Comme pour Starwars,
attendons-nous à encore deux épisodes, à moins d'un cinquième bâclé.
C'est en effet le 4ème
jugement qui vient d'être rendu concernant la légalité du licenciement d'une
employée d'une crèche privée dont l'histoire avait pourtant bien commencé.
A l'origine, il était une crèche
montée par une immigrée d'origine chilienne dans une ce ces zones qu'on nomme
sensibles ou défavorisées, en fait peuplées de gens souvent dans la précarité
et qui pour s'en sortir ne peuvent pas être trop regardants sur les boulots
qu'on leur offre. Cette crèche avait donc cette particularité de fonctionner 24
heures sur 24 et 7 jours sur 7, permettant aux familles de saisir toutes les
opportunités se présentant à elles sans être empêchées par la garde de leur
progéniture. Donc une belle initiative appréciée de tous et notamment par les
familles qui pouvaient bénéficier de ce rare avantage. Mais ça fonctionnait
sans doute trop bien pour que l'islam ne vienne pas perturber la chose par le
biais d'une employée qui après un congé maternité, revient sur les lieux de son
travail bien islamisée et voulant le faire savoir par sa tenue vestimentaire,
bien que le règlement intérieur de la crèche datant de 1990 impose la neutralité
philosophique, politique et confessionnelle. Malgré ce règlement et après
plusieurs injonctions de revenir à une tenue neutre en termes de religion, l'employée
est donc renvoyée pour faute grave et c'est là que commence l'affaire. Nous
sommes en décembre 2008.
On passera rapidement, puisque
cette institution n'était pas juge, sur le prologue constitué par le traitement
chaotique réservé par la HALDE à cette affaire dont on a pu constater le parti
pris idéologique pendant la présidence Schweitzer, tempéré par la nomination de
Jeannette Bougrab à la place de ce dernier. Réjouissons-nous de la dissolution
de cette honteuse institution.
D'un point de vue juridique,
l'affaire est intéressante car elle peut conduire à une jurisprudence dont les
effets peuvent être capitaux.
Au départ tout se passe bien,
dans le bon sens. Les prudhommes jugent que le licenciement pour faute grave
est justifié pour des raisons d'insubordination. On notera que ce jugement,
mais les prudhommes ne peuvent guère en rendre d'autres sur le fond, ce n'est
pas de leur compétence, n'aborde pas le problème de la neutralité religieuse,
qui est véritablement le problème de fond. Néanmoins ce jugement aurait pu
établir une jurisprudence sur les prérogatives des employeurs en termes
d'interdiction de certaines tenues. Cela étant la chose serait restée assez
floue puisque le contexte, et notamment la "raison sociale de l'entreprise"
pouvait encore faire l'objet de discussions.
Nous sommes en novembre 2010.
La pauvre femme licenciée car elle
ne peut plus se passer de son voile, atteinte par on ne sait quelle maladie
subite, car elle travailla des années sans cet ornement vestimentaire et n'émis
jamais le souhait de le porter fit évidemment appel. On ne se posera pas la
question inutile de savoir qui paie et paiera les frais de justice. Et l'appel
confirme le jugement des prudhommes. Mais cette fois on est allé davantage sur
le fond. L'avocat général ayant fait valoir " le respect du principe de
laïcité mais aussi la vulnérabilité des enfants" tandis que la cour d'appel estimait que "les
enfants n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires
d'appartenance religieuse". L'avocat de la crèche parlait de victoire de
la laïcité. La laïcité, par le biais de l'interdiction du port de signes
religieux ostentatoires pour son personnel, pouvait être imposée au sein d'une
crèche privée. Nous sommes en 2011.
La pauvre plaignante affublée de
son morceau d'étoffe se trouva bien marrie, mais pas désespérée, car les voies
de recours n'étaient point épuisées. C'est donc en cassation qu'elle se pourvut.
Si on ne l'était pas encore, on est désormais assuré que l'affaire dépasse le
cas individuel de cette mahométane rejetée par ses employeurs. Dès le début, et
notamment grâce aux atermoiements de la HALDE, chacun avait compris que cette
affaire pouvait devenir un enjeu de société puisque sa conclusion allait
définir en quelque sorte quelques-uns des contours de ce qu'on nomme d'autant plus
volontiers qu'on constate que ça ne fonctionne pas et même que ça fonctionne de
plus en plus mal, le vivre ensemble. Les deux partis, et notamment celui de la
plaignante, l'ont bien compris d'où cet acharnement judiciaire pour un morceau
de tissu.
En cassation c'est la
consternation. Enfin pour ceux qui pensent que seule la laïcité dans son strict
respect peut permettre à des gens différents par leurs croyances religieuses de
vivre ensemble sans heurts. Car la crèche est désavouée. Nous sommes en mars
2013.
Mais, en cassation, sauf
exception, j'y reviendrai plus tard, on ne juge pas sur le fond mais en droit.
Et c'est là que surgit ce problème qu'il faudra bien trancher un jour et qui le
sera peut-être, au moins partiellement quand cette affaire arrivera à terme, de
la limite entre le public et le privé. Dans ses considérations la cour de
cassation envisage la crèche selon sont statut juridique (de droit privé)
plutôt que selon sa mission qui de par sa nature apparait évidemment comme
étant d'ordre public. La chose peut paraitre surprenante quand on voit la
nature des enjeux bien relevés par la cour d'appel de Versailles.
Le jugement émis par la cour
d'appel de Versailles est donc cassé et le procès est renvoyé devant la cour
d'appel de Paris.
Cet arrêt de la cour de cassation
a des grosses conséquences. Déjà des conséquences pour le moral du personnel de
cette crèche qui était parvenu à en faire un endroit à part dans un
environnement difficile grâce justement à cette volonté de gommer les
différences communautaro-religieuses, celles à qui que la cour de cassation
permettait donc de s'exprimer. Ce qui se passa dépassant bien entendu le simple
phénomène du voile, car les revendications se firent de plus en plus entendre notamment
en ce qui concerne l'alimentation. Sans parler des menaces envers le personnel,
des insultes subies, des dégradations sur leurs véhicules, etc. De fait cette
crèche, à cause de l'appui de la plus haute juridiction française au
communautarisme, devenait un enjeu communautaire. Tant et si bien que celle-ci
doit déménager vers une autre ville, voire fermer. Oui fermer car le conseil
régional socialiste d'Ile-de-France, tandis qu'il finance des crèches
confessionnelles refuse de subventionner Baby-Loup pour son déménagement. Il
n'y a que les mauvais esprits qui y verront un appui au communautarisme. Bien sûr!
On remarquera aussi la diligence de l'administration qui par le biais de
l'inspection du travail donna très rapidement, preuve que parfois l'administration
peut être efficace et rapide, l'injonction de modifier le règlement intérieur
de la crèche, ceci avant même la tenue d'un nouveau procès. En fait on pourrait
presque y voir un acharnement à démolir quelque chose qui marchait bien, qui
proposait un modèle, qui certes ne va pas dans le sens forcément de la
bienpensance amoureuse d'une diversité qu'elle ne subit pas, mais permettait à
de jeunes enfants d'apprendre à vaincre leurs différences, et à leurs parents
de mener leurs activités en les débarrassant de lourdes contraintes. C'est un
truc trop beau ça. Il parait que ça ne plait pas à Allah, seul détenteur de la
perfection, et donc ça ne peut pas plaire tout court.
Néanmoins, et que donc
l'accablement que peuvent ressentir ces gens qui se donnent depuis plus de 20
ans en soit allégé, la cour d'appel de Paris vient de rendre un jugement
contraire à l'arrêt de la cour de cassation. La plaignante voilée est une nouvelle
fois déboutée. Cette fois les choses ont été précisées clairement. D'abord par
le procureur général qui dans son réquisitoire se place dans une optique
résolument laïque et situe l'enfant au centre des débats. Clairement la
structure juridique de la crèche lui importe peu. C'est bien de sa mission et
de son fonctionnement courant dont il s'agit. L'essentiel!
Voilà ce qu'il déclare : "si
la liberté religieuse constitue un principe fondamental dans toute société
démocratique, elle doit «s'assortir de certaines restrictions pour ne pas contrevenir
à d'autres libertés, d'autres droits, par surcroît dans «un contexte
multireligieux". "Particulièrement en matière d'accueil de jeunes
enfants où la nature de la mission confiée au personnel exige, dans l'intérêt
de l'enfant, pour son éveil et son développement, une neutralité". C'est
clair, net, précis et irréfutable.
Et c'est cette voie (de la
sagesse, mais elle se fait si rare) qu'ont suivi les juges qui déclarent dans
leur arrêté que "Baby-Loup peut être qualifiée
d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés.
Les restrictions prévues par le règlement intérieur de la crèche ne portent pas
atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne
présentent pas de caractère discriminatoire, précise l'arrêt. Elles répondent
aussi dans le cas particulier à l'exigence professionnelle essentielle et
déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même
si cette dernière ne résulte pas de la loi." Et ils confirment le
licenciement.
Voilà enfin une bonne nouvelle
pour cette crèche et au-delà pour tous ceux qui sont attachés à la laïcité, qui
en ont marre de ces revendications communautaristes, islamiques pour être
clair, mais encore davantage marre de cette faiblesse des pouvoirs publics face
à celles-ci, face à cette minorité de gens soutenus par quelques énergumènes se
présentant comme étant les étalons de la pensée, la bonne pensée évidemment, et
dont l'influence dans les milieux du pouvoir est grande, d'autant plus grande
que derrière cela ce sont des voix à gagner qui sont en cause.
Mais le combat n'est pas gagné,
ni pour cette crèche, ni pour la France, car si l'épisode 4 se termine bien, il
sera bientôt suivi du 5 avec retour à la cour de cassation qui cette fois va se
réunir en formation plénière et juger sur le fond. Et si elle revient à la
raison, contredit son premier arrêt, cette affaire échappera définitivement aux
juridictions françaises pour être traitée au niveau de la cour européenne des
droits d l'homme. Eh oui on n'est plus guère maitre de son destin.
En attendant les barbus et leurs
barbies voilées auront au moins réussi à faire partir cette crèche ailleurs.
C'est leurs enfants qu'il faut plaindre désormais, surtout d'avoir de tels
parents. Puissent-ils ne pas choper la maladie, pas d'amour celle-là.
Pour élargir le débat, mais sans
le développer, cette affaire qui dure depuis 5 ans nous révèle des enjeux qui la
dépassent très largement. Les revendications communautaristes s'accumulent
faisant hélas l'objet parfois d'un accueil favorable, notamment localement, et
en tout cas ne faisant pas l'objet d'un refus net et définitif qui pourrait les
empêcher d'exister. Notre arsenal législatif est à la fois trop développé et insuffisant.
Trop développé parce que chaque phénomène, notamment textile, peut faire
l'objet d'une loi ou de lois ou de règles déclinables à l'envi en fonction des
lieux où ils s'expriment. Insuffisant car il ne répond pas à deux questions
simples : quelle est la limite entre l'espace privé et l'espace public? Qu'est-ce qui est inacceptable
pour nous? Les réponses à ces questions peuvent être simples. Les miennes le
sont. Mais il faut avoir du courage. Mais ça semble être une denrée rare par
les temps qui courent.
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