"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 9 novembre 2013

Les fusillés de la Grande Guerre (1ère partie)





La guerre c'est une succession de moments terribles. Et parmi ces moments il en existe certains particulièrement marquants. L'exécution de ses propres soldats en est un. Ce type d'événement sort tellement des normes qu'il garde à travers l'histoire une importance qui pourrait paraitre totalement disproportionnée par rapport à ses effets concrets les plus visibles.

Pensez-donc! L'exécution de 741 soldats français pendant la grande guerre, dont 56 pour espionnage et 53 pour des crimes de droit commun, donc plus d'une centaine pour des motifs peu discutables, suscitent encore des débats, même au plus haut sommet de l'Etat, tandis que 1,4 millions d'autres soldats français sont morts pour la France, soit une moyenne de 890 par jour pendant toute la période. Ce n'est pas le même poids, pourtant on parle presque davantage des premiers que des seconds.

Il est donc intéressant de s'interroger sur les enjeux en cause qui font se mobiliser associations et partis politiques et obligent premiers ministres (Jospin en 1998), et présidents de la République (Sarkozy 2008 et Hollande 2013) à s'exprimer publiquement sur le sujet. Et aussi sur des revendications allant de la réhabilitation générale des fusillés avec mention "mort pour la France" et inscription du nom sur les monuments aux morts, au statu quo., en passant par un réexamen de chaque cas.



Mais avant il serait utile de savoir de quoi on parle.

Dans beaucoup d'esprits par exemple, le terme de fusillés évoque les mutineries de 1917, alors que moins de 30 soldats ont été fusillés à l'occasion de cet événement, et tandis que la plupart de ceux qui furent exécutés le furent dans les premiers mois de la guerre, en 1914 et 1915. En fait ce sont 502 militaires qui furent fusillés en 1914 et 1915, dont 206 entre septembre et décembre 1914 . Ceci nous permet de relativiser ce sentiment par beaucoup partagés que la fatigue, l'usure, etc., sont à corréler avec un mouvement de fronde qui aurait été réprimé violemment. De fait les motifs ayant conduit devant un peloton d'exécution (voire à une exécution sommaire) sont principalement l'abandon de poste (393 cas dont 282 en 1914-15) et  le refus d'obéissance (109 cas dont 70 en 1914-15).  L'essentiel se passe donc en début de guerre, le recours à la peine capitale diminuant nettement à mesure que la guerre se prolonge (136, 89 et 14 exécutions respectivement en 1916, 17, et 18).

Il faut aussi tenter de s'imprégner de l'état d'esprit d'une époque où la peine de mort ne fait guère débat et où la justice militaire n'est pas contestée, surtout en cas de conflit. Même des abolitionnistes conçoivent la nécessité de la peine de mort en temps de guerre, ainsi Guyot-Dessaigne, ministre de la justice sous Clemenceau, qui en tant que partisan de l’abolition de la peine de mort rédige en 1906 un projet de loi en ce sens excluant les crimes tombant sous la loi des codes militaires en temps de guerre. De fait la justice militaire et ses effets sont bien acceptés, également par es combattants, même si par ailleurs les exécutions, montées comme des spectacles, génèrent souvent un malaise dans la troupe qui y est conviée. C'est en grande partie cette dernière conséquence, à laquelle s'ajouteront des limitations de leurs pouvoirs dès 1916, qui fera que les cours de justice militaire recourront de moins en moins à la peine de mort, du moins à des exécutions proprement dites puisque plus de 2500 condamnation à la peine capitale furent prononcées, dont près des trois-quarts commuées.



Que dire de cette justice?

Tout d'abord son application répond à une stratégie de dissuasion. Il s'agit de punir très sévèrement ceux qui ont failli à leur devoir pour dissuader les autres de vouloir les imiter. Mais avec une grande nuance tout de même puisqu'il n'est pas possible de juger tous ceux qui ont par exemple reculé, on en choisira que quelques uns parmi eux. Souvent parce que plus caractéristiques. Parfois par tirage au sort. Dans ce dernier cas les jugements seront cassés ultérieurement. Donc souvent tous les coupables potentiels ne sont pas jugés, mais seulement quelques-uns. Ce motif sera jugé irrecevable pour casser les jugements puisque ne pas punir tous les coupables n'équivaut pas à innocenter ceux qui ont été condamnés.

