"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 7 janvier 2015

Ma lecture de "Soumission"





Pendant que j’écrivais ce billet un attentat meurtrier était commis contre le siège de Charlie-Hebdo. Les auteurs de cet attentat ont clairement indiqué leur appartenance religieuse. Leur acte a été commis au nom de leur religion, la même que celle qu’ils partagent avec des millions d’autres dans notre pays. Alors certes il ne faut pas faire, comme on dit, d’amalgame. Personne n’a à mettre sur un même pied ceux qui ont commis ces lâches assassinats, ne laissant aucune chance à leurs victimes abattues froidement, et tous les autres. Mais ces mêmes autres ne forment pas une masse homogène. Ces autres n’ont pas tous la même vision de la place de l’islam dans notre société réputée laïque, ni n’envisagent de manière univoque l’avenir de cette place. Et donc pas davantage que ceux qui éprouvent un rejet des musulmans dans leur ensemble, ceux qui prennent systématiquement leur défense sans vouloir observer ces différentes nuances n’ont raison.
La voie la plus juste est donc le questionnement. Le questionnement de l’islam qui ne doit pas être tabou. Les textes qui régissent l’islam sont assez équivoques pour que soient éclairés les violences des uns et le pacifisme des autres. Ça il faut pouvoir le dire et le montrer sans être systématiquement insulté et accusé de je ne sais que racisme contre une religion (!). Mais ce n’est pas assez encore. Nous devons trouver le moyen, fut-il coercitif, et là la loi de 1905 constitue en théorie un outil efficace, d’être sûr que les membres d’une religion, quelle qu’elle soit d’ailleurs, mais une seule semble poser problème, n’incite pas, voire n’oblige pas à modifier nos modes de vie et surtout à remettre en cause des valeurs qui se sont construites avec les siècles et qui sont les nôtres, celles que nous devrions avoir à cœur de faire partager plutôt que de les considérer pas meilleures finalement que celles importées d’ailleurs. Et pour cela nous aurions bien besoin de l’aide des musulmans qui plutôt que vouloir reproduire chez nous la façon dont ils vivaient chez eux, ou la façon dont vivaient leurs parents ou grands-parents, même si par ailleurs tout cela relève parfois chez eux du fantasme, ont décidé de faire de la religion une affaire privée et sont prêts à se battre, par les mots, par les idées et pourquoi pas par les armes si le besoin s’en faisait sentir, pour ce pays qui est devenu le leur parce qu’ils s’en sont appropriés l’âme ou le legs comme aurait dit Renan.
Je tenais à livrer cette courte réflexion avant mon billet de ce jour que j’ai hésité à publier. Mais quels que soient l’émotion, la compassion, ou le respect pour ceux tombés aujourd’hui pour le droit de s’exprimer, il ne faut pas que des ordures nous dictent nos conduites.
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Comme d’habitude, les réactions au livre de Houellebecq, les réactions les plus nombreuses, celles relayées par les médias ayant toujours à cœur de laisser s’exprimer ceux qui pensent bien, enfin ceux qui pensent qu’on ne doit pas penser autrement qu’eux, ceux qui voient un monde tel qu’il n’est pas et deviennent de plus en plus vindicatifs à mesure que leur crédibilité s’efface, les réactions à « Soumission » donc s’appuient sur ce qui n’existe pas dans le livre, à savoir l’expression d’un rejet de l’islam. Le procédé est bien connu. Il fut utilisé récemment avec Zemmour, avec un succès relatif, quand on accusa celui-ci de réhabiliter le régime de Vichy.

Or le roman de Houellebecq n’a rien d’islamophobe. Certains pourraient même affirmer le contraire. Le héros désastreux du roman ne se convertit-il pas comme d’autres intellectuels l’ont fait avant lui ? Les maux qui rongent notre société, chômage, délinquance,…, ne sont-ils pas éradiqués par ce régime assez tolérant pour accepter les autres religions et leur pratique (même si les Juifs se sentent incités à s’exiler pour Israël) ? Ce régime n’a-t-il pas une vision pour la France et au-delà une Europe élargie (très élargie) où elle aurait une place prédominante ?
Certes il y a des aspects de ce régime qui peuvent paraitre déplaisants à certains, et surtout à certaines : une hiérarchisation de la société selon les sexes mais aussi selon l’appartenance religieuse et les compétences, ce dernier point apparaissant clairement dans l’explication de la polygamie comme une forme d’eugénisme par celui qui amènera le narrateur à se convertir. Mais après tout quoi de nouveau là-dedans ? Cela ne correspond-t-il pas à une réalité dans les pays asservis par l’islam ? Comment donc pourrions-nous y échapper nous-mêmes dans le même cas de figure ? Adapté à notre pays, à notre culture, ce régime nous laisserait donc un semblant de liberté, mais au détriment de l’égalité et d’une fraternité incluant la sororité. Sans doute une bonne définition de ce qu’on appelle l’islam modéré. Le décrire ainsi ne constitue pas un rejet de l’islam, mais une description qu’on pourrait même qualifier de bienveillante si on considère la manière dont ça se passe dans certaines parties du monde. Et donc on peut s’interroger sur ce qui pousse ceux qui accusent Houellebecq d’islamophobie à le faire. Lui reprochent-ils de décrire ce qui est une réalité, pas (encore) chez nous, mais ailleurs, ou atteints de cécité lui reprochent-ils de montrer quelque chose qui n’existe pas et qu’ils rejettent. Auquel cas si leurs yeux s’ouvrent enfin, ils deviendront des islamophobes résolus.

