"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 28 janvier 2015

Un amour retrouvé pour le service national. Mais lequel ?





J’introduirai ce billet par le court récit d’un propos dont j’ai été témoin.
C’était en 1996 ou au début de 1997, quelques mois après l’annonce faite par le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, de suspendre le service national. La suspension signifiait pour nous militaires tout simplement une fin car pour de multiples raisons, et notamment matérielles, nous savions qu’un retour en arrière n’était plus possible.
A cette époque j’occupais des fonctions auprès d’un officier général qui commandait une école dont les activités nous valaient pas mal de visites d’officiers généraux ou de délégations militaires étrangères. Et donc j’avais parmi mes missions, celle d’organiser ces visites. C’était un travail particulièrement intéressant, enrichissant notamment à cause des échanges mettant en relief les différences de perception de notre métier commun.
Et donc en ce jour de fin 96 ou début 97 nous recevions l’attaché militaire israélien auprès de l’ambassade l’Israël en France. Le moins qu’on puisse dire est que ce dernier disait ce qu’il pensait et ne ménageait pas ses critiques quand il en avait. Au cours du déjeuner qui réunissait les deux généraux, le mien et cet attaché de défense, et quelques officiers supérieurs le sujet de la professionnalisation de nos armées fut évidemment abordé. Et là le froid subitement tomba quand le général israélien déclara que c’était une erreur profonde et qu’en Israël ce genre de décision aurait amené à une manifestation de colère publique des officiers généraux. Gloups ! Oui gloups parce que ce sentiment était partagé par pas mal de nos chefs militaires qui n’ont pas pipé mot.
Pour ma part je n’ai pas considéré cette déclaration comme une provocation, mais comme la mise en évidence de différences fondamentales quant à la place des militaires dans les affaires stratégiques de défense nationale et quant à ce qu’on nomme l’esprit de défense.
Passons vite sur le premier point. La tradition française sépare nettement le politique du militaire. Il n’y a guère dans notre histoire depuis la fin du Moyen-Âge que sous le Consulat et le premier Empire que la confusion entre le militaire et le politique exista, même si quelques monarques parfois revêtaient l’armure. Dans le jeune Etat d’Israël, menacé perpétuellement, le militaire ne peut guère être écarté de la chose publique, et encore moins de la politique de défense, et passer de l’uniforme à la politique est donc chose banale. Cela dit on peut regretter que nos chefs militaires s’astreignent au silence quand ils considèrent que la politique de défense est désastreuse. Depuis les années 80 seul un chef d’état-major a démissionné pour désaccord avec la politique de défense. Il s’agit du général Delaunay au début des années 80. Mais il n’y eut aucun mal à le remplacer. Cela ne signifie pas qu’ils demeurent inactifs, mais leurs propos restent confidentiels, s’adressant à des politiques qui souvent les méprisent, et donc ignorés du public. Et quand un parle, je pense ici au général de gendarmerie Soubelet qui s’exprimait l’an dernier sur les problèmes de sécurité dont il imputait une bonne part au laxisme de la justice, il est « promu » dans un poste où sa parole perd sa légitimité. Certes je n’appelle pas à la rébellion, mais cette situation, ce silence que s’imposent les chefs militaires, montre la teneur du lien armée-nation. Lamentable, je précise. Mais ce n’est pas mon sujet. Quoique !
Le second point soulevé par notre général israélien, donc à savoir l’erreur que constituait la fin du service national, au moment où, d’après mes lectures, 80% des Français demandent son retour, est intéressant. C’est ce que je place sous l’expression esprit de défense. Là-aussi, on pourra dire que les circonstances historiques et actuelles, donc les différences de situations que connaissent la France et Israël en termes de menace, impliquent aussi des différences dans l’organisation de nos armées respectives. Pourquoi entretenir une armée de conscription, j’ai failli écrire nationale, quand la France n’est pas directement menacée par un ou des Etats étrangers ?

