"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 11 mai 2012

Morale et politique


Une politique plus morale, ou simplement morale fut une formule souvent utilisée comme argument de campagne par certains candidats à l'occasion de la campagne présidentielle qui vient de se terminer.
Mais ce n'est pas la première fois, ni la dernière. La gauche a souvent utilisé cet argument de la morale, en faisant en quelque sorte son monopole. Elle a certes mis quelque peu la pédale douce sur ce sujet, la pratique du pouvoir lui ayant retiré la légitimité qu'elle s'était auto-attribué en la matière. Ce qui fait que désormais à peu près tout le monde peut en parler. Ça permet en effet d'éviter de parler de l'essentiel surtout quand on n'a rien à en dire.

Car pour ma part, j'estime que quand on en est réduit à utiliser de tels arguments, c'est qu'on n'a plus grand-chose à dire. Puisqu'une politique ne saurait être fondée sur l'unique morale, ni ne pourrait prétendre à faire de la morale le fer de lance de son action. Ce qui ne signifie pas bien évidement que morale et politique doivent être indifférentes l'une à l'autre et que la première ne doive pas constituer des garde-fous, mais certainement pas inébranlables comme nous le verrons, à l'exercice de la seconde. Et puis bien évidemment, on ne saurait guère trouver de gouvernants qui n'affirmeraient agir au nom de la morale ou selon des règles morales partagées. Même les régimes les plus immondes oseront s'y référer et s'évertueront à cacher leurs actes les plus ignobles, pour ne pas heurter la morale publique internationale. Par exemple, la teneur exacte de conférence de Wannsee qui s'est tenue en janvier 1942 sous la présidence du sinistre Heydrich et qui avait pour objectif l'organisation de la solution finale, ne fut connue que parce qu'un des participants n'exécuta pas l'ordre de détruire sa copie des minutes de cette conférence alors que tous les autres le firent. Si les salauds n'ont pas de morale, ils n'oublient pas néanmoins qu'il faut ménager celle des autres.
De fait le lien entre morale et politique est assez complexe car il n'existe pas ou guère de politique sans référence morale, alors que l'objectif d'une politique n'est quasiment jamais moral, et en tout cas n'emprunte jamais systématiquement des voies morales.

Mais pour que cela ne reste pas de la théorie, encore faudrait-il s'entendre sur ce qu'est la morale. Certains la voudraient universelle alors qu'on ne peut que constater qu'elle ne l'est ni dans l'espace, ni dans le temps. Si on considère cette définition de la morale trouvée dans "le trésor de la langue française" et qui est "Tout ensemble de règles concernant les actions permises et défendues dans une société, qu'elles soient ou non confirmées par le droit", on remarquera que le contenu de la morale peut-être décliné à l'envi selon les sociétés à laquelle elle s'applique. Ce que nous confirme Emile Durkheim dans La division du travail (1893) quand il écrit "Chaque peuple a sa morale qui est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit. On ne peut donc lui en inculquer une autre, si élevée qu'elle soit, sans le désorganiser." A l'aune de cette définition et de cette citation, on peut donc considérer que malgré de vaines tentatives d'introduire une morale universelle, celle qui découle par exemple de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il n'y a pas de morale unique sur laquelle les sociétés qui composent notre monde pourraient s'entendre et s'appuyer.
J'emploie volontairement le terme de sociétés au lieu de celui d'Etats, car, dans la mesure où, par exemple en France, l'assimilation des populations originaires d'autres sociétés a cessé d'exister et est même "moralement" proscrite, un même pays peut voir cohabiter et même s'opposer des morales distinctes. Et dans ce cadre, ce qu'ordinairement on appellerait morale se réduit simplement à la loi, normalement opposable à tous. Ce qui amène une première restriction à notre définition de la morale. Et qui confirme également les propos de Durkheim quand il parle de désorganisation dès lors qu'on veut imposer une autre morale à un peuple. Car c'est bien de cela dont il s'agit actuellement en France dès lors qu'a été admise par une certaine pensée dominante que toutes les cultures se valaient et qu'aucune n'avait à s'imposer aux autres, alors que dans les faits, sur certaines zones du territoire, existe une réelle concurrence entre cultures, et donc entre morales.
Dès lors on peut déjà constater la difficulté de gouverner au nom d'une morale alors que plusieurs cohabitent dans l'espace où s'exerce le pouvoir politique.

Alors, ce que dans la bouche des politiques se nomme morale, peut se réduire finalement à plus grand-chose, juste aux lois, et certainement pas toutes, j'y reviendrai, et à ce qu'on nomme aussi la décence commune, concept orwellien, qui consiste en un socle de base commun qui transcende les morales et les religions et qui permet de vivre ensemble. Personnellement je ne pense même pas que ce socle existe. Et donc les politiques quand ils parlent de morale s'appuient outre les lois sur un socle qui concerne la population encore majoritaire du pays et ceux qui ont bien voulu adhérer à ce corpus de valeurs. Ce qui réduit considérablement la portée de leurs propos et les place régulièrement à côté du sujet quand ils parlent de morale.

Le propos est effectivement bien mince si un politique en parlant de morale fait référence à la loi. Car en effet, c'est la moindre des choses qu'il prétende la respecter s'il gouverne. S'il veut dire qu'il veillera à la faire respecter avec vigueur et rigueur, on n'attend guère autre chose de lui, du moins pour la majorité d'entre nous.
Mais en se portant garant des lois et de leur application, il renonce en quelque sorte lui-même à la morale. Car si certaines lois sont liées à la morale, beaucoup d'autres, et sans doute la majorité n'ont rien à voir avec elle. Et pire, je suis sûr qu'on trouvera sans doute bien des lois éloignées de la morale, et de façon délibérée. Car la loi a aussi et surtout comme fondement l'intérêt commun. Aussi, par exemple, si on peut trouver immoral de chasser des gens au prétexte qu'ils sont étrangers et sans droit de séjourner, on comprend très bien qu'il est de l'intérêt public et national de le faire. L'homme politique dès lors qu'il revendique le pouvoir du même nom doit donc renoncer à la morale. Car elle n'est pas responsabilité. On retrouve là les concepts de rationalité en valeur et de rationalité en finalité développés par Weber.
On retrouvera cette contradiction entre ces deux types de rationalités dans les relations internationales. De Gaulle disait que la France avait des liens avec les autres Etats, et non les régimes. Cette règle qu'il n'inventa pas reste actuellement de mise, même si de temps en temps on s'en va balancer bombes et missiles au nom de la morale, enfin d'une morale très sélective. Car il est depuis très longtemps inimaginable de mener une guerre autrement qu'en se référant à la morale, autrement qu'en camouflant des objectifs bien plus concrets derrière l'obligation morale de combattre le mal. On en rirait presque de ces concepts d'ingérence humanitaire à géométrie variable.
Mais on a réussi à pallier cette contradiction de façon originale dans nos démocraties occidentales et surtout en France. Puisqu'au nom de la Realpolitik, au nom de l'intérêt commun, il ne peut guère y avoir de politique fondée sur la morale, on transmet ça à la génération future, ou plus exactement celle-ci s'en empare en pratiquant à grande échelle une politique de repentance. On crache sur un passé politique pas moral du tout, on s'agenouille, on se prosterne au nom des fautes commises par les politiques du passé. C'est de la morale différée qui ne change rien aux faits et qui ne modifiera pas bien sûr les politiques contemporaines. Ça pourrait avoir un côté sympathique si cette malsaine hypocrisie ne produisait pas des effets nocifs, ceux par exemple de créer pour l'éternité, ou au moins une portion d'éternité, des débiteurs innocents vis-à-vis de populations devenues victimes par héritage.

Ce qui fait que dans sa pratique quotidienne, l'homme politique n'a plus guère qu'à se rabattre sur quelques thèmes. Comme par exemple la moralisation de la vie politique, thème récurrent depuis longtemps, ce qui indique au passage que la chose est difficile et qu'on ne peut tendre vers elle que par la coercition. A savoir que si on ne peut rendre les hommes politiques moraux, on peut par la loi tenter de faire en sorte qu'il leur soir coûteux de ne pas avoir des pratiques qui s'apparentent à la morale.
Sinon pour le reste, qui rentre dans le socle de la décence commune, on pourra sans doute se mettre d'accord sur le fait que tuer, voler, violer, brutaliser, …, sont des actes étrangers à notre morale. Reste que l'arsenal pour lutter contre ces fléaux n'y sera pas forcément ajusté pour des raisons idéologiques parfois, qu'on tente de camoufler aussi derrière la morale, qui se transforme en culture de l'excuse pour certains types de population.

Car la morale peut avoir bon dos pour faire valoir ses vues politiques. Elle est même souvent utilisée pour faire passer des projets qui ne sont pourtant rien d'autres que politiques.
Un exemple: on nous présente régulièrement comme injuste ou immoral la disparité des richesses. Une certaine morale égalitaire n'y trouve pas son compte, parait-il. Ceux qui utilisent cet argument tendraient donc à faire passer les tenants de cet ordre injuste pour des gens immoraux. Tandis que ces derniers pourront trouver parfaitement immoral de confisquer une partie importante d'une richesse acquise grâce au travail et aux compétences de ceux qui la possèdent. Ce serait donc morale contre morale. Sauf que là ce n'est pas de morale dont il s'agit mais de conceptions différentes de la vie collective. Et de l'égalité. Mais il n'y ne s'agit pas de morale si on s'en tient à la définition de référence.

La morale est bien trop souvent invoquée en politique, et même réclamée par quelques doux rêveurs, alors que les deux sont souvent incompatibles. Discours creux ou risibles, espoirs vains, elle ne manque pourtant pas de produire du vent.

2 commentaires:

  1. ouf! comment vous faites ça?
    j'y ajouterais une note triviale, histoire de taguer en immoral et cochonner cette élégante écriture
    Le cul et l'argent sont les nerfs de la guerre
    Hélas je pense que nous n'en sommes plus qu'à l'argent
    cul et morale seraient plus compatibles que argent et morale car un petit génie terroriste de la pensée moralise à tout va pour rassurer les ouailles dans une tempête égalitaire
    avoir un peuple convaincu de ce souffle donne de l'aise dans les projets politiques élaborés qui se rapprocheront plus de la raison d'Etat aux niches injustes nombreuses et aux desseins parfois discutables
    on savait lire entre les lignes du catéchismes, quand le discours politique se noie dans la morale c'est qu'elle ne va pas tarder à devenir autre chose

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  2. Cul et pognon ne sont pourtant pas étrangers à ceux qui veulent moraliser les pratiques politiques de ce pays.
    C'est quand même curieux que de ça, que des frasques de tonton et autres de ces acolytes, on évite de se souvenir pour pouvoir continuer à faire prospérer un captal pourtant bien écorné.
    Les socialistes en 30 ans n'auront eu de cesse de se démystifier quant ils étaient au pouvoir. Il furent défenseurs des classes populaires et travailleuses avant de montrer que d'elles ils s tapaient. Ils furent les garants de la morale, vant de montrer qu'avant tout ils étaient des hommes pas mieux que les autres. On pourrait croire qu'ils étaient pires, mais le fait d'être écartés du pouvoir pendant longtemps leur imposait de rattraper un retard. Ils l'ont fait et bien fait, sans même parler de ceux qui sortis des classes où ils enseignaient en 81 ont littéralement pété les plombs, passant du statut d'instituteur (encore un peu respecté à l'époque) ayant du mal à boucler ses fins de mois à celui d'élu de la nation grassement indemnisé et disposant d'avantages inespérés, avec en sus des marques de respects inhérents à la fonction. J'en ai croisé de ces gens-là quand au cours de ma carrière j'ai eu l'occasion de les observer de près. Et ça fait peur ou pitié.

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