Mais revenons au roman et à son contenu. C’est évidemment une fiction. Le fait même de montrer Hollande effectuant un second mandat le prouve de façon éclairante. Ce ne sera non plus en 2022 qu’un parti musulman arrivera au pouvoir en France. Plus tard peut-être, dans quelques décennies. En fait c’est un possible que décrit Houellebecq, un futur plausible. Il en avait décrit un autre dans « La carte et le territoire ». S’il place son scénario à cette date proche, c’est pour mieux se livrer au véritable objectif de son roman qui est une critique de la société française et notamment de ses élites, intellectuelles et politiques, et des médias.
Car finalement le peuple est très absent du roman. On comprend qu’il s’est soumis, soumis à un régime qui lui apporte finalement un certain confort, le privant de ses tracasseries matérielles, le confinant dans une certaine uniformité, l’écartant de tout débat sur l’évolution de la société puisqu’il n’y a plus lieu qu’il en existe. En fait ce régime apporte l’ordre et donc le repos, surtout de l’esprit. N’est-ce pas appréciable pour un peuple fatigué de lui-même, fatigué de son histoire qu’on lui a présentée sous un jour aussi sombre, fatigué de sa culture qui ne valait pas mieux que les autres, fatigué de son occidentalité sans sens ? La soumission devient donc la délivrance d’un fardeau si lourd à porter.

Les intellectuels sont visés par le roman. Le héros, anti-héros, de celui-ci en est un lui-même. Devenu universitaire, non par goût mais par fatalité après une thèse remarquée sur Huysmans, il fournira un bouquin sur le même sujet quelques années plus tard ce qui lui permettra de passer du statut de maitre de conférences à celui de professeur des universités. Le grand avantage qu’il y voit est une réduction de ses charges horaires, cela lui permettant de concentrer son activité d’enseignant en une seule journée… pour ne rien faire le reste de la semaine. C’est une activité qu’il envisage sans enthousiasme. Juste un gagne-pain confortable. Relativement asocial, il a peu d’amis, même pas du tout, juste des connaissances qu’il supporte, et donc pas de famille. Il ne voit plus ses parents qu’il a délaissés, à moins que ce soit le contraire. Et quant à fonder une famille, il s’en sent bien incapable. Il préfère se mettre en couple avec une de ses étudiantes chaque année avant de se faire larguer pendant les vacances, ce qui l’arrange bien finalement. Seule sa dernière conquête, avant qu’il ne passe aux amours tarifées, importera dans le livre parce qu’elle est juive et face aux événements rejoindra Israël avec ses parents, espérant revenir en France avant d’abandonner cette idée. Et à cette occasion il l’enviera en se faisant cette réflexion : « Il n’y a pas d’Israël pour moi ». Donc obligé de subir…ou de se soumettre. Ce qu’il fera évidement pour plus ou moins exister, pour le fric, pour le cul et en même temps le confort de la vie en ménage. Pas en couple, car son initiateur lui explique qu’il aura les moyens d’entretenir 3 femmes qu’il n’aura même pas à choisir, chose décidemment trop compliquée pour lui.
Le portrait n’est guère séduisant. Mais qui n’a pas connu en fréquentant les milieux universitaires de ces professeurs qui n’avaient plus la flamme (l’avaient-ils eu un jour ?), qui méprisaient leurs étudiants, qui couchaient occasionnellement avec des étudiantes subjuguées ou souhaitant améliorer leurs notes (apparait ici une inégalité homes/femmes guère dénoncée), et dont les doctorants dont ils avaient la charge n’avaient rien à attendre ?
Sinon d’une manière plus générale, les intellectuels ne sont guère à la fête dans ce roman. Ou plutôt est-ce leur fête. Preuve en est cette phrase : « tant d’intellectuels en France au cours du XX e siècle avaient soutenu Staline, Mao ou Pol Pot sans que cela ne leur soit jamais reproché ; l’intellectuel en France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature
D’une manière générale, le nouveau régime est généreux avec eux, cela facilitant leur soumission, conversion pardon. Quant à ceux qui n’envisagent pas cela, ils sont relativement bien traités, souvent par le biais de retraites anticipées et généreuses. Le prix du silence !
Un seul résistant cité dans le roman : Michel Onfray. On imagine Zemmour en Israël.

