Il remontait l'avenue. Derrière le "monument" il n'aurait que quelques dizaines de mètres à faire avant de frapper à la porte de cet ami auquel il avait sauvé la vie, il y a longtemps, pendant la guerre du Golfe. Du moins l'autre le croyait, et au fond c'est ce qui comptait.
Il marchait les mains dans les poches, à cause du froid, les épaules voutées, à cause de l'âge. Il aurait pu prendre un taxi, mais il préférait marcher dans cette ville qu'il avait si bien connue, où il avait habité de longues années, où était restée une partie de sa vie. Chaque fois qu'il rentrait en France, il en était parti depuis longtemps par dépits, eh oui plusieurs, c'était un peu le même rituel. De longues marches avec un objectif plus ou moins vague au bout. Cette fois-ci ce serait une grande rasade de whisky chez cet ami à qui il avait peut-être finalement sauvé la vie. Ça lui permettait de se souvenir, mais surtout de voir les différences. Une manière de justifier ses choix, à posteriori. Car il ne trouvait plus grand-chose de beau.
Il remontait l'avenue. On disait avant que c'était la plus belle du monde. Derrière lui la Concorde, rebaptisée place du "vivre-ensemble" depuis longtemps. Il pensait que concorde ça voulait dire un peu la même chose ou au moins un mode de vie partagé et harmonieux. Mais de grands esprits avaient dû trouver ça insuffisant, ou pas à la mode. Lui trouvait l'expression moche et assez vide de sens finalement. Mais il était vieux. L'obélisque était toujours là. Offert à la France par une puissance qu'elle n'a jamais colonisée, il a pu survivre à la purge. Son jumeau resté à Louxor n'avait pas eu cette chance, les vestiges des croyances pré-islamiques ayant depuis longtemps disparu du paysage égyptien, rasées, comblées, explosées. Il restait quelques photos dans quelques vieux livres de toute cette grandeur qu'il avait eu la chance de visiter quand il était encore jeune et que l'Egypte attirait encore les touristes mais aussi les chefs d'Etat et ministres français, mais pas seulement eux. Maintenant il n'y avait plus rien à voir. Et sans doute bientôt, faute d'entretien le barrage d'Assouan céderait et les eaux du Nil emporteraient les derniers vestiges cachés en même temps que ces femmes nubiennes portant autour de leurs cous, de leurs poignets et de leurs chevilles, ainsi qu'accroché à leurs oreilles, le patrimoine familial converti en bijoux en or. Souvenirs!
L'avenue n'avait pas été rebaptisée. Pas encore. Car les progressistes ne manquaient pas d'imagination pour rompre avec un passé révolu à leurs yeux et dont notre héros était un sinistre vestige déambulant dans le vent et le froid de cette soirée d'hiver. L'expression qui semblait avoir le plus de succès pour renommer cette vieille avenue, sinistre avant de devenir prestigieuse, était "avenue de la laïcité ouverte". Expression vide de sens bien entendue mais qui voulait peut-être traduire que trois demies journées par semaine l'avenue était interdite à la circulation et ouverte aux cultes. Les catholiques, arguant du fait qu'ils ne parvenaient déjà pas à remplir leurs églises déclinèrent l'offre, les juifs également. Les musulmans par contre occupent, depuis cette mesure d'ouverture, l'avenue tous les vendredi matin. Ça aurait pu être une curiosité pour les touristes si le lieu n'avait été interdit pas une milice locale à ceux qui refusaient de se déchausser.
L'avenue de la Grande-Armée, par contre avait été débaptisée et renommée depuis longtemps. Comment pouvait-on en effet alors que les gouvernements successifs depuis le début du siècle s'acharnaient à jeter l'opprobre sur ce qui était constitutif de l'histoire de France continuer à honorer une armée dont la seule gloire avait été de soumettre les régimes d'Europe continentale les uns après les autres avant qu'une Europe coalisée ne parvienne enfin à la défaire. Tout ça faisait partie désormais des taches de notre histoire qu'il fallait effacer de façon résolue non sans avoir fait auparavant acte de contrition. Rebaptisée "avenue de l'harmonie-entre-les-peuples", elle n'en conservait pas moins fière allure.
Mais tout ça n'était qu'histoire de plaques déboulonnées ici, reboulonnées là. Le pire selon les uns, le mieux selon les autres, avait été cette destruction de l'Arc-de-Triomphe, symbole de grandeur passée pour les uns, symbole d'une France belliciste pour les autres. On avait commencé par ôter du centre de cette place rebaptisée pour la circonstance place de la diversité, le soldat inconnu qui après avoir été honoré pendant plus d'un siècle allait rejoindre à Thiais la fosse commune de ceux dont personne ne réclamait jamais la dépouille. Il parait que de façon aussi furtive que discrète quelques anciens viennent maintenant jeter quelques fleurs sur cette fosse commune à l'occasion du 11 novembre et du 14 juillet. La première date est devenue celle de la paix entre les peuples, et la seconde la fête de la diversité. On défile encore à cette occasion mais de manière évidemment désordonnée, sans armes ni uniformes sauf peut-être ceux portés par les enfants des écoles qui ouvrent le cortège portant sur leur nez de ridicules lunettes rouges ou vertes, comme en portait celle qui eut la première l'idée d'une telle fête. On faillit d'ailleurs donner son nom à la place qui, au lieu de l'Arc-de-Triomphe accueillait désormais en son centre ce "monument" que le monde entier enviait désormais à la France. On lui préféra néanmoins celui de place de la diversité, ce qui allait très bien avec cette "Nef de la Diversité Radieuse" ainsi que se nommait le "monument". Ensemble de verre transparent, on y voyait évoluer des intermittents du spectacle et même des bénévoles de toutes couleurs, toutes religions, tous genres, enfin tout ce qu'on peut imaginer en termes de différences, et qui passaient leur temps à s'embrasser, se frotter les uns contre les autres et même parfois prier. C'était le symbole, parait-il, de l'indépassable horizon humain. Au-dessus en lettres arc-en-ciel on pouvait lire le mot "NATION".
Un haut le cœur le saisissait à chaque fois qu'il apercevait le "monument". A ce moment-là, il se souvenait avoir tenté d'avoir une discussion avec son jeune fils, quand on détruisait le vieux monument, piétinant ainsi plus de deux siècles d'histoire nationale. Celui-ci, malgré son jeune âge l'avait tout de suite repris en lui rétorquant que Mohammed avait dit que…. Il avait cessé d'écouter la suite la connaissant déjà. Ah ce Mohammed! Ce n'était pas un de ses copains de classe. Non, c'était juste son professeur de morale laïque. Pas plus arabe que lui d'ailleurs puisque son père était alsacien de souche et sa mère une magnifique blonde venue de Suède. Ils avaient juste voulu que leur fils s'intègre mieux à la société qu'ils voyaient venir. Ils réussirent sans doute au-delà de leurs espérances puisque d'intégré il devint intégrateur, ou du moins façonneur de jeunes cerveaux. Bref, Mohammed, ses prédécesseurs, et ses successeurs parvinrent à détruire la conscience d'une génération et à l'asservir à l'idéologie nouvelle.
Il ne parlait plus à son fils. C'était peut-être l'inverse d'ailleurs. Surement. Il savait qu'il avait profité du mariage pour tous et de ses accessoires. Pourtant il l'avait vu avec des filles et même surpris en pleine action un jour qu'il était rentré à la maison de façon impromptue pour y récupérer un dossier oublié. Faut croire que ça ne faisait pas assez moderne. Il avait appris que son fils avait deux enfants. Le premier issu de la location d'un ventre moldave, encore bon marché à l'époque, et le second venu d'une filière africaine qui pratiquait des tarifs très concurrentiels sans pour autant garantir l'origine des enfants qu'elle fournissait. Il avait donc deux petits-enfants, administrativement parlant, que pourtant il ne considérerait jamais comme tels. Il ne les avait jamais vus, et il ne souhaitait pas que cette situation change. Ces enfants pour lui ne pouvaient pas représenter davantage que ceux de ses voisins ou d'inconnus quelconques, même s'ils portaient son nom. Un acte administratif ne remplacera jamais les liens du sang, pensait-il.
Songeant à tout cela, il marchait les mains dans les poches, les épaules voutées. A une autre époque il se serait arrêté dans un bar pour s'y réchauffer avec un café allongé d'un calva. Désormais le calva était impossible depuis que pour ne pas choquer nos amis originaires d'autres contrées l'alcool avait été prohibé. A la place, puisque les gouvernements par sécurité, puisque connaissant les besoins d'évasion de leurs peuples, et par intérêts financiers, puisqu'il fallait bien combler la perte des taxes sur l'alcool, on servait du cannabis. Quelques lieux disposaient d'une licence spéciale pour les drogues dites dures pour les riches accros. Mais d'alcool point dont la fabrication était devenue un crime contre l'Etat qui vous amenait directement en prison selon une procédure simplifiée.
Il dépassait maintenant le "monument". Dans quelques petites minutes il sonnerait à la port de son ami Abdelaziz, l'officier saoudien devenu général et à qui il avait sauvé la vie bien des années plus tôt.
Il savait qu'il y trouverait un excellent whisky hors d'âge et autres gâteries s'il le souhaitait, et aussi une oreille compatissante.
Demain il repartirait vers son autre pays, sans regrets. Il y retrouverait son autre fils, bien plus jeune que l'autre, et qui avait eu cette chance de ne pas faire sa scolarité en France.
autre style autre talent
RépondreSupprimerun tantinet amorti! ne vous déprimez pas
http://www.valeursactuelles.com/zones-grises-des-cit%C3%A9s20121106.html-0
RépondreSupprimerprochain voyage, de l'autre côté du périph
je pense que le vote des étrangers serait plus anodin que ces mutants français qui vont "enfin" prendre les urnes, ils le promettent
Je suis allé vers le lien que vous m'avez indiqué. C'est effectivement assez effrayant pour que ma petite fiction puisse passer pour un conte de fées.
RépondreSupprimerOn en est à se dire qu'il y a des gens qu'il faut extraire de zones où ils sont de toutes façon en danger, soit physique, soit mental. La conversion contre le droit d'exister! enfin de vivre car exister c'est autre chose.
On pourra toujours réfléchir aux causes de ces situations. Mais ça ne servira plus à grand chose. L'urgence maintenant est de circonscrire sans espoir de reconquête des territoires avant longtemps. Mais pour cela il faut faire un premier pas. Reconnaitre publiquement la situation et désigner nommément le danger. Et là on peut attendre longtemps.
En tout cas ce reportage montre bien ce qui peut arriver à l'échelle d'un pays quand des proportions démographiques se modifient. Pas même besoin d'être majoritaire d'ailleurs, suffit d'être assez nombreux et déterminé, surtout quand ceux d'en face en sont encore à débiter leurs odes à la diversité et ne sont, dans tous les cas, pas prêts à s'engager pour défendre leurs valeurs.