En fait tout se situe là. C’est là qu’est la véritable raison de l’impossibilité d’un retour du service national et même de son abandon.
Je ne vais pas vous entretenir sur ce qu’était le service national, ses inégalités, ses différentes formes, même quand elles étaient militaires, et qui en elles-mêmes militaient pour une remise en cause, mais pas nécessairement sa suppression. Imaginons donc un service égalitaire, auquel personne n’échapperait, où aucun piston n’interviendrait pour que les unités de combat soient l’exclusivité ou presque des enfants des classes les moins favorisées, et les places au chaud, avec retour à la maison chez papa et maman tous les soirs celle de ceux qui disposent d’un réseau comme on dit. Imaginons donc un service national équitable, le temps de la démonstration qui va suivre.
Quand 80% des Français, selon un sondage, réclament le retour du service national (sous sa forme militaire) que veulent-ils ? Faire des jeunes Français des guerriers potentiels ? Sans doute pas. Ils se remémorent ou l’imaginent une période où l‘uniforme effaçait les différences, désolé pour ce truisme, faisait de gens qui n’auraient jamais rien eu à se dire des camarades, faisait naitre un sentiment de solidarité, révélait les aspects positifs de la discipline pour ceux qui en avaient besoin, etc.. Tout ça n’est pas faux, du moins dans les unités de combat. Mais on peut sans doute trouver la même chose dans les camps scouts. Or l’armée n’a pas vocation à faire du scoutisme, et je dirais même à enseigner des valeurs qu’on a oublié d’enseigner avant que n’y soient soumis les jeunes Français. Sa vocation c’est la défense du pays et de ses intérêts par la force, par les armes.
Or souvenons-nous ! Quand une grande coalition se forme à l’aube des années 90 pour aller déloger Saddam Hussein du Koweit, Mitterrand décide de la participation de la France. Et en même temps, il exclut la participation du contingent à cette opération qui se prépare. Or quand une armée est organisée sur le mode de la conscription, et quand on sort des petites interventions quasiment routinières en Afrique, parfois ailleurs, mais assez peu consommatrices en effectifs, ça pose un problème dès lors qu’on décide que plus de la moitié de cette armée n’interviendra pas. C’est toute l’organisation qui est cassée. Les équipes et équipages sont défaits, les sections sont à remodeler, le sous-officier doit faire le travail du soldat qui ne partira pas,… Car évidemment ce n’est pas juste une question de volume, mais de métier, de rôles, de savoir-faire, …, de cohérence.
Donc alors qu’une menace directe ou considérée comme telle disparaissait avec l’effondrement de l’URSS, se dessinait de façon claire nos opérations futures. Dès lors que le politique décidait qu’à ces opérations ne participerait pas le contingent, celui-ci devenait donc inutile et même une charge d’un point de vue militaire. Le service national était donc condamné à disparaitre. On attribue la décision à Chirac, mais dans les faits c’est Mitterrand qui l’a imposée, même s’il n’a pas tiré les conséquences de ses décisions prises au moment de la guerre du Golfe.
Voilà ce n’est pas plus compliqué que cela. Et donc la bonne question qu’auraient dû poser les sondeurs, c’est la suivante : êtes-vous prêts à aller ou à voir vos enfants combattre au Mali, en Centrafrique ou ailleurs ? Et là j’imagine que les 80% auraient fondu comme neige au soleil. Or le service national sous une forme militaire n’a d’autre raison d’exister que par cela, que par cette acceptation d’aller se battre et éventuellement mourir pour son pays en n’importe quel endroit où les intérêts de la France vus par ses dirigeants politiques l’imposent.
Donc ne nous leurrons pas. Quand on voit l’intérêt que portent les Français aux opérations menées par l’armée française qu’ils découvrent quand elles commencent et redécouvrent quand on ramène des cercueils plombés, on comprend très bien que c’est le camp scout qui est réclamé, et non la restauration d’un esprit de défense qui me parait bien mal en point. La baisse des effectifs, un budget toujours insuffisant, tout ça ne mobilise pas grand monde. Et si un jour on décidait d’employer des mercenaires dont les sociétés prospèrent de plus en plus, j’imagine que ça ne dérangerait pas grand monde non plus.

Et là on peut mettre du sens aux propos rapportés plus haut de l’attaché militaire israélien qui, en quelques mots, pouvait faire percevoir la différence qui existe entre une nation en armes et un pays qui confie sa défense à quelques-uns, et qui, par là-même, s’éloigne de ce qu’est une nation.
C’est là que doit résider le vrai débat sur le retour du service national et non sur des effets, et ce quelle que soit la vertu qu’on leur confère, qui ne sont que collatéraux.

Je vous ai épargné les raison pratiques ou matérielles qui empêchent un retour du service national, mais que je vous cite en vrac, sans détailler :

-          Manque d’infrastructures, les anciennes casernes ayant été souvent cédées ou vendues, et de l’équipement associé ;
-          Obligation de recruter des cadres, sauf à remettre en cause une capacité opérationnelle déjà bien entamée ;
-         Rétablissement d’un système lourd de recensement, de traitement amont des dossiers, de tri médical…
-      
Tout ça bien sûr a un coût énorme, et encore plus énorme si on considère que ce n’est pas pour remplir des objectifs opérationnels.

1 commentaire:

  1. Bonjour, je suis un pianiste et écrivain de Paris, et j'aurais été heureux de correspondre avec vous, car j'envisage de partir vivre en Russie d'ici deux ans. Je parle russe couramment, mais je ne suis encore jamais allé là-bas...J4aurais d'autres part quelques questions à vous poser, car j'écris en ce moment un roman sur la première guerre tchétchène. J'aurais notamment voulu savoir si un français peut s'engager comme контракник dans l'armée russe...En espérant ne pas vous importuner, bien Cordialement, JLouis B. adresse mail: jeanlouisbachelet@gmail.com

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