C'est une justice expéditive d'abord dotée de pouvoirs exorbitants qui lui sont attribués en début de guerre avant qu'ils ne soient restreints au bénéfice des inculpés. En 1914, au début du conflit on suspend le droit de demande de révision pour les condamnés, on supprime la transmission des condamnations à mort au président de la République et on crée des conseils de guerre spéciaux dispensés d'instruction préalable au procès et dont le jugement est sans appel. Ces mesures seront annulées au début de 1916 avec en particulier le rétablissement de la transmission des dossiers des condamnés à mort à la présidence de la République, la suppression des conseils de guerre spéciaux, le rétablissement de la possibilité du recours et la possibilité de mettre en avant des circonstances atténuantes. Ces mesures seront mises entre parenthèse lors de la crise des mutineries de 1917, mais sans effets qualitatifs notables comme nous l'avons vu.

La justice militaire malgré ces caractéristiques est néanmoins perçue comme nécessaire par les gens de l'époque et même par les militaires en première ligne. Ceux-ci pourtant, mieux au fait que quiconque des difficultés et de la dure vie des combattants, et donc à même de comprendre les faiblesses de certains et de ne pas comprendre au contraire la dureté de certaines condamnations eu égard aux circonstances particulières qui en furent à l'origine, éprouvent dans le même temps une certaine amertume qui sera à l'origine des premiers débats, même s'ils demeurent alors encore assez confidentiels, sur ces mêmes condamnations, alors que la guerre n'est pas terminée.



Mais dès la guerre terminée, de vrais débats peuvent s'engager, menés en particulier sous l'égide de la ligue des droits de l'homme. Eh non, ce n'est pas à notre époque qu'on s'est penché sur ce point particulier de la guerre. Ce n'est pas notre époque de grande compassion et à la recherche de nos fautes passées qu'il convient absolument de réparer, sans en avoir fait préalablement un étalage bruyant, qui a le monopole des ce type de sujet. Même, et je viens quelque peu de l'évoquer, si les enjeux ne sont pas les mêmes en fonction des époques. On verra cela dans la partie suivante.

En attendant, il faut savoir que dès la fin de la guerre des gens œuvrent pour que justice soit rendue, si je puis m'exprimer ainsi, au moins dans certains cas. Et avec un certain succès, pas éclatant tout de même, puisque entre les deux guerres ce seront une quarantaine de condamnés qui seront réhabilités. Je rappelle que tous n'étaient pas innocents parmi les exécutés.

En fait ce sont surtout des questions de procédure qui ont été mises en cause au début. Ainsi les tirages au sort, les exécutions sans jugement, où les accusations non caractérisées (par exemple ce soldat fusillé parce qu'il n'avait pas accepté de revêtir un pantalon taché de sang – ça a fait l'objet d'un film – mais ne l'avait pas fait devant l'ennemi), ont fait l'objet d'une cassation de jugement, soit par la cour du même nom, soit par des cours d'appel. C'est donc ici affaire de justice ordinaire.

Mais le problème et son impact sur a société de l'époque fera aussi que l'on ne se contentera pas de cette justice ordinaire et que donc on créera en 1932 une juridiction ad hoc, une cour spéciale de justice militaire composée paritairement de magistrats et d'anciens combattants qui pourra réexaminer tous les jugements, et pas seulement sur la forme.

Néanmoins, comme on l'a vu, les réhabilitations furent rares. Plusieurs raisons à cela : des culpabilités avérées, le manque d'éléments permettant une révision, notamment la disparition des témoins directs, ou tout simplement l'absence de demande de révision par les familles.





La seconde partie sera consacrée aux enjeux et aux possibilités de clore cette affaire. Elle sera donc évidemment plus polémique et plus personnelle, celle-ci ayant consisté essentiellement, et cela me semble un préalable nécessaire, à énoncer des faits permettant de mieux saisir le problème. Je me suis largement inspiré pour cette partie de l'excellent rapport de la commission d'historiens présidée par Antoine Prost, laquelle devait répondre à une commande du ministre en charge des anciens combattants.


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