Les journalistes, quant à eux, méritent amplement les critiques dont ils font l’objet. Ce n’est pas le roman qui les fait apparaitre. Il ne fait que constater que ce que chacun peut observer.
Manque de professionnalisme, détournement de la vérité, mensonge par omission (en fait par servilité vis-à-vis du pouvoir ou d’une idéologie) sont les caractéristiques générales du journalisme français. Ainsi dans le roman, voit-on des médias occulter ce qui ne plait pas, ce qui n’est pas dans l’air du temps. Les affrontements inter-ethniques sont passés sous silence. Cela est d’autant plus facile à occulter la réalité que les médias sont (devenus – dans le roman) un espace clos et endogame. Par ailleurs, paresse ou soumission ?, les médias ne fouillent guère dans le passé des gens qui comptent des fois qu’ils y trouveraient des choses, des déclarations en particulier, compromettantes.

Les politiques figurent une cible majeure dans la fiction de Houellebecq. Comme le roman se passe en 2022, on retrouve ceux qu’on connait déjà puisque politique c’est une profession. On a bien sûr un Hollande en fin de course, méprisé par tous et qui n’a dû son second mandat qu’à un « 21 avril » inversé, conformément à la seule stratégie qui pouvait réussir pour qu’il soit réélu. Deux fois président par défaut ! Un record ! Son « fidèle » premier ministre, Valls est aussi présent et porte les couleurs du PS à l’occasion de la présidentielle qu’il espère gagner en renouvelant le coup de Jarnac de son prédécesseur. On retrouve Copé à la tête d’une UMP qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, ainsi que l’éternel Bayrou, qualifié de stupide et autres qualificatifs mérités, qui parviendra enfin à accomplir ce qu’il croit être un destin national, en devenant un premier ministre de paille, faute de pouvoir accéder à la magistrature suprême. Evidemment Marine Le Pen est présente en tant que challenger du futur nouveau président. Mélenchon sera évoqué aussi en tant que point de résistance au nouveau régime.
Et évidemment il y a le petit nouveau, Mohammed Ben Abbes, un modèle d’intégration réussie (Polytechnique, ENA) mais pas gagné à la laïcité. On pourrait dire « intégré mais pas assimilé ». Ceux qui ont du mal à faire la nuance trouveront peut-être ici une illustration de ce qu’elle est. Nous avons là un homme habile avec de grandes ambitions. Il sera un moteur de l’islamisation de l’Europe, grâce à un habile basculement démographique (et donc culturel) qui s’opérera en intégrant dans l’UE les pays du Maghreb, puis l’Egypte, la Syrie, etc. Il reconstituera une forme d’empire romain par la négociation. Mais un empire islamique. Méthode soft, mais efficace.
Mais revenons à nos politiques, ceux qui existent, les nôtres… à l’origine de ce basculement de la société. Je n’emploie pas le mot de catastrophe voulant rester fidèle à l’auteur qui ne juge pas.
La victoire de Ben Abbes est la concrétisation de l’échec des partis dits de gouvernement. Leur grande faute est d’avoir tenté d’imposer cette idée qu’il n’y avait pas d’alternative autre que le choix entre le social-libéralisme et le libéralisme social. Ils n’ont pas compris que l’élection allait se gagner sur les valeurs. Or il y a les montantes et les déclinantes. Celles d’un islam se présentant modéré et celles d’un occident en perte de sens. On notera par ailleurs un certain nombre de valeurs partagées par les deux mouvances, la conception de la famille par exemple, et qui permettront à quelques identitaires de changer de camp et d’être en pointe dans le nouveau régime. L’universitaire qui amène le narrateur à sa conversion, et qui est destiné à occuper de hautes fonctions (ministre des affaires étrangères), est issu de la mouvance identitaire.
Nos politiques, ceux que nous connaissons, quant à eux montrent quelle est leur motivation la plus profonde : aller à la soupe. N’ayant aucune place à attendre dans un gouvernement dont Marine Le Pen serait à la tête, ils réfèrent se rallier, en quête de maroquins, à Ben Abbes lui assurant donc une victoire qui pourtant n’était pas assurée. Pour cela, bien sûr, ils avaleront toutes les couleuvres nécessaires, jetant aux orties les convictions que jusqu’alors ils affichaient. Et mieux, le gouvernement sortant laissera perturber un second tour électoral pour le reporter, le temps de se donner les moyens de garantir les chances de succès de Ben Abbes et en même temps de s’assurer de futures places. Les fonctionnaires de la DGSI qui les auront avertis des perturbations prévisibles seront révoqués avant d’avoir pu approfondir leurs investigations et empêcher ce sabotage.
Voilà un beau tableau surprenant de réalisme.

Cette lecture que j’ai faite de « Soumission » peut-être bien sûr contestée. Ceux qui verront là seulement une œuvre islamophobe, un torchon islamophobe pardon, auront peut-être des arguments à opposer à cette perception. Ou pas. Mais qu’ils ne soient pas d’accord, même en panne d’arguments, ne m‘étonnera guère, car ce livre est un miroir que leur tend Houellebecq et je comprends qu’ils s’y trouvent moches.

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