J’introduirai ce billet par le
court récit d’un propos dont j’ai été témoin.
C’était en 1996 ou au début de
1997, quelques mois après l’annonce faite par le président de la République de
l’époque, Jacques Chirac, de suspendre le service national. La suspension
signifiait pour nous militaires tout simplement une fin car pour de multiples
raisons, et notamment matérielles, nous savions qu’un retour en arrière n’était
plus possible.
A cette époque j’occupais des
fonctions auprès d’un officier général qui commandait une école dont les
activités nous valaient pas mal de visites d’officiers généraux ou de
délégations militaires étrangères. Et donc j’avais parmi mes missions, celle d’organiser
ces visites. C’était un travail particulièrement intéressant, enrichissant
notamment à cause des échanges mettant en relief les différences de perception
de notre métier commun.
Et donc en ce jour de fin 96 ou
début 97 nous recevions l’attaché militaire israélien auprès de l’ambassade l’Israël
en France. Le moins qu’on puisse dire est que ce dernier disait ce qu’il pensait
et ne ménageait pas ses critiques quand il en avait. Au cours du déjeuner qui
réunissait les deux généraux, le mien et cet attaché de défense, et quelques
officiers supérieurs le sujet de la professionnalisation de nos armées fut
évidemment abordé. Et là le froid subitement tomba quand le général israélien
déclara que c’était une erreur profonde et qu’en Israël ce genre de décision
aurait amené à une manifestation de colère publique des officiers généraux.
Gloups ! Oui gloups parce que ce sentiment était partagé par pas mal de
nos chefs militaires qui n’ont pas pipé mot.
Pour ma part je n’ai pas
considéré cette déclaration comme une provocation, mais comme la mise en
évidence de différences fondamentales quant à la place des militaires dans les
affaires stratégiques de défense nationale et quant à ce qu’on nomme l’esprit
de défense.
Passons vite sur le premier point.
La tradition française sépare nettement le politique du militaire. Il n’y a
guère dans notre histoire depuis la fin du Moyen-Âge que sous le Consulat et le
premier Empire que la confusion entre le militaire et le politique exista, même
si quelques monarques parfois revêtaient l’armure. Dans le jeune Etat d’Israël,
menacé perpétuellement, le militaire ne peut guère être écarté de la chose
publique, et encore moins de la politique de défense, et passer de l’uniforme à
la politique est donc chose banale. Cela dit on peut regretter que nos chefs
militaires s’astreignent au silence quand ils considèrent que la politique de
défense est désastreuse. Depuis les années 80 seul un chef d’état-major a
démissionné pour désaccord avec la politique de défense. Il s’agit du général
Delaunay au début des années 80. Mais il n’y eut aucun mal à le remplacer. Cela
ne signifie pas qu’ils demeurent inactifs, mais leurs propos restent
confidentiels, s’adressant à des politiques qui souvent les méprisent, et donc
ignorés du public. Et quand un parle, je pense ici au général de gendarmerie
Soubelet qui s’exprimait l’an dernier sur les problèmes de sécurité dont il
imputait une bonne part au laxisme de la justice, il est « promu »
dans un poste où sa parole perd sa légitimité. Certes je n’appelle pas à la
rébellion, mais cette situation, ce silence que s’imposent les chefs
militaires, montre la teneur du lien armée-nation. Lamentable, je précise. Mais
ce n’est pas mon sujet. Quoique !
Le second point soulevé par notre
général israélien, donc à savoir l’erreur que constituait la fin du service
national, au moment où, d’après mes lectures, 80% des Français demandent son
retour, est intéressant. C’est ce que je place sous l’expression esprit de
défense. Là-aussi, on pourra dire que les circonstances historiques et
actuelles, donc les différences de situations que connaissent la France et
Israël en termes de menace, impliquent aussi des différences dans l’organisation
de nos armées respectives. Pourquoi entretenir une armée de conscription, j’ai
failli écrire nationale, quand la France n’est pas directement menacée par un
ou des Etats étrangers ?
En fait tout se situe là. C’est
là qu’est la véritable raison de l’impossibilité d’un retour du service
national et même de son abandon.
Je ne vais pas vous entretenir
sur ce qu’était le service national, ses inégalités, ses différentes formes,
même quand elles étaient militaires, et qui en elles-mêmes militaient pour une
remise en cause, mais pas nécessairement sa suppression. Imaginons donc un
service égalitaire, auquel personne n’échapperait, où aucun piston n’interviendrait
pour que les unités de combat soient l’exclusivité ou presque des enfants des
classes les moins favorisées, et les places au chaud, avec retour à la maison
chez papa et maman tous les soirs celle de ceux qui disposent d’un réseau comme
on dit. Imaginons donc un service national équitable, le temps de la démonstration
qui va suivre.
Quand 80% des Français, selon un
sondage, réclament le retour du service national (sous sa forme militaire) que
veulent-ils ? Faire des jeunes Français des guerriers potentiels ?
