"Glaçante", c'est le terme que j'ai pu lire et qui qualifiait cette fameuse photo d'un de nos légionnaires en opération au Mali. Le misérable, pensez-donc, avait couvert le bas de son visage d'un foulard sur lequel était imprimé la partie inférieure d'une tête de mort, ce qui avec ses lunettes anti-sable lui donnait un look d'enfer, si j'ose m'exprimer ainsi. Pour ma part quand j'ai vu cette photo, j'ai regretté que ce genre d'accessoire n'existât pas quand j'étais jeune chef de section, car j'en aurais volontiers équipé mes hommes, histoire de rigoler. Je me serais sans doute fait remonter les bretelles par mon capitaine, bien que j'en ai connu certains qui n'auraient rien dit, mais en tout cas la probabilité que je me fasse prendre en photo par un journaliste était assez faible pour qu'on en reste là. Je ne sais pas ce qui leur prend à ceux-là de vouloir suivre désormais les armées. Je crois que ça a commencé avec la guerre du Golfe, cette manie bien inutile puisqu'ils ne peuvent que ramasser les nonos qu'on veut bien leur laisser. D'ailleurs fort peu s'aventurent là où ça pourrait être dangereux, préférant suivre les événements depuis leur hôtel climatisé. Et c'est tant mieux. Tout ça pour dire que jusqu'à une époque assez récente les militaires avaient leur propre service chargé d'immortaliser sur pellicule leurs actions. Certains noms de ces journalistes de guerre sont entrés dans l'histoire. Je citerai le regretté Pierre Schoendorffer dont quand même pas mal de monde a entendu parler. Le service existe toujours, mais désormais il faut faire avec les éléments rapportés en espérant qu'ils n'aillent pas se perdre chez l'ennemi.
AFP / Issouf Sanogo |
Mais revenons à notre photo. Donc un journaliste de l'AFP qui accompagne les militaire français saisit l'image d'un légionnaire avec le fameux foulard. Il n'y avait sans doute rien d'intéressant à voir et donc l'insolite a du attirer notre reporter qui ne semble pas par ailleurs être un mauvais bougre puisque lui-même désormais essaie de désamorcer la polémique. Il déclare en effet sur le site de l'AFP :
"Je me trouvais aux côtés de militaires français stationnés à côté d'un terrain vague, près de la préfecture de Niono. Un hélicoptère était en train d'atterrir et soulevait d'énormes nuages de poussière. Instinctivement, tous les soldats à proximité ont mis leurs foulards devant leurs visages pour éviter d'avaler du sable. C'était le soir. Les rayons de soleil filtraient à travers les arbres et les nuages soulevés par l'hélico. C'était une belle lumière. J'ai repéré ce soldat qui portait un drôle de foulard et j'ai pris la photo. Sur le moment je n'ai pas trouvé la scène particulièrement extraordinaire, ni choquante. Le soldat ne posait pas. Il n'y a aucune mise en scène dans cette image. Le gars ne faisait que se tenir là, en se protégeant le visage de la poussière, en attendant qu'un hélicoptère se pose. Personne, non plus, n'a tenté de m'empêcher de prendre la photo." Et d'ajouter : "Les soldats travaillent dans des conditions difficiles. Ils avalent des milliers de kilomètres de route, alors ils font ce qu'ils peuvent pour se distraire un peu. Je ne sais pas qui est le soldat au foulard et j'aurais bien du mal à le reconnaître si je le croise à nouveau. Je crois, et j'espère, qu'il sera impossible de l'identifier. Je ne suis même pas sûr qu'il soit au courant de tout ce que les gens racontent sur son dos!" Voilà tout est dit "se distraire un peu".
Lui n'y voyait pas grand mal, ni même de mal du tout. Mais c'était sans compter avec les rapaces du ministère, civils ou militaires, poltrons confirmés, plus rapides au baisser de pantalon qu'au tir sur cibles vivantes. Eux ne manquent jamais de réactivité quand il s'agit de se couvrir, la défense des subordonnés passant loin derrière.
Et c'est donc fissa qu'on charge le porte parole de l'état-major de condamner cette inadmissible atteinte à l'action de la France dans la zone. Dur à entendre de la part d'un ancien du REP. Mais sans doute n'a-t-il pas eu le choix. Et donc ce bon colonel dont les étoiles ne devraient pas tarder à remplacer les cinq barrettes de déclarer : "Cette image n'est pas représentative de l'action que conduit la France au Mali à la demande de l'Etat malien et de celle que mènent ses soldats souvent au péril de leur vie", avant de préciser que le militaire fautif était en cours d'identification. J'ose juste espérer que ce n'est que du pipeau, qu'on va laisser ces gars en paix, façon de parler, cesser de les embêter avec ce genre d'histoire sans aucun intérêt. Reste que cette déclaration est significative de ce que devient notre armée. Le "au péril de leur vie" inscrit dans la citation mérite bien qu'on les traite avec une autre indulgence qua quand ils sont au quartier pour ce genre d'écart.
Et puis j'ai envie de dire à notre porte-parole et surtout à ses commanditaires qu'ils se trompent. Car le foulard en question est tout à fait représentatif de ce que nous faisons au Mali. Et ce n'est pas moi qui le dit mais notre nouveau stratège national, notre Clausewitz à nous, qui est passé de la toumolliitude à une attitude martiale exprimée par des mots très durs qui apparemment et curieusement n'ont choqué personne. Pour être honnête il est rare de se voir confier une mission dans des termes aussi clairs. Voilà ce que disait notre chef des armées à Dubaï lors d'un récent déplacement : "Vous demandez ce qu'on va faire des terroristes si on les retrouvait. Les détruire, les faire prisonniers si c'est possible…"
"Détruire" est une mission claire. Ce n'est pas neutraliser, mettre hors de combat, ces deux expressions n'excluant pas l'anéantissement physique de l'ennemi, mais n'en faisant pas non plus un aboutissement. Quant aux prisonniers, c'est si possible. Ceci dit c'est toujours un lourd fardeau les prisonniers pendant et surtout après. Surtout ceux-là.
Les propos du chef de l'Etat sont donc clairs. Et aussi d'une grande violence. Le foulard à côté, c'est à ranger dans le rayon des farces et attrapes. Même si dans un sens ça traduit assez bien l'état d'esprit du président. Doit-on donc alors punir un militaire qui figure par l'intermédiaire d'une allégorie la volonté de son chef suprême? Moi je ne pense pas.
Et puis, avant de sanctionner le militaire en question, mais aussi son chef de groupe, son chef de peloton et éventuellement son commandant d'unité, lesquels n'auront ni suffisamment briefé leurs subordonnés sur la bonne attitude à avoir, ni contrôlé leur tenue, peut-être faudra t-il se poser la question de l'impact que ça pourrait avoir sur le moral de la troupe. Et il ne sera pas négligeable, ce qui en tant de conflit n'est pas forcément souhaitable.
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