Un échange sur le blog de Cimabue/Parker (à
consommer sans modération), avec l'intéressée, au sujet du mariage homosexuel
et surtout ce qui va avec, à savoir l'homoparentalité, car ne doutons pas que
les deux doivent être considérés de façon indissociable, ceci étant dit pour
ceux qui peut-être par esprit de compromis consentiraient au mariage et refuseraient
l'homoparentalité, donc un échange avec Parker a fait remonter du fond de ma
mémoire une émission de France Culture par moi podscastée au sujet justement de
l'homoparentalité.
Cette émission avait ce principal
intérêt de donner largement la parole à des couples homosexuels qui exprimaient
leur vision de l'homoparentalité. Si tous ou presque y étaient favorables, mais
c'est le thème de l'émission qui portait à cela, les conceptions de cette
homoparentalité étaient par contre parfois différentes, voire très divergentes.
On peut noter, parce que ça me
semble significatif, deux positions extrêmes sur la façon de situer les enfants
dans le cadre de leur filiation biologique. Dans un cas un homme déclarait
qu'il entendait avoir un enfant, mais que cet enfant serait celui d'une de ses
amies consentante, fécondée avec son sperme, laquelle serait associée au même
titre que lui à l'autorité parentale. Cet homme prônait donc la co-parentalité,
offrant à l'enfant à venir au moins deux pères, lui et son compagnon, et une
mère, la procréatrice. A l'inverse pour une femme souhaitant également devenir
mère dans le cadre d'un couple homosexuel, il était absolument hors de question
que son futur enfant, même devenu adulte, puisse avoir le moindre renseignement
sur sa famille biologique. Entre ces positions extrêmes, on pouvait évidemment
découvrir toutes les nuances que votre imagination pourra mettre en lumière. En
cas de panne je suis prêt à vous aider.
Et finalement après m'être
souvenu de cette émission et consécutivement à l'échange avec Cimabue/Parker,
je me suis dit que le cœur du problème se situait peut-être là. Ou au moins
autant que le fait d'être élevé au sein d'une famille, disons hors normes, avec
deux parents du même sexe au lieu d'un père et d'une mère, selon le modèle consacré
par la nature , nos institutions et les religions en général.
Car si la confrontation au regard
des autres peut, à mon avis, constituer un problème et amener à des
déséquilibres, le fait de ne pas, éventuellement, avoir de repères quant à sa
filiation réelle, de se sentir, davantage que n'importe qui, et empruntons là
une terminologie chère à Heidegger, jeté dans le monde, doit en amener d'autres
et sans doute plus sévères.
Et en légalisant
l'homoparentalité, le risque est grand, à moins que le législateur fixe des
règles à ce sujet, mais jusqu'à présent je n'en ai pas entendu parler, et sans
doute ne le fera-t-il pas pour ne pas générer de contraintes envers ces
nouveaux couples, ce serait discriminatoire ou traumatisant, n'est-ce pas?,
donc le risque est grand de créer des cohortes d'enfants sans histoire.
Enfants sans histoire. Chacun,
pendant quelques secondes ou minutes, devrait prendre le temps d'imaginer ce
qu'il serait, maintenant, s'il avait été privé de son histoire. J'entends par histoire
le fait de se situer au croisement de lignées familiales, de se sentir comme un
des maillons d'une chaine sans que cette
dernière n'ait d'ailleurs forcément un véritable sens, de s'inscrire dans une
certaine continuité.
Certaines personnes issues de ce
qu'on appelle les "grandes" familles peuvent remonter très loin, se
souvenir que leur ancêtre avait participé à, je ne sais pas, la bataille de
Fontenoy ou même à d'autres antérieures. J'avais un collègue marié avec une
descendante d'un des défendeurs de Louis XVI. Et cela constituait le ciment
familial avec les réunions annuelles qui vont bien sous l'œil "attendri"
de l'aïeul. J'imagine que pour eux ça avait un sens.
Mais pour l'essentiel, pour les
gens d'extraction modeste, les gens de peu, comme dirait le sociologue Pierre
Sansot, tout ce cérémonial formalisé n'existe pas. Pourtant, chacun a dans sa
mémoire ses proches, et même si on ne remonte jamais très loin dans l'histoire,
généralement, ceux déjà disparus et qu'on n'a na jamais connus. C'est le
grand-père dont on a croisé une photo avec sa croix de guerre et qui a amené
des questions à son sujet. C'est les arrières-grands parents venus de l'est de
l'Europe à peu près à la même époque, un peu avant ou juste après, fuyant la
misère, ou un régime politique persécuteur. On n'entre guère dans les détails,
sauf parfois, mais au moins on a une idée de ce qu'a pu être leur vie, ou une
partie de leur vie, et l'imagination aidant on bouche certains trous, on
reconstruit des histoires en les magnifiant en en les dramatisant. Mais quel que
soit le degré de connaissance intime qu'on ait avec ses ascendants, parfois
croisés, brièvement, parfois racontés, on a le sentiment vague ou parfois
affirmé d'être le résultat de ces histoires croisées, souvent complexes. Ce
n'est pas une obsession, une affirmation de soi, mais un repère, le sentiment
de s'inscrire dans l'espace et le temps, de ne pas être un pur hasard, le
simple fruit de la rencontre d'un spermatozoïde et d'un ovocyte. Et c'est sans
doute là-dessus que se construisent les identités.
Dans certaines cultures on est "le
fils de". Ici en Russie derrière le prénom on trouve celui du père. On est
Elena Pavlovna, Hélène fille de Paul, ou Ivan Petrovitch, Ivan fils de Pierre
et c'est ainsi que vous nomment les gens qui ne font pas partie de vos proches,
ces derniers se contentant du prénom et le plus souvent de son diminutif, Léna,
Vania . Même les filles-mères donnent à leur enfant ce patronyme, celui du père
réel ou supposé ou celui qu'elles veulent, mais on ne peut pas être le fils ou
la fille de personne. On doit s'inscrire dans une lignée.
Prenons maintenant ces enfants,
élevés dans le cadre d'un couple homoparental. Tout l'amour et les soins qu'on
pourra leur prodiguer, toute l'éducation qu'on pourra leur donner, ne leur
offrira jamais cette appartenance à une lignée ou au croisement de plusieurs
lignées dès lors qu'on aura décidé de les maintenir dans l'ignorance sur
l'identité de leurs réels ascendants. Ces enfants n'attendront pas l'âge adulte
pour se rendre compte qu'on ne peut qu'être le fruit de deux personnes de sexe
opposé. Très jeunes ils se rendront compte qu'ils sont ailleurs que là où la
logique aurait voulu qu'ils soient. Que leur histoire n'est pas celle de ceux
qui les élèvent, fussent-ils les meilleurs parents ou tenant lieu de qu'il
soit. Qu'ils sont la résultante de quelque chose qu'ils ignorent et
continueront souvent à ignorer. Bref, qu'ils ont été jeté là où ils sont en
dépit de toute logique, simplement parce que ceux qui les élèvent le désiraient
tandis que leurs vrais parents, ou l'un de leurs parents biologiques ne les
voulait pas, voulait rendre service, ou parfois, et c'est la vérité, les ont
conçus comme on fabrique une marchandise. Ou encore qu'ils ont été privés de
leurs parents par un drame qu'on leur tait. Dans tous les cas, on les ampute de
leur histoire ou d'une partie de cette histoire, on les ampute d'une partie
d'eux-mêmes.
Je ne suis pas psychologue, mais
j'ai du mal à concevoir qu'on puisse bien se construire sur de telles bases.
Certains y parviendront peut-être, ou seront assez habiles pour cacher cette
blessure qui se situe au fond d'eux-mêmes. Mais les autres?
Alors je ne sais pas. Je suis
peut-être complètement à côté de la plaque. Peut-être que les êtres humains
n'ont pas besoin d'une histoire pour se construire dans les meilleures
conditions. J'en doute et j'aimerais qu'on me convainque du contraire. Mais je
voudrais surtout que cette hypothèse ne soit pas ignorée par ceux qui, dans
quelques mois légaliseront l'homoparentalité, pour satisfaire une promesse
électorale peut-être lancée trop légèrement, pour capter des voix, pour
satisfaire à un effet de mode, pour s'inscrire dans une post-modernité d’où seraient
exclus les interdits et où le désir aurait la valeur d'un droit.
merci, Expat de cet entêtement à vouloir anticiper les conséquences du moderne qui s'emballe sous couvert d'une société qui se doit d'évoluer
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