Sans doute pas. Ils se remémorent ou l’imaginent une période où l‘uniforme
effaçait les différences, désolé pour ce truisme, faisait de gens qui n’auraient
jamais rien eu à se dire des camarades, faisait naitre un sentiment de
solidarité, révélait les aspects positifs de la discipline pour ceux qui en
avaient besoin, etc.. Tout ça n’est pas faux, du moins dans les unités de
combat. Mais on peut sans doute trouver la même chose dans les camps scouts. Or
l’armée n’a pas vocation à faire du scoutisme, et je dirais même à enseigner
des valeurs qu’on a oublié d’enseigner avant que n’y soient soumis les jeunes
Français. Sa vocation c’est la défense du pays et de ses intérêts par la force,
par les armes.
Or souvenons-nous ! Quand
une grande coalition se forme à l’aube des années 90 pour aller déloger Saddam
Hussein du Koweit, Mitterrand décide de la participation de la France. Et en
même temps, il exclut la participation du contingent à cette opération qui se
prépare. Or quand une armée est organisée sur le mode de la conscription, et
quand on sort des petites interventions quasiment routinières en Afrique,
parfois ailleurs, mais assez peu consommatrices en effectifs, ça pose un
problème dès lors qu’on décide que plus de la moitié de cette armée n’interviendra
pas. C’est toute l’organisation qui est cassée. Les équipes et équipages sont
défaits, les sections sont à remodeler, le sous-officier doit faire le travail
du soldat qui ne partira pas,… Car évidemment ce n’est pas juste une question
de volume, mais de métier, de rôles, de savoir-faire, …, de cohérence.
Donc alors qu’une menace directe
ou considérée comme telle disparaissait avec l’effondrement de l’URSS, se
dessinait de façon claire nos opérations futures. Dès lors que le politique
décidait qu’à ces opérations ne participerait pas le contingent, celui-ci
devenait donc inutile et même une charge d’un point de vue militaire. Le
service national était donc condamné à disparaitre. On attribue la décision à
Chirac, mais dans les faits c’est Mitterrand qui l’a imposée, même s’il n’a pas
tiré les conséquences de ses décisions prises au moment de la guerre du Golfe.
Voilà ce n’est pas plus compliqué
que cela. Et donc la bonne question qu’auraient dû poser les sondeurs, c’est la
suivante : êtes-vous prêts à aller ou à voir vos enfants combattre au
Mali, en Centrafrique ou ailleurs ? Et là j’imagine que les 80% auraient
fondu comme neige au soleil. Or le service national sous une forme militaire n’a
d’autre raison d’exister que par cela, que par cette acceptation d’aller se
battre et éventuellement mourir pour son pays en n’importe quel endroit où les
intérêts de la France vus par ses dirigeants politiques l’imposent.
Donc ne nous leurrons pas. Quand
on voit l’intérêt que portent les Français aux opérations menées par l’armée
française qu’ils découvrent quand elles commencent et redécouvrent quand on
ramène des cercueils plombés, on comprend très bien que c’est le camp scout qui
est réclamé, et non la restauration d’un esprit de défense qui me parait bien
mal en point. La baisse des effectifs, un budget toujours insuffisant, tout ça
ne mobilise pas grand monde. Et si un jour on décidait d’employer des
mercenaires dont les sociétés prospèrent de plus en plus, j’imagine que ça ne
dérangerait pas grand monde non plus.
Et là on peut mettre du sens aux
propos rapportés plus haut de l’attaché militaire israélien qui, en quelques
mots, pouvait faire percevoir la différence qui existe entre une nation en
armes et un pays qui confie sa défense à quelques-uns, et qui, par là-même, s’éloigne
de ce qu’est une nation.
C’est là que doit résider le vrai
débat sur le retour du service national et non sur des effets, et ce quelle que
soit la vertu qu’on leur confère, qui ne sont que collatéraux.
Je vous ai épargné les raison
pratiques ou matérielles qui empêchent un retour du service national, mais que
je vous cite en vrac, sans détailler :
- Manque d’infrastructures, les anciennes casernes ayant été souvent cédées ou vendues, et de l’équipement associé ;
- Obligation de recruter des cadres, sauf à remettre en cause une capacité opérationnelle déjà bien entamée ;
- Rétablissement d’un système lourd de recensement, de traitement amont des dossiers, de tri médical…
- …
Tout ça bien sûr a un coût énorme,
et encore plus énorme si on considère que ce n’est pas pour remplir des
objectifs opérationnels.
Bonjour, je suis un pianiste et écrivain de Paris, et j'aurais été heureux de correspondre avec vous, car j'envisage de partir vivre en Russie d'ici deux ans. Je parle russe couramment, mais je ne suis encore jamais allé là-bas...J4aurais d'autres part quelques questions à vous poser, car j'écris en ce moment un roman sur la première guerre tchétchène. J'aurais notamment voulu savoir si un français peut s'engager comme контракник dans l'armée russe...En espérant ne pas vous importuner, bien Cordialement, JLouis B. adresse mail: jeanlouisbachelet@gmail.com
RépondreSupprimer