Je notais dans le précédent
billet deux choses importantes. La première est la place faite dans les
discours depuis quelques années aux fusillés par rapport à leur nombre et
comparativement aux 1,4 millions de soldats français morts pendant les combats.
La seconde est que la République n'a pas attendu Jospin et son discours de
Craonne en 1998 pour se pencher sur le cas de ces fusillés puisque dès la
guerre elle-même, et surtout dans l'entre-deux guerres, la justice ordinaire
d'abord, puis une justice spéciale fut invitée à se prononcer sur de nombreux
cas.
Le sujet a donc franchi le siècle
mais en se métamorphosant. Car les motifs et les enjeux ont changé profondément
avec les années. Tandis que dans une première phase qui a duré une vingtaine
d'années, il s'est agi de réparer des injustices, il s'agit depuis une
vingtaine d'années de la part de certains de réparer une injustice, mais pas
seulement, car des sous-entendus idéologiques ne manquent pas de se faire
entendre chez ceux qui réclament une réhabilitation générale avec en prime la
mention de "morts pour la France". Notons au passage, et ce sera
assez évocateur que du côté des politiques on semble assez gêné par la
question. Les partis politiques contactés par la commission dont j'ai fait mention
dans mon dernier billet n'ont pas donné suite sauf, ce n'est pas un hasard, le
parti communiste et le parti de gauche. Ce sont donc essentiellement les
associations qui mènent le bal, les politiques, au plus haut sommet, restant
dans une position qu'on pourrait qualifier d'attentiste.
Revenons tout d'abord sur les
enjeux et les motivations