et d'ailleurs on n'a pas publié ou trés bas ce fait que nos soldats avaient dézingué 80 mecs
on en est au ragot du jour: on promenait un élite aprés petits fours dans l'hélico attendu en Kapissa
cet avocat de la partie civile (mal nommée ici) j'oublie le nom, ça vaut mieux il milite en marine et appelle au loup
le raisonnement bénéfice risque devrait prendre sa place dans ce scénar qui discrédite la grande muette
nous sommes des anciens fonctionnaires de deux institutions qui assurent la sécurité des populations et souvent nous avons su ce que voulait dire garder nos ouailles debout quoiqu'il arrive
ce boulot de sape ne mènera qu'à la sape de quelques fondations cruciales
et quelqu'un qui viendrait nous lire crierait au scandale, mais oui, criez
qu'on se rassure, ces deux institutions savent identifier les conneries et réajuster
dévoiler le jeu?
Tiens vous aussi vous avez remarqué "qu'on ne tue personne là-bas", enfin pas d'ennemis en tout cas parce que de temps en temps quand même on tue de pauvres civils innocents.
RépondreSupprimerTout aura été fait pour nous présenter ce conflit sous son plus mauvais jour. Et donc maintenant pourquoi ne pas salir les armées, du moins les chefs qui envoient au casse-pipe leurs troufions , après un repas bien arrosé, évidemment.
Les médias, les mêmes qui présentent le conflit sous cet éclairage défavorable, n'ont que peu fait mention de cette décision de justice. Bien entendu ils se laveront les mains des conséquences que tout cela pourra avoir.