Pendant
que j’écrivais ce billet un attentat meurtrier était commis contre le siège de
Charlie-Hebdo. Les auteurs de cet attentat ont clairement indiqué leur
appartenance religieuse. Leur acte a été commis au nom de leur religion, la
même que celle qu’ils partagent avec des millions d’autres dans notre pays.
Alors certes il ne faut pas faire, comme on dit, d’amalgame. Personne n’a à
mettre sur un même pied ceux qui ont commis ces lâches assassinats, ne laissant
aucune chance à leurs victimes abattues froidement, et tous les autres. Mais
ces mêmes autres ne forment pas une masse homogène. Ces autres n’ont pas tous
la même vision de la place de l’islam dans notre société réputée laïque, ni n’envisagent
de manière univoque l’avenir de cette place. Et donc pas davantage que ceux qui
éprouvent un rejet des musulmans dans leur ensemble, ceux qui prennent
systématiquement leur défense sans vouloir observer ces différentes nuances n’ont
raison.
La voie
la plus juste est donc le questionnement. Le questionnement de l’islam qui ne
doit pas être tabou. Les textes qui régissent l’islam sont assez équivoques
pour que soient éclairés les violences des uns et le pacifisme des autres. Ça il
faut pouvoir le dire et le montrer sans être systématiquement insulté et accusé
de je ne sais que racisme contre une religion (!). Mais ce n’est pas assez
encore. Nous devons trouver le moyen, fut-il coercitif, et là la loi de 1905
constitue en théorie un outil efficace, d’être sûr que les membres d’une
religion, quelle qu’elle soit d’ailleurs, mais une seule semble poser problème,
n’incite pas, voire n’oblige pas à modifier nos modes de vie et surtout à
remettre en cause des valeurs qui se sont construites avec les siècles et qui
sont les nôtres, celles que nous devrions avoir à cœur de faire partager plutôt
que de les considérer pas meilleures finalement que celles importées d’ailleurs.
Et pour cela nous aurions bien besoin de l’aide des musulmans qui plutôt que
vouloir reproduire chez nous la façon dont ils vivaient chez eux, ou la façon
dont vivaient leurs parents ou grands-parents, même si par ailleurs tout cela
relève parfois chez eux du fantasme, ont décidé de faire de la religion une
affaire privée et sont prêts à se battre, par les mots, par les idées et
pourquoi pas par les armes si le besoin s’en faisait sentir, pour ce pays qui
est devenu le leur parce qu’ils s’en sont appropriés l’âme ou le legs comme
aurait dit Renan.
Je tenais
à livrer cette courte réflexion avant mon billet de ce jour que j’ai hésité à
publier. Mais quels que soient l’émotion, la compassion, ou le respect pour
ceux tombés aujourd’hui pour le droit de s’exprimer, il ne faut pas que des
ordures nous dictent nos conduites.
*
* *
Comme d’habitude, les réactions
au livre de Houellebecq, les réactions les plus nombreuses, celles relayées par
les médias ayant toujours à cœur de laisser s’exprimer ceux qui pensent bien,
enfin ceux qui pensent qu’on ne doit pas penser autrement qu’eux, ceux qui
voient un monde tel qu’il n’est pas et deviennent de plus en plus vindicatifs à
mesure que leur crédibilité s’efface, les réactions à « Soumission »
donc s’appuient sur ce qui n’existe pas dans le livre, à savoir l’expression d’un
rejet de l’islam. Le procédé est bien connu. Il fut utilisé récemment avec
Zemmour, avec un succès relatif, quand on accusa celui-ci de réhabiliter le
régime de Vichy.
Or le roman de Houellebecq n’a
rien d’islamophobe. Certains pourraient même affirmer le contraire. Le héros
désastreux du roman ne se convertit-il pas comme d’autres intellectuels l’ont
fait avant lui ? Les maux qui rongent notre société, chômage, délinquance,…,
ne sont-ils pas éradiqués par ce régime assez tolérant pour accepter les autres
religions et leur pratique (même si les Juifs se sentent incités à s’exiler
pour Israël) ? Ce régime n’a-t-il pas une vision pour la France et au-delà
une Europe élargie (très élargie) où elle aurait une place prédominante ?
Certes il y a des aspects de ce
régime qui peuvent paraitre déplaisants à certains, et surtout à certaines :
une hiérarchisation de la société selon les sexes mais aussi selon l’appartenance
religieuse et les compétences, ce dernier point apparaissant clairement dans l’explication
de la polygamie comme une forme d’eugénisme par celui qui amènera le narrateur
à se convertir. Mais après tout quoi de nouveau là-dedans ? Cela ne
correspond-t-il pas à une réalité dans les pays asservis par l’islam ?
Comment donc pourrions-nous y échapper nous-mêmes dans le même cas de figure ?
Adapté à notre pays, à notre culture, ce régime nous laisserait donc un semblant
de liberté, mais au détriment de l’égalité et d’une fraternité incluant la
sororité. Sans doute une bonne définition de ce qu’on appelle l’islam modéré.
