Comme chaque année, le 1er
janvier permet de découvrir les nouveaux promus dans l’ordre de la légion
d’honneur. Il s’agit en fait d’une des trois promotions à titre civil, les deux
autres se situant à l’occasion de Pâques (encore une atteinte à la
laïcité ?) et du 14 juillet. Les militaires n’ont, quant à eux, droit qu’à
deux promotions, une en mai pour les réservistes et les anciens combattants et
une en juillet pour les militaires en activité.
Et comme à chaque fois, du moins
quand ça concerne les civils, personne ne prêtant évidemment attention aux
promotions à titre militaire, des critiques fusent parfois agrémentées de coups
d’éclats, ou de pseudo coups d’éclats quand l’un des élus refuse sa nomination.
Le terme de refus de sa nomination est d’ailleurs impropre puisqu’il s’agit
généralement d’un refus d’être décoré, ce qui n’implique pas une radiation du
décret de nomination, mais juste une entrée différée, peut-être indéfiniment,
mais toujours à la discrétion de l’intéressé, dans l’ordre. Il semblerait que
seul Maurice Clavel, il y a presque un siècle ait demandé et obtenu un décret
rectificatif annulant sa nomination. Ainsi Piketty, s’il le souhaite, dans un
an, dix ans ou même davantage pourra toujours revenir sur sa décision. Une
place au chaud lui est réservée.
Enfin « une place au
chaud », façon de parler. Parce qu’à première vue, je ne vois aucun
avantage réel ou matériel d’être décoré de la légion d’honneur. Attribuée avec
traitement (réservé aux militaires) elle offre une gratification d’environ 7
euros par an aux chevaliers de l’ordre à laquelle le plus souvent ils ont
d’ailleurs renoncé au profit de la société des membres de la légion d’honneur.
Ça ne sert pas de coupe-file non plus, ça n’offre pas la possibilité d’avoir du
rabiot dans les pinces-fesses et on n’est pas mieux servi ni chez son boucher
ni dans les administrations. C’est même pire que ça : il faut payer des
droits à la Grande Chancellerie, environ une vingtaine d’euros, et se payer sa
médaille. Sans parler du pot qu’on offre à ses copains, collègues et autres
parasites qu’on ne peut pas éviter pour célébrer ça. Donc ça coûte plus que ça
ne rapporte.
Je disais simplement ça par
rapport à certaines réactions qui laissent supposer qu’une entrée dans l’ordre
des légionnaires change la vie. Que ceux qui pensaient cela se rassurent
donc : ça ne rapporte rien.
Il faut donc se placer à un autre
niveau, celui d’une forme de reconnaissance de ses mérites par la nation
représentée par son gouvernement puisque ce sont les ministères qui font la
demande d’attribution après avoir effectué un tri parmi les dossiers constitués
par une administration centrale, un préfet, une association, une personnalité
politique ou un groupe de 50 personnes. Car en effet, on ne demande pas la
légion d’honneur, d’autres s’en chargent pour vous. Même si rien n’empêche de
signaler de façon non officielle et discrète vos éminents services auprès de
ceux qui pourront faire quelque chose pour vous. Car le ruban rouge reste
prisé. Sans doute parce que rare. Du moins relativement. En effet moins de
100 000 Français vivants sont concernés, soit 1 sur 650.
Les critères d’attribution
restent assez vagues. De fait mis à part les intéressés et ceux qui les ont
proposés, et saufs cas particuliers, parfois étonnants d’ailleurs, j’y
reviendrai, on ne sait guère quels mérites particuliers ont pu mener à une
telle distinction. La lecture du J.O. donne quelques éléments à ce sujet, mais
pas toujours, en mentionnant l’activité professionnelle ou associative des
intéressés ainsi que leur ancienneté, cette dernière semblant être un critère
majeur surtout quand il s’agit de membres de la fonction publique. Mais on
reste parfois étonné. Voilà quelques exemples tirés du J.O. du 31
décembre :
Services du premier ministre :
Mme B., présidente du conseil
d’administration d’une société anonyme d’hôtels ; 54 ans de services
M. L., architecte d’intérieur et
décorateur, président-directeur général d’une société d’architecture ; 48 ans
de services.
Mme M, présidente d’un centre
d’information sur les droits des femmes et des familles ; 37ans de services.
Mme P, cogérante d’une imprimerie ;
33 ans de services
Ministère des affaires
étrangères :
M. S., missionnaire de renfort à
la direction des ressources humaines au ministère ; 39 ans de services.
M. D., président d’une imprimerie
(Roumanie) ; 50 ans de services.
Ministère de l’écologie :
M. B., ancien pilote
d’hélicoptère ; 50 ans de services.
M.P., président d’une société de
vente de bois de construction ; 25 ans de services.
Ministère de l’éducation
nationale :
M.T., ancien délégué national
d’une organisation non gouvernementale à vocation humanitaire ; 37 ans de services.
Reconnaissons qu’il est difficile de faire un lien entre le domaine
d’action des ministères concernés et les activités telles qu’on peut les
imaginer dans le libellé. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive,
même si dans les faits l’essentiel des promus ont un lien visible avec les
activités du ministère qui les a proposés.
Par ailleurs quand le lien est
avéré, et c’est la grande majorité des cas, le libellé de l’activité du promu
est souvent si commun, c’est-à-dire partagé avec tellement d’autres individus,
qu’on peut se demander quels sont les critères objectifs de sélection. Bref,
tout cela semble très opaque et peut susciter jalousies et rancœur.
Néanmoins ce n’est pas cela qui
fait généralement réagir les gens, tout au moins ceux qui n’imaginent pas un
jour recevoir la légion d’honneur. Ce n’est pas tant la nomination de tel ou
tel fonctionnaire, de tel ou tel chef d’entreprise ou présidente du conseil d’administration d’une société anonyme d’hôtels
ou pilote d’hélicoptères qui les interpelle, que celle de gens connus,
politiques, acteurs, chanteurs, sportifs ou autres. Ceux-là finalement ne sont
qu’une poignée mais les projections négatives qui sont faites sur chacun d’eux
suffisent à discréditer l’institution de la légion d’honneur.
Les raisons sont évidemment
multiples aux rejets exprimés. On pourrait citer des appréciations négatives
sur le talent des acteurs par exemple (la carrière de Mimi Mathy a-t-elle à ce
point exalté la valeur du cinéma français qu’il était juste de l’honorer de la
sorte ? C’est juste une question). Le patriotisme de certains peut-être
aussi mis en cause (des évadés fiscaux aussi talentueux soient-ils méritent-ils
d’être honorés par la nation ? Des footeux qui refusent de chanter l’hymne
national, même s’ils marquent des buts doivent-ils être récompensés par une
entrée dans l’ordre de la légion d’honneur ?). Le copinage politique est
dénoncé (qu’a fait Jack Lang d’exceptionnel pour la France depuis sa nomination
au grade de chevalier pour être distingué cette année au rang d’officier ?).
Certes toutes ces critiques sont recevables, même si certaines restent dans un
ordre du plus subjectif.
Mais il est quand même une notion
essentielle qu’il conviendrait de ne pas oublier. Celle de l’honneur. Elle
semble d’ailleurs être prise en compte. Parfois. N’a-t-on pas destitué de l’ordre
Papon ou Aussaresses parce qu’ils avaient commis des crimes jugés contre l’honneur ?
Personnellement j’ai des doutes sur l’opportunité d’avoir destitué le second
dont le seul vrai crime est d’avoir avoué des pratiques que tout le monde
connaissait. D’autres qui ont commis les mêmes choses et ceux qui les ont sinon
autorisées au moins couvertes, n’ont pas connu cette redoutable sanction, notamment
pour un soldat dont les services furent particulièrement élogieux dès la
seconde guerre mondiale. Encore une victime de l’air du temps.
Mais on est néanmoins moins
sourcilleux avec l’honorabilité de certains autres qui n’ont pourtant pas rendu
la moitié du quart (et je suis encore loin du compte) des services à la France
rendus par Aussaresses et dont le patriotisme est pour le moins douteux. Dire
que j’ai été surpris de voir nommer à la dignité de grand-officier, ce qui
correspond à une quatrième nomination dans l’ordre, le veuf (peut-on dire ainsi ?
Sans doute désormais) d’un grand couturier, patron de presse et d’autres
choses, membre éminent de la gauche caviar, bienfaiteur du parti socialiste et
de certains de ses membres en particulier (le Bettencourt de la gauche ?),
militant acharné des LBGT, défenseur actif de la GPA,…, dire que j’ai été
surpris serait faux. Pourtant ça coince. Du moins pour moi. Car une recherche
biographique montre un rejet précoce de la nation chez cet homme qui s’est
dérobé au service militaire et indique que l‘individu a été également condamné
pour délit d’initié. Son attitude vis-à-vis de journalistes et de publications
quand certains articles ne vont pas dans le sens de sa pensée montre également
le côté sectaire de l’individu dont il serait difficile de dire qu’il est
honorable. Mais sa fortune et ses amitiés notamment politiques recouvrent d’un
voile pudique tout cela et lui permettent donc de pouvoir arborer une plaque
sur sa poitrine. Lui, c’est mon avis, jette bien davantage le discrédit sur l’institution
de la légion d’honneur que le fonctionnaire qui a servi honnêtement pendant 40
ans et, bien qu’on ait du mal à trouver quelque chose d’extraordinaire dans sa
carrière, se voit récompensé de la croix de chevalier.
Pour terminer je voudrais sortir
de considérations très générales sur la légion d’honneur pour évoquer
brièvement le cas Piketty.
Tout d’abord je suis très étonné
qu’il ait appris par le J.O. sa nomination. La procédure exige souvent que soit
contactés ceux qui peuvent prétendre à la légion d’honneur, ne serait-ce que
pour corroborer certains éléments biographiques. Accordons-lui néanmoins le
bénéfice du doute et rejetons cette idée qu’il aurait voulu faire un coup d’éclat.
Sur ce blog on ne médit pas. Ou du moins on évite d’avancer des informations
non vérifiées.
Je ne suis pas étonné qu’il ait
refusé, avec les nuances indiquées en préambule sur ce que recouvre le refus de
la légion d’honneur. S’il ne l’avait pas fait on aurait u dire qu’il allait,
symboliquement, à la soupe ou se laissait séduire par un hochet brandi par
celui qui l’a trahi.
Il n’est pas inutile de rappeler
que Piketty est proche du PS (était ?) et a été un membre actif de la
campagne de Hollande. Il n’est pas inutile de rappeler que ce dernier s’est
approprié les idées de Piketty, et notamment cette idée de grande réforme
fiscale, pour évidemment ne jamais les appliquer. On peut donc comprendre que l’économiste
s’est senti trahi, d’autant plus que les orientations du gouvernement étaient
considérées par lui à l’opposé de ce qu’il fallait faire. Pépère pensait sans
doute s’en sortir par l’octroi d’un ruban rouge. Pas de bol ! La réaction
dont on comprend dès lors qu’elle a tendance à irriter certains membres du
gouvernement nous révèle, enfin plutôt nous rappelle, car il n’y a pas de
révélation dans cela, quelle est la véritable nature de celui que nous avons
encore un peu plus de deux ans à supporter.
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