"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 16 septembre 2011

Encadrement militaire des délinquants : compléments


 
Le billet précédent s'est attaché à tenter de montrer que cette idée de Ségolène Royal, sans doute inspirée de l'expérience des JET bien qu'elle se soit gardée d'en faire mention, et reprise désormais par le président de la République lui-même se heurtait à quelques inconvénients que j'estime pour ma part insurmontables au moins en période de crise budgétaire.
Les arguments principaux développés étaient la non adaptation des militaires à ce genre d'activité et surtout les fortes réticences à prévoir de leur part à faire ce travail qui échappe à leur vocation initiale, les dégâts que ça pourrait occasionner à l'outil de défense, à moins de créer 20000 postes supplémentaires dans les armées alors qu'on ne cesse de réduire leurs effectifs, et dans le cas où on passerait d'un encadrement militaire à un encadrement de type militaire, ce qui pourrait être acceptable peut-être, les coûts induits par la création d'une structure nouvelle, voire l'adaptation d'une structure déjà existante (l'EPIDe) mais largement sous-dimensionnée.

 
Ce billet ayant été reporté sur un blog ami, je constate que je n'ai pas forcément été encore assez convaincant. Mais peut-être cela est-il dû au fait que pour certains une idée ne vaut que par celui ou celle qui la porte. Illustration d'une époque éminemment superficielle où l'analyse et la critique du fond ont cédé la place à des critères de jugement subjectifs, dont l'esprit partisan) mais bien plus confortables quant la mobilisation de ses neurones. Le "qu'a-t-il (ou elle) dit?" se trouvant avantageusement remplacé par " qui l'a dit?". C'est effectivement beaucoup plus simple ainsi et évite même à avoir à se pencher sur le contenu. Je ne me fais donc guère d'illusions, mais il ne sera pas dit que je n'aurai pas essayé. Donc je me permets d'enfoncer le clou.
Pour cela, je m'appuierai encore un peu sur mon expérience et m'efforcerai de démontrer qu'on en est au niveau des politiques qui soutiennent cette idée qu'à un niveau de réflexion à peu près nul et que derrière la formule il n'y a rien de concret, même pas une analyse sommaire de la forme que pourrait revêtir cet encadrement.

 
De fait dans les armées, surtout l'armée de terre, les délinquants réels ou potentiels on les connait et surtout depuis la professionnalisation.
A titre anecdotique, il y a une dizaine d'années alors que la professionnalisation était quasiment achevée, j'étais consultant en organisation auprès de l'état-major de l'armée de terre (j'ai fait plein de choses pendant ma carrière, commençant en tant que chef de section parachutiste pour terminer comme "rat" d'état-major. Et donc pendant 6 ans j'ai exercé les fonctions de consultant en organisation, fonctions pour lesquelles j'ai été formé, je le précise. A ce propos quand on parle de formation continue, il serait intéressant de voir ce que font les militaires. Mais là je m'égare). Et me voilà donc un jour chargé de résoudre le problème suivant : l'incapacité de l'armée de terre à former un nombre de conducteurs suffisant malgré des moyens conséquents mis en œuvre pour cela. Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, mais comme effectivement (promesse présidentielle) il fallait que tous les nouveaux engagés aient le permis de conduire, il fallait honorer ladite promesse tout en garantissant que les permis utiles (dans le cadre opérationnel évidemment) soient prioritairement honorés. Or ça coinçait à cause d'un taux d'échec assez extraordinaire qui engorgeait les centres puisque les recalés revenaient tenter leur chance et que les flux d'entrée ne se tarissaient pas. Donc parmi les causes supposées, outre les procédures et l'organisation du dispositif, se trouvait l'hypothèse d'un niveau intellectuel moyen trop faible chez les jeunes engagés pour le type de formation dispensée (qui était accélérée). Donc pour tester cette hypothèse je me déplace dans quelques régiments. Et dans l'un deux, situé en Ile-de-France, le chef du bureau de gestion des ressources humaines me présente un tableau excel comportant les renseignements essentiels sur les militaires du rang de l'unité. Et dans ce tableau, il y avait plein de lignes surlignées de rouge, environ la moitié. Ma curiosité me poussant à demander la signification de ce code, il me fur répondu que c'étaient tous les engagés qui avent eu affaire avec la justice ou qui étaient en attente de jugement. J'ai été sans doute un peu long pour montrer que les délinquants c'est déjà quelque chose de connu dans les armées. Mais surtout qu'on ne vienne pas me dire qu'alors, ils savent faire, car je le rappelle, ces délinquants ou ex sont des militaires formés pour des missions militaires qu'ils exécutent.
Mais du temps de la conscription on les connaissait déjà. A une certaine époque, j'étais alors commandant de compagnie dans un régiment stationné en Allemagne, je recevais des jeunes venant pour une grande partie d'entre eux de la région parisienne. Et bien entendu parmi eux il s'en trouvait. J'avais l'habitude de recevoir individuellement les soldats qui m'étaient affectés. Pour discuter un peu et leur poser quelques questions. Et comme à l'époque nous connaissions pas mal de problèmes de drogue je leur posais la question de savoir s'ils avaient déjà consommé. Sans espoir de réponse bien entendu mais au moins pour qu'ils sachent qu'on était vigilant sur le coup. Pourtant un jour l'un d'eux m'a répondu : "Ben, mon capitaine ! un peu, comme tout le monde quoi". Comme tout le monde. Et finissant l'entretien alors que je lui demandais s'il n'avait rien d'autre à me dire, il hésita "Je ne sais pas si je dois" avant de se lâcher : "j'ai des copains qui font des casses et qui viennent parfois planquer ça chez moi". Bon vous voyez, le gars très naturel et qui en plus faisait confiance à son chef. Mais des comme ça, même s'ils n'étaient pas tous prompts aux confidences, il y en avait beaucoup. Et qui ne posaient aucun problème sans qu'on ait à les surveiller particulièrement. Un coup de pied dans le cul de temps en temps quand ils s'oubliaient et c'était reparti pour deux mois. Alors vous me direz que ceci milite effectivement pour un encadrement militaire des délinquants. Et bien non encore, parce que, une nouvelle fois ils étaient là pour être formés comme soldats et non réhabilités et en plus ils avaient la chance de sortir de leur milieu, j'y reviendrai, et de rencontrer d'autres jeunes venant d'autres horizons. Et l'encadrement ne les considérait et ne les traitait pas comme des délinquants, chose également importante.

 
Si donc maintenant on encadre militairement les délinquants, on rassemblera une population éparse dans des mêmes lieux et dont le critère identitaire principal aura été d'être passé par la case justice. Ils se considéreront donc eux-mêmes uniquement en tant que délinquants et se comporteront évidemment comme tels, sans parler de l'amplification due à l'effet de groupe. Pour échapper à cela ils n'auront même pas l'aide d'un regard extérieur favorable ou indifférent car ceux qui les encadreront ne les considéreront que comme des délinquants. Donc les marqueurs sociaux seront aussi forts qu'en prison. Cela n'a donc rien à voir avec les formes de socialisation qui existaient à l'époque du service national. L'expérience n'est donc pas reproductible.
Si les délinquants que j'ai eu sous mes ordres ne se comportaient pas en délinquants, c'est parce qu'ils étaient dans un autre milieu où la délinquance n'était pas une valeur, et où les opportunités étaient faibles. Et je suis prêt à parier que ce jeune qui fumait du hasch comme tout le monde et planquait des objets volés chez lui a recommencé dans les jours qui ont suivi son retour chez lui. Parce qu'il avait retrouvé son milieu, ses références culturelles. Encadrer militairement des délinquants n'ouvrirait donc que très provisoirement une parenthèse chez la majorité de ces jeunes et qui se refermerait dès lors qu'ils rejoindraient le milieu d'où on les avait extrait pour quelque temps.

 
Tiens puisqu'on parle de temps, je n'ai encore jamais entendu parler la forme, donc contenu et durée, que prendrait cette période passée sous la garde (bon la tutelle, d'accord) des militaires. Pour l'instant on a le bocal qui ressemble à une caserne avec des miradors. Mais on ne sait pas ce qui devrait se passer dedans. Sans doute que pour certains les termes d'encadrement militaire suffisent à garantir un résultat, mais on en est là encore qu'au niveau de l'incantatoire ou de l'illusion. Car il serait quand même dommage que les militaires transmettent à des délinquants leurs savoir-faire. Technique de combat au corps à corps, maniement des armes, combat urbain, etc., voilà des compétences qui devraient intéresser nombre de délinquants, certes, mais est-il vraiment bon de leur délivrer. Que fait-on alors à la place ? On marche au pas, on apprend des chants, on nettoie le casernement, on fait son lit au carré ? ça n'occupe pas une journée tout ça et l'intérêt risque vite de se fissurer.
Ou alors on en vient à la solution EPIDe. Une formation pédagogique qui consiste en gros à apprendre à lire, écrire et compter, une formation civique et une pré-formation professionnelle, le tout n'étant pas assuré par le personnel d'encadrement. (Voir leur site pour plus de détails). Mais le problème est de nature différent. La population des centres EPIDe est détectée lors des journées d'appel de la la défense à cause de son niveau extrêmement bas. Donc il y a homogénéité intellectuelle au moins de la population, ce qui n'est sans doute pas le cas pour les délinquants. En plus il s'agit de volontaires. A titre d'information sur les 20000 attendus ou potentiels, seuls 2000 ont accepté cette seconde chance qu'on leur donnait. J'ai un doute énorme sur les résultats de tels enseignements sur une population contrainte et forcée. L'effet de groupe au contraire dissuaderait certainement ceux qui souhaitent s'en sortir de se manifester ou de faire preuve de trop de zèle dans les apprentissages. Je ne dis pas que là n'est pas la solution mais, outre les problèmes logistiques à régler (je rappelle d'ailleurs que les casernes vides ont été vendues), il y a un vrai travail de fond à faire au sujet du contenu de ce temps passé sous l'œil des militaires dont finalement on voit dans cette hypothèse leur rôle se réduire à celui de gardes-chiourmes.

 
On a en fait en lançant cette idée répondu qu'à une seule question : qui? Le reste, durée, lieu(x), contenu, et comment, demeure dans le domaine de l'inconnu. Mais malgré cela certains trouveront encore que c'est une bonne idée, le slogan d'encadrement militaire devant sans doute se suffire à lui-même.

5 commentaires:

  1. un romantisme nostalgique à la Cesbron: chiens perdu sans colliers
    un rêve à la James Dean, j'ai fait des conneries, je ne suis pas mauvais.....
    on se bouge! il est question de réorienter et de faire aboutir des vies et de savoir à quoi peut bien servir de chanter la Marseillaise si en rompant les rangs on se retrouve en vacuité sociale idem qu'avant

    ces jeunes ont loupé l'école, l'acquisition des valeurs,si on prend la décision de les "apprivoiser" on est responsable de la suite

    en sortant ils ne vont pas trouver un ancrage par miracle: j'ai fait le plein de valeurs je viens chercher du boulot

    c'est cette suite qui constitue l'usine à gaz dont je parlais, et elle existe déjà en plus sous l'égide de gens payés pour ça dans la justice, le civil
    on va me sortir le machin imparable: les réseaux, les partenariats, les passerelles...justement ce sont les critères d'une usine à gaz qui brinquebale déjà ailleurs

    alors reprenons: vous me visser ces gosses sur les bancs de l'EN, le couvre feu c'est pas à 20heures mais 24/ sur 24 , on est soit à l'école soit à la maison (j'exagère à peine) et vous me virez les aires de jeu herbacées et ce à partir des pépinières marocaines

    je sent qu'on va me demander l'aide de l'armée pour ça.....je saute

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  2. Il est clair que c'est plus simple de segmenter les problèmes pour faire semblant en s'appuyant sur un ses segments de les résoudre.
    Dans le cas présent la solution me parait des pires. Délinquants actifs avant d'être encadrés, délinquants passifs (à condition d'être bien surveillés) en étant encadrés, ils redeviendront sans nul doute actifs à l'issue. Et sans doute plus efficaces, car ils auront mis en œuvre ce que vous décrivez, la constitution de réseaux et autres partenariats.
    Je ne crois absolument pas au traitement de masse des délinquants, ni à la rédemption collective.

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  3. Mais quelle alternative ? La prison criminogène ?

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  4. Je ne sais pas quelle alternative. Je pense juste qu'il vaut mieux agir en amont notamment par le biais de l'éducation. Et surtout éviter un traitement de masse avec les délinquants existant. Pas simple je sais.

    Mais votre question m'interpelle quand même. ce n'est pas parce qu'il y a un problème qu'il faut envisager n'importe quelle solution. Celle envisagée, bien que restant quand même jusqu'à présent dans le flou le plus total, me fait relever un certain nombre d'inconvénients dont je juge certains rédhibitoires. Maintenant je veux bien qu'on me prouve que je me trompe.

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  5. Ma question n'était ni "agressive", ni piège. Je me la pose, d'ailleurs pas particulièrement par rapport au thème "encadrement militaire".
    Vu le décalage, vous êtes certainement déjà tutoyant Morphée... bonne nuit !

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