"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 27 novembre 2013

Baby-Loup, épisode 4







Comme pour Starwars, attendons-nous à encore deux épisodes, à moins d'un cinquième bâclé.
C'est en effet le 4ème jugement qui vient d'être rendu concernant la légalité du licenciement d'une employée d'une crèche privée dont l'histoire avait pourtant bien commencé.

A l'origine, il était une crèche montée par une immigrée d'origine chilienne dans une ce ces zones qu'on nomme sensibles ou défavorisées, en fait peuplées de gens souvent dans la précarité et qui pour s'en sortir ne peuvent pas être trop regardants sur les boulots qu'on leur offre. Cette crèche avait donc cette particularité de fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, permettant aux familles de saisir toutes les opportunités se présentant à elles sans être empêchées par la garde de leur progéniture. Donc une belle initiative appréciée de tous et notamment par les familles qui pouvaient bénéficier de ce rare avantage. Mais ça fonctionnait sans doute trop bien pour que l'islam ne vienne pas perturber la chose par le biais d'une employée qui après un congé maternité, revient sur les lieux de son travail bien islamisée et voulant le faire savoir par sa tenue vestimentaire, bien que le règlement intérieur de la crèche datant de 1990 impose la neutralité philosophique, politique et confessionnelle. Malgré ce règlement et après plusieurs injonctions de revenir à une tenue neutre en termes de religion, l'employée est donc renvoyée pour faute grave et c'est là que commence l'affaire. Nous sommes en décembre 2008.

On passera rapidement, puisque cette institution n'était pas juge, sur le prologue constitué par le traitement chaotique réservé par la HALDE à cette affaire dont on a pu constater le parti pris idéologique pendant la présidence Schweitzer, tempéré par la nomination de Jeannette Bougrab à la place de ce dernier. Réjouissons-nous de la dissolution de cette honteuse institution.

D'un point de vue juridique, l'affaire est intéressante car elle peut conduire à une jurisprudence dont les effets peuvent être capitaux.
Au départ tout se passe bien, dans le bon sens. Les prudhommes jugent que le licenciement pour faute grave est justifié pour des raisons d'insubordination. On notera que ce jugement, mais les prudhommes ne peuvent guère en rendre d'autres sur le fond, ce n'est pas de leur compétence, n'aborde pas le problème de la neutralité religieuse, qui est véritablement le problème de fond. Néanmoins ce jugement aurait pu établir une jurisprudence sur les prérogatives des employeurs en termes d'interdiction de certaines tenues. Cela étant la chose serait restée assez floue puisque le contexte, et notamment la "raison sociale de l'entreprise" pouvait encore faire l'objet de discussions.
Nous sommes en novembre 2010.

La pauvre femme licenciée car elle ne peut plus se passer de son voile, atteinte par on ne sait quelle maladie subite, car elle travailla des années sans cet ornement vestimentaire et n'émis jamais le souhait de le porter fit évidemment appel. On ne se posera pas la question inutile de savoir qui paie et paiera les frais de justice. Et l'appel confirme le jugement des prudhommes. Mais cette fois on est allé davantage sur le fond. L'avocat général ayant fait valoir " le respect du principe de laïcité mais aussi la vulnérabilité des enfants"  tandis que la cour d'appel estimait que "les enfants n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d'appartenance religieuse". L'avocat de la crèche parlait de victoire de la laïcité. La laïcité, par le biais de l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour son personnel, pouvait être imposée au sein d'une crèche privée. Nous sommes en 2011.

La pauvre plaignante affublée de son morceau d'étoffe se trouva bien marrie, mais pas désespérée, car les voies de recours n'étaient point épuisées. C'est donc en cassation qu'elle se pourvut. Si on ne l'était pas encore, on est désormais assuré que l'affaire dépasse le cas individuel de cette mahométane rejetée par ses employeurs. Dès le début, et notamment grâce aux atermoiements de la HALDE, chacun avait compris que cette affaire pouvait devenir un enjeu de société puisque sa conclusion allait définir en quelque sorte quelques-uns des contours de ce qu'on nomme d'autant plus volontiers qu'on constate que ça ne fonctionne pas et même que ça fonctionne de plus en plus mal, le vivre ensemble. Les deux partis, et notamment celui de la plaignante, l'ont bien compris d'où cet acharnement judiciaire pour un morceau de tissu.
En cassation c'est la consternation. Enfin pour ceux qui pensent que seule la laïcité dans son strict respect peut permettre à des gens différents par leurs croyances religieuses de vivre ensemble sans heurts. Car la crèche est désavouée. Nous sommes en mars 2013.
Mais, en cassation, sauf exception, j'y reviendrai plus tard, on ne juge pas sur le fond mais en droit. Et c'est là que surgit ce problème qu'il faudra bien trancher un jour et qui le sera peut-être, au moins partiellement quand cette affaire arrivera à terme, de la limite entre le public et le privé. Dans ses considérations la cour de cassation envisage la crèche selon sont statut juridique (de droit privé) plutôt que selon sa mission qui de par sa nature apparait évidemment comme étant d'ordre public. La chose peut paraitre surprenante quand on voit la nature des enjeux bien relevés par la cour d'appel de Versailles.
Le jugement émis par la cour d'appel de Versailles est donc cassé et le procès est renvoyé devant la cour d'appel de Paris.
Cet arrêt de la cour de cassation a des grosses conséquences. Déjà des conséquences pour le moral du personnel de cette crèche qui était parvenu à en faire un endroit à part dans un environnement difficile grâce justement à cette volonté de gommer les différences communautaro-religieuses, celles à qui que la cour de cassation permettait donc de s'exprimer. Ce qui se passa dépassant bien entendu le simple phénomène du voile, car les revendications se firent de plus en plus entendre notamment en ce qui concerne l'alimentation. Sans parler des menaces envers le personnel, des insultes subies, des dégradations sur leurs véhicules, etc. De fait cette crèche, à cause de l'appui de la plus haute juridiction française au communautarisme, devenait un enjeu communautaire. Tant et si bien que celle-ci doit déménager vers une autre ville, voire fermer. Oui fermer car le conseil régional socialiste d'Ile-de-France, tandis qu'il finance des crèches confessionnelles refuse de subventionner Baby-Loup pour son déménagement. Il n'y a que les mauvais esprits qui y verront un appui au communautarisme. Bien sûr! On remarquera aussi la diligence de l'administration qui par le biais de l'inspection du travail donna très rapidement, preuve que parfois l'administration peut être efficace et rapide, l'injonction de modifier le règlement intérieur de la crèche, ceci avant même la tenue d'un nouveau procès. En fait on pourrait presque y voir un acharnement à démolir quelque chose qui marchait bien, qui proposait un modèle, qui certes ne va pas dans le sens forcément de la bienpensance amoureuse d'une diversité qu'elle ne subit pas, mais permettait à de jeunes enfants d'apprendre à vaincre leurs différences, et à leurs parents de mener leurs activités en les débarrassant de lourdes contraintes. C'est un truc trop beau ça. Il parait que ça ne plait pas à Allah, seul détenteur de la perfection, et donc ça ne peut pas plaire tout court.

Néanmoins, et que donc l'accablement que peuvent ressentir ces gens qui se donnent depuis plus de 20 ans en soit allégé, la cour d'appel de Paris vient de rendre un jugement contraire à l'arrêt de la cour de cassation. La plaignante voilée est une nouvelle fois déboutée. Cette fois les choses ont été précisées clairement. D'abord par le procureur général qui dans son réquisitoire se place dans une optique résolument laïque et situe l'enfant au centre des débats. Clairement la structure juridique de la crèche lui importe peu. C'est bien de sa mission et de son fonctionnement courant dont il s'agit. L'essentiel!
Voilà ce qu'il déclare : "si la liberté religieuse constitue un principe fondamental dans toute société démocratique, elle doit «s'assortir de certaines restrictions pour ne pas contrevenir à d'autres libertés, d'autres droits, par surcroît dans «un contexte multireligieux". "Particulièrement en matière d'accueil de jeunes enfants où la nature de la mission confiée au personnel exige, dans l'intérêt de l'enfant, pour son éveil et son développement, une neutralité". C'est clair, net, précis et irréfutable.
Et c'est cette voie (de la sagesse, mais elle se fait si rare) qu'ont suivi les juges qui déclarent dans leur arrêté  que  "Baby-Loup peut être qualifiée d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés. Les restrictions prévues par le règlement intérieur de la crèche ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne présentent pas de caractère discriminatoire, précise l'arrêt. Elles répondent aussi dans le cas particulier à l'exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même si cette dernière ne résulte pas de la loi." Et ils confirment le licenciement.

Voilà enfin une bonne nouvelle pour cette crèche et au-delà pour tous ceux qui sont attachés à la laïcité, qui en ont marre de ces revendications communautaristes, islamiques pour être clair, mais encore davantage marre de cette faiblesse des pouvoirs publics face à celles-ci, face à cette minorité de gens soutenus par quelques énergumènes se présentant comme étant les étalons de la pensée, la bonne pensée évidemment, et dont l'influence dans les milieux du pouvoir est grande, d'autant plus grande que derrière cela ce sont des voix à gagner qui sont en cause.

Mais le combat n'est pas gagné, ni pour cette crèche, ni pour la France, car si l'épisode 4 se termine bien, il sera bientôt suivi du 5 avec retour à la cour de cassation qui cette fois va se réunir en formation plénière et juger sur le fond. Et si elle revient à la raison, contredit son premier arrêt, cette affaire échappera définitivement aux juridictions françaises pour être traitée au niveau de la cour européenne des droits d l'homme. Eh oui on n'est plus guère maitre de son destin.
En attendant les barbus et leurs barbies voilées auront au moins réussi à faire partir cette crèche ailleurs. C'est leurs enfants qu'il faut plaindre désormais, surtout d'avoir de tels parents. Puissent-ils ne pas choper la maladie, pas d'amour celle-là.


Pour élargir le débat, mais sans le développer, cette affaire qui dure depuis 5 ans nous révèle des enjeux qui la dépassent très largement. Les revendications communautaristes s'accumulent faisant hélas l'objet parfois d'un accueil favorable, notamment localement, et en tout cas ne faisant pas l'objet d'un refus net et définitif qui pourrait les empêcher d'exister. Notre arsenal législatif est à la fois trop développé et insuffisant. Trop développé parce que chaque phénomène, notamment textile, peut faire l'objet d'une loi ou de lois ou de règles déclinables à l'envi en fonction des lieux où ils s'expriment. Insuffisant car il ne répond pas à deux questions simples : quelle est la limite entre l'espace privé et  l'espace public? Qu'est-ce qui est inacceptable pour nous? Les réponses à ces questions peuvent être simples. Les miennes le sont. Mais il faut avoir du courage. Mais ça semble être une denrée rare par les temps qui courent.


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