L'ambiance est morose ce matin.
On imagine les boites de pilules bleues ou roses au fond des poches ou des sacs
à main qui permettent de se forcer encore à sourire. Peut-être même un ou deux pétards
dans le sac en toile râpée de Cécile. C'est naturel. Mai 2012, l'euphorie
consécutive au coup de téléphone de Jean-Marc, parfois même de François,
annonçant l'admission au cénacle,
semblent loin, très loin. Certains en viennent même à considérer avec nostalgie
l'heureuse époque irresponsable quand ils étaient dans l'opposition. Ils
savent, mais curieusement ça ne parvient pas à les consoler, qu'ils y retourneront vite. Ils le valent bien.
Finies les plaisanteries, les
moqueries et même l'envie de médire sur tel ou tel ou encore telle. Ça sent
trop le sapin. On accompagnerait volontiers l'éternel café qui précède le
conseil d'un alcool fort, histoire de se sentir mieux. Mais ça ne se fait pas
encore e ces lieux. Alors ceux qui n'en peuvent plus iront discrètement dans
les toilettes tirer quelques petites gorgées de leur flasque assez plate pour
ne pas être remarquée sous le tissu de la veste.
Bref rien ne va plus. Les dernières
semaines ont été désastreuses, mais sans doute moins que celles à venir. Donc
ça promet.
L'huissier de service annonce
l'entrée imminente du président. Vie qu'on en finisse. Qu'on retourne dans son
ministère pour y ruminer seul, sans témoins. C'est trop dur de se forcer
surtout quand on sait que les autres aussi se forcent. Qu'un seul craque et tous les autres
s'écrouleront. Chacun le sait et souhaite donc que ça se termine vite.
Seul Laurent semble tenir la
forme. Mais c'est vrai qu'il mène sa vie tout seul, sans contraintes.
Le président entre escorté du
premier ministre. Ça ce voit qu'eux n'ont pas la pèche non plus. Le regard de cocker
battu du président s'est affirmé. Ses rondeurs aussi. Quant à Jean-Marc il a l'air complètement éteint. Encore plus
que d'habitude. On n'aurait pas cru cela possible. Mais ça l'est.
Les deux se laissent choir
lourdement dans leurs fauteuils dont on perçoit les gémissements. Surtout celui
de François. Les autres accompagnent le mouvement. Le silence règne.
Après quelques secondes François
prend enfin la parole.
- Bonjour. Bon ne tournons pas autour du pot. Ça va
mal. Je ne peux pas faire un pas en dehors du bâtiment sans être sifflé. J'ai
même peur des jardiniers qui ramassent les feuilles dans le parc. C'est
insupportable. Il faut faire quelque chose. Quelqu'un a une idée?
- Oui moi!
C'est Laurent qui vient de lâcher ces mots. François, le
regard empli d'espoir, se tourne vers lui.
- Des boules Quies! Voilà ce qu'il te faut.
Cette réponse pour le moins inattendue
a au moins le mérite de provoquer quelques sourires chez certains qui pensaient
ne plus pouvoir y arriver. Mais des sourires vite réprimés, car François
apparemment n'a pas trouvé ça drôle. Mais il ne dit rien. On ne se met pas à
dos impunément l'ancien plus jeune premier ministre de la France.
- Quelqu'un a une autre idée?
Cette fois c'est Cécile qui se
lance.
- Oui, j'ai pensé que si on devait remanier, même
si je trouve Jean-Marc vraiment très bien. Enfin vous me comprenez, hein. Sous la
pression… Bon si on devait remanier le
gouvernement dans les prochains jours, il faudrait penser à ressouder la
majorité présidentielle. Et donc nommer un premier ministre issu des verts. Et
on pourrait en profiter pour donner un signe fort, pour la promotion de la
parité, en nommant une femme à ce poste.
- Oui Cécile, c'est une idée. Mais tu comprends, je
ne peux pas nommer Eva Joly à ce poste. Elle n'est pas vraiment populaire et on
va se moquer de son accent.
- Mais….
- Une autre suggestion?
Manuel se lève, menton en avant. Il
pose ostensiblement sa main sur l'épaule de Christiane. Les deux s'aiment.
- Je suggère une politique répressive. On les arrête
et grâce à Christiane qui a mijoté une circulaire à cet effet, on les enferme
tous. Par contre par manque de place il faudra libérer quelques milliers de
délinquants. Mais eux ne sifflent pas.
- Oui mais sous quel motif?
- Outrage au président de la République
- Ne serait-ce pas nous qui avons supprimé ce
délit? s'exclame Laurent goguenard. Connaissant François, je savais que c'était
une bêtise.
Manuel se rassied, l'air dépité.
Bernard qui s'exprime assez peu
ordinairement lève le doigt.
- En tant que ministre du budget, j'ai pensé que
nous pourrions tirer partie de la situation en taxant les siffleurs. Comme vous
le savez un bon impôt est un impôt à assiette large. Et celle-ci ressemble
davantage à un plateau qu'à une assiette.
Les larmes montent aux yeux de François.
Jean-Marc a posé sa tête sur la table enfermée entre ses bras. Il faut terminer
cette séance. Ça devient insupportable.
- Bon, je vous remercie pour votre aide qui m'est
toujours aussi précieuse. Continuez à réfléchir.
Najat, l'air affolé, demande :
- Et qu'est ce que je dis à la presse, moi?
- Ben t'as qu'à leur dire que le président et le
gouvernement ont réaffirmé leur détermination à combattre le racisme sous
toutes ses formes et l'extrême-droite. Communication de crise, quoi!
- Oui chef!
La séance est levée. Chacun
remonte dans sa voiture. Christiane sur son vélo. En évitant soigneusement les
journalistes présents dans la cour de l'Elysée. Encore 40 mois à tenir.
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