Le décrire ainsi ne constitue pas un rejet de l’islam, mais une description qu’on
pourrait même qualifier de bienveillante si on considère la manière dont ça se
passe dans certaines parties du monde. Et donc on peut s’interroger sur ce qui
pousse ceux qui accusent Houellebecq d’islamophobie à le faire. Lui
reprochent-ils de décrire ce qui est une réalité, pas (encore) chez nous, mais
ailleurs, ou atteints de cécité lui reprochent-ils de montrer quelque chose qui
n’existe pas et qu’ils rejettent. Auquel cas si leurs yeux s’ouvrent enfin, ils
deviendront des islamophobes résolus.
Mais revenons au roman et à son
contenu. C’est évidemment une fiction. Le fait même de montrer Hollande
effectuant un second mandat le prouve de façon éclairante. Ce ne sera non plus
en 2022 qu’un parti musulman arrivera au pouvoir en France. Plus tard
peut-être, dans quelques décennies. En fait c’est un possible que décrit
Houellebecq, un futur plausible. Il en avait décrit un autre dans « La
carte et le territoire ». S’il place son scénario à cette date proche, c’est
pour mieux se livrer au véritable objectif de son roman qui est une critique de
la société française et notamment de ses élites, intellectuelles et politiques,
et des médias.
Car finalement le peuple est très
absent du roman. On comprend qu’il s’est soumis, soumis à un régime qui lui
apporte finalement un certain confort, le privant de ses tracasseries
matérielles, le confinant dans une certaine uniformité, l’écartant de tout
débat sur l’évolution de la société puisqu’il n’y a plus lieu qu’il en existe.
En fait ce régime apporte l’ordre et donc le repos, surtout de l’esprit. N’est-ce
pas appréciable pour un peuple fatigué de lui-même, fatigué de son histoire qu’on
lui a présentée sous un jour aussi sombre, fatigué de sa culture qui ne valait
pas mieux que les autres, fatigué de son occidentalité sans sens ? La
soumission devient donc la délivrance d’un fardeau si lourd à porter.
Les intellectuels sont visés par
le roman. Le héros, anti-héros, de celui-ci en est un lui-même. Devenu
universitaire, non par goût mais par fatalité après une thèse remarquée sur
Huysmans, il fournira un bouquin sur le même sujet quelques années plus tard ce
qui lui permettra de passer du statut de maitre de conférences à celui de
professeur des universités. Le grand avantage qu’il y voit est une réduction de
ses charges horaires, cela lui permettant de concentrer son activité d’enseignant
en une seule journée… pour ne rien faire le reste de la semaine. C’est une
activité qu’il envisage sans enthousiasme. Juste un gagne-pain confortable. Relativement
asocial, il a peu d’amis, même pas du tout, juste des connaissances qu’il
supporte, et donc pas de famille. Il ne voit plus ses parents qu’il a
délaissés, à moins que ce soit le contraire. Et quant à fonder une famille, il
s’en sent bien incapable. Il préfère se mettre en couple avec une de ses
étudiantes chaque année avant de se faire larguer pendant les vacances, ce qui
l’arrange bien finalement. Seule sa dernière conquête, avant qu’il ne passe aux
amours tarifées, importera dans le livre parce qu’elle est juive et face aux
événements rejoindra Israël avec ses parents, espérant revenir en France avant
d’abandonner cette idée. Et à cette occasion il l’enviera en se faisant cette
réflexion : « Il n’y a pas d’Israël
pour moi ». Donc obligé de subir…ou de se soumettre. Ce qu’il fera
évidement pour plus ou moins exister, pour le fric, pour le cul et en même
temps le confort de la vie en ménage. Pas en couple, car son initiateur lui
explique qu’il aura les moyens d’entretenir 3 femmes qu’il n’aura même pas à
choisir, chose décidemment trop compliquée pour lui.
Le portrait n’est guère
séduisant. Mais qui n’a pas connu en fréquentant les milieux universitaires de
ces professeurs qui n’avaient plus la flamme (l’avaient-ils eu un jour ?),
qui méprisaient leurs étudiants, qui couchaient occasionnellement avec des
étudiantes subjuguées ou souhaitant améliorer leurs notes (apparait ici une
inégalité homes/femmes guère dénoncée), et dont les doctorants dont ils avaient
la charge n’avaient rien à attendre ?
Sinon d’une manière plus
générale, les intellectuels ne sont guère à la fête dans ce roman. Ou plutôt
est-ce leur fête. Preuve en est cette phrase : « tant d’intellectuels en France au cours du XX e siècle avaient soutenu
Staline, Mao ou Pol Pot sans que cela ne leur soit jamais reproché ; l’intellectuel
en France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature.»
D’une manière générale, le
nouveau régime est généreux avec eux, cela facilitant leur soumission,
conversion pardon. Quant à ceux qui n’envisagent pas cela, ils sont
relativement bien traités, souvent par le biais de retraites anticipées et
généreuses. Le prix du silence !
Un seul résistant cité dans le
roman : Michel Onfray. On imagine Zemmour en Israël.
Les journalistes, quant à eux,
méritent amplement les critiques dont ils font l’objet. Ce n’est pas le roman
qui les fait apparaitre. Il ne fait que constater que ce que chacun peut
observer.
Manque de professionnalisme,
détournement de la vérité, mensonge par omission (en fait par servilité
vis-à-vis du pouvoir ou d’une idéologie) sont les caractéristiques générales du
journalisme français. Ainsi dans le roman, voit-on des médias occulter ce qui
ne plait pas, ce qui n’est pas dans l’air du temps. Les affrontements
inter-ethniques sont passés sous silence. Cela est d’autant plus facile à
occulter la réalité que les médias sont (devenus – dans le roman) un espace
clos et endogame. Par ailleurs, paresse ou soumission ?, les médias ne
fouillent guère dans le passé des gens qui comptent des fois qu’ils y
trouveraient des choses, des déclarations en particulier, compromettantes.
Les politiques figurent une cible
majeure dans la fiction de Houellebecq. Comme le roman se passe en 2022, on retrouve
ceux qu’on connait déjà puisque politique c’est une profession. On a bien sûr
un Hollande en fin de course, méprisé par tous et qui n’a dû son second mandat
qu’à un « 21 avril » inversé, conformément à la seule stratégie qui
pouvait réussir pour qu’il soit réélu. Deux fois président par défaut ! Un
record ! Son « fidèle » premier ministre, Valls est aussi
présent et porte les couleurs du PS à l’occasion de la présidentielle qu’il
espère gagner en renouvelant le coup de Jarnac de son prédécesseur. On retrouve
Copé à la tête d’une UMP qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, ainsi que l’éternel
Bayrou, qualifié de stupide et autres qualificatifs mérités, qui parviendra
enfin à accomplir ce qu’il croit être un destin national, en devenant un premier
ministre de paille, faute de pouvoir accéder à la magistrature suprême.
Evidemment Marine Le Pen est présente en tant que challenger du futur nouveau
président. Mélenchon sera évoqué aussi en tant que point de résistance au
nouveau régime.
Et évidemment il y a le petit
nouveau, Mohammed Ben Abbes, un modèle d’intégration réussie (Polytechnique,
ENA) mais pas gagné à la laïcité. On pourrait dire « intégré mais pas
assimilé ». Ceux qui ont du mal à faire la nuance trouveront peut-être ici
une illustration de ce qu’elle est. Nous avons là un homme habile avec de grandes
ambitions. Il sera un moteur de l’islamisation de l’Europe, grâce à un habile
basculement démographique (et donc culturel) qui s’opérera en intégrant dans l’UE
les pays du Maghreb, puis l’Egypte, la Syrie, etc. Il reconstituera une forme d’empire
romain par la négociation. Mais un empire islamique. Méthode soft, mais
efficace.
Mais revenons à nos politiques,
ceux qui existent, les nôtres… à l’origine de ce basculement de la société. Je
n’emploie pas le mot de catastrophe voulant rester fidèle à l’auteur qui ne
juge pas.
La victoire de Ben Abbes est la
concrétisation de l’échec des partis dits de gouvernement. Leur grande faute
est d’avoir tenté d’imposer cette idée qu’il n’y avait pas d’alternative autre
que le choix entre le social-libéralisme et le libéralisme social. Ils n’ont
pas compris que l’élection allait se gagner sur les valeurs. Or il y a les
montantes et les déclinantes. Celles d’un islam se présentant modéré et celles
d’un occident en perte de sens. On notera par ailleurs un certain nombre de
valeurs partagées par les deux mouvances, la conception de la famille par
exemple, et qui permettront à quelques identitaires de changer de camp et d’être
en pointe dans le nouveau régime. L’universitaire qui amène le narrateur à sa
conversion, et qui est destiné à occuper de hautes fonctions (ministre des affaires
étrangères), est issu de la mouvance identitaire.
Nos politiques, ceux que nous
connaissons, quant à eux montrent quelle est leur motivation la plus profonde :
aller à la soupe. N’ayant aucune place à attendre dans un gouvernement dont Marine
Le Pen serait à la tête, ils réfèrent se rallier, en quête de maroquins, à Ben
Abbes lui assurant donc une victoire qui pourtant n’était pas assurée. Pour
cela, bien sûr, ils avaleront toutes les couleuvres nécessaires, jetant aux
orties les convictions que jusqu’alors ils affichaient. Et mieux, le
gouvernement sortant laissera perturber un second tour électoral pour le
reporter, le temps de se donner les moyens de garantir les chances de succès de
Ben Abbes et en même temps de s’assurer de futures places. Les fonctionnaires
de la DGSI qui les auront avertis des perturbations prévisibles seront révoqués
avant d’avoir pu approfondir leurs investigations et empêcher ce sabotage.
Voilà un beau tableau surprenant
de réalisme.
Cette lecture que j’ai faite de « Soumission »
peut-être bien sûr contestée. Ceux qui verront là seulement une œuvre islamophobe,
un torchon islamophobe pardon, auront peut-être des arguments à opposer à cette
perception. Ou pas. Mais qu’ils ne soient pas d’accord, même en panne d’arguments,
ne m‘étonnera guère, car ce livre est un miroir que leur tend Houellebecq et je
comprends qu’ils s’y trouvent moches.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire