"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 31 août 2012

Faut-il que l'armée rentre dans les cités?


La demande de la sénatrice-maire (d'arrondissements) de Marseille de voir l'armée intervenir dans sa ville pour lutter contre le trafic de stupéfiants a plutôt suscité des réactions négatives dans la classe politique. Cette demande qui ressemble singulièrement à un appel à l'aide a d'abord reçu une fin de non-recevoir de la part du ministre de l'intérieur puis de celle du ministre de la défense. Peut-être d'ailleurs pour des raisons différentes. Cet accord entre deux de ses ministres a d'ailleurs permis à notre président normal de se livrer à son exercice favori qui est la synthèse et d'arbitrer entre eux, que dis-je, de trancher entre deux avis parfaitement identiques. Une première depuis le début du quinquennat! Quant au premier ministre, faute d'opinion, mais sans doute parce que fragilisé et entre les mains d'une cellule psychologique après sa visite aux universités du MEDEF, il a prévu d'organiser la semaine prochaine une réunion interministérielle avec les ministres concernés dont notre ministre de la justice. Il fallait bien donner un signe d'ouverture au dialogue aux délinquants
Mais ne nous acharnons pas sur notre exécutif, c'est bien trop facile! Tentons plutôt, sinon de répondre, de donner un avis sur la question figurant comme titre de ce billet.

Cette question de l'intervention de l'armée dans nos cités dites sensibles n'est pas une nouveauté. Elle est posée régulièrement notamment par des élus de droite comme de gauche qui constatent, hélas, l'impuissance de notre système judiciaro-policier à régler un problème latent qui ne fait qu'empirer. Il faut dire que le système en question manque singulièrement de cohérence et que, dans l'état actuel des choses, ce n'est pas demain qu'on aura un accord entre l'intérieur et la justice pour rétablir cette cohérence. Je pense à cela car ce type d'accord vient de voir le jour à Genève, ville où la délinquance est en très forte hausse depuis que la Suisse est entrée dans l'espace Schengen, ce qui nous a permis de délester notre propre délinquance, essentiellement lyonnaise vers ce pays et plus particulièrement la pointe sud-ouest du Lac Léman. Donc face à quelque chose qui ne marche pas, que ce soit en 2005, en 2007, et même plus récemment, l'an dernier pour être plus précis, par l'intermédiaire du maire de Sevran, homme de gauche également (je ne sais plus s'il est communiste ou écolo car je crois qu'il est passé de l'un à l'autre parti), l'idée d'envoyer l'armée sur certains points chauds sur le territoire national commence à se développer. D'ailleurs ce ne serait pas une première, car si on excepte l'emploi de l'armée au 19ème et au début du 20ème siècle pour réprimer certaines grèves, on peut considérer que le règlement de la crise néo-calédonienne en 1988 relève de ce cas de figure. C'est important de le dire car ça montre que les portes ne sont pas fermées à une intervention militaire sur nos territoires.
Je rappelle d'ailleurs que le maire de Sevran réclamait l'intervention de l'armée pour la même raison que la sénatrice socialiste de Marseille : l'éradication du trafic de stupéfiants qui semble être une des causes majeures, sinon la cause majeure, aux problèmes de nos cités.

Du point de vue des militaires, mais ce que je vais dire n'engage évidemment que moi, l'armée en tant qu'institution ne s'engageant jamais sur des sujets d'ordre politique, je crois pouvoir dire que la majorité d'entre eux, notamment des officiers, est profondément hostile à ce type d'intervention. Ce qui bien entend ne les empêcherait pas, du moins je ne le pense pas, de refuser d'intervenir si l'ordre leur en était donné. Reste que c'est une question au sujet de laquelle on réfléchit en espérant n'avoir pas un jour à y être vraiment confronté.
Les militaires du reste ne sont pas du tout préparés à ce genre d'opérations qui sont des opérations de police, bien que finalement certaines de nos dernières interventions, comme au Kosovo, par exemple, y ressemblent étrangement. Mais dans ce cas une forte participation des gendarmes est toujours demandée. Cependant la préparation des forces est tout de même très largement centrée sur le combat. Et si le combat urbain ou de rue a pris une place de plus en plus grande au cours des dernières années dans cette préparation, ce n'est pas dans l'objectif de combattre dans les rues de nos villes. Ou alors il faudrait bien évidemment s'attendre à des dégâts importants et notamment des victimes. Imaginez un peu ce qu'aurait pu donner une intervention militaire à Villiers-le-Bel, là où les policiers se faisaient tirer comme au ball-trap sans riposter. Il aurait sans doute fallu alimenter les chargeurs de balles à blanc pour ne pas assister à un massacre, du genre de ceux qui se produisent aux Etats-Unis lorsque surviennent de tels événements. Car maintenant il faut aussi se poser la question de savoir si on tolère que les policiers servent de cibles sans possibilité de riposter. Il faudra bien trancher un jour cette question à un niveau politique et ne pas laisser les juges s'en charger. On voit où ça nous mène.
Là je me situais sur le plan technique. Sur le plan éthique, les militaires répugnent à ce genre d'intervention, car là où ils sont censés intervenir c'est la guerre, la guerre contre la France ou ses intérêts. Or intervenir militairement sur le territoire signifierait que des ennemis de la France et/ou de la République s'y trouvent, que les gens désignés comme cible sont assimilables à des belligérants appartenant à une nation étrangère.
Et puis, et ce n'est pas négligeable, les militaires répugneraient, selon l'emploi qu'on ferait d'eux, à se transformer en auxiliaires de police ou de la police. Pour être clair, autant vous dire que ceux que vous voyez patrouiller dans les gares ou les aéroports et toujours accompagnés de policiers l'ont assez mauvaise du fait de leur rôle qui n'est vraiment que d'appoint et qui exclut toute initiative de leur part et toute prérogative.

Je pourrais en rester là et donc dire que je suis hostile au principe d'intervention de notre armée dans les cités. Reste qu'après réflexion, mon opinion est beaucoup moins assurée. Parce que la donne évolue très vite et que la nature de ce qui se passe dans les cités devient très grave et prend des allures de choses qu'on a pu connaitre dans un passé relativement proche et qui a nécessité l'emploi de l'armée. J'ai tenté de dire plus haut que l'armée n'était pas faite, pour des raisons éthiques et techniques, pour participer à des opérations de maintien de l'ordre sur le territoire. Mais pour certaines des cités en cause, en sommes-nous encore au simple maintien de l'ordre ou sommes-nous déjà passé au stade supérieur, un stade qui nous rapproche de la guerre?
D'un point de vue technique, quand des bandes disposent de fusils d'assaut, d'explosifs, de grenades, de lance-roquettes parfois, il n'est pas difficile de franchir le pas pour les qualifier d'armées (militairement).
Sur un autre plan quand ces bandes utilisent ces armes contre les forces de l'ordre, brûlent les lieux essentiellement publics, éloignent par la violence ou la terreur ce qui s'apparente à l'ordre institutionnel, fusse-t-il social (pompiers, médecins, ambulances, services publics divers), détruisent ou menacent les voies de communications qui les relient à la ville, bus en particulier, il faut y voir une volonté de sécession, de retrait de l'ordre républicain de certaines zones, ce qu'on nomme pudiquement zones de non-droit, mais c'est bien pire que cela. Certes ce ne sont pas les cités qui veulent faire sécession mais des bandes qui veulent isoler ces cités, leurs habitants, même si majoritairement ils ne sont pas associés à elles, ayant à subir leur loi. J'ai bien dit "loi" et dans le sens le plus exact qu'on peut donner à ce mot, avec l'arsenal de sanctions qui l'accompagne en cas de non-respect.

Dès lors quand on atteint ce stade, quand on a une volonté de sécession dont le motif n'est certes pas l'indépendance territoriale (quoique l'autonomie me paraisse définir assez bien le but recherché), mais la possibilité de continuer en toute tranquillité ses trafics petits et grands, de drogue ou d'autres choses, quand cette volonté se manifeste par l'usage d'armes de guerre, on sort d'un contexte traditionnel de trouble à l'ordre public, de délinquance ou même de crime. On est passé là à un stade supérieur et qui se rapproche effectivement d'un état de conflit armé. Les mots de sécession et de bandes armées sont suffisants pour comprendre cela.
Techniquement la police avec ses flashballs et tasers au sujet desquels certains humanistes pleurent parce qu'ils pourraient être dangereux ne peut guère faire le poids. L'armée le peut.
Dès lors qu'il y a atteinte à l'intégralité du territoire, comme en Nouvelle-Calédonie, en 1988, j'y reviens, l'armée est légitimement fondée à intervenir.

Alors oui, les choses ont assez évolué ces dernières années dans certaines cités pour qu'on puisse raisonnablement se poser la question d'une intervention militaire pour y rétablir l'ordre. Parce que comme j'ai tenté de le démontrer c'est bien davantage que d'ordre dont il s'agit, et parce que l'armée semble être la seule capable d'y intervenir efficacement. Ce n'est certainement pas la police qui pouvait remporter la bataille d'Alger, pourtant typiquement une opération de police.

 

6 commentaires:

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  2. j'avais marqué un truc à vous faire embastiller! je reviens plus tard

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  3. que veut on ,à réclamer l'armée?
    conforter un contingent policier? le contrôler? ce qui serait fort!
    mener une opération inédite à tir réel et purge de zone? ça va faire drôle
    ces individus sont en nombre restreints, se massacrent entre eux avec dégats collatéraux, civils et policiers et font régner la terreur
    le but: stopper le marché des armes et de la drogue par le renseignement qui ne fonctionne plus
    et, fouiller tous les bus qui arrivent de l'Est (armes), un flic avait l'air de craindre le lynchage!
    les armes en provenance de la Libye ne vont pas tarder
    Mélenchon disait qu'il fallait taper au niveau des comptes en banque, peut être, c'est moi qui dis, craint on de découvrir les magnats, ces gosses sont illettrés , comment gèrent ils tout ça?



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    1. Je crois et je crains que l'intervention de l'armée dans certaines circonstances soit la seule chose possible désormais. Les émeutes ou échauffourées ressemblent de plus en plus à de la guérilla urbaine, chose à laquelle la police n'est pas formée, je crois.
      Disons que le savoir-faire des militaires semble parfois plus approprié à celui des policiers, à condition toutefois qu'on admette que quand on vous tire dessus vous ayez le droit de riposter, selon les règles établies par la légitime défense. Faire intervenir l'armée selon ces règles, c'est aussi casser ce sentiment d'impunité, le fait de croire qu'on peut tirer sur les flics sans aucun risque. Comme vous le dites, ces "gosses" ne sont pas des flèches et ne peuvent donc comprendre que des choses simples. Je crois que c'est à ce prix qu'on peut casser une dynamique qui s'accélère.
      Bien évidemment ça n'empêche pas, et c'est même une nécessité, de devoir contrôler les entrées d'armes et remonter les filières.

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  4. NS était capable de prendre une telle décision, le monde de mol qui nous gouverne je crois pas

    mais nous sommes en état d'urgence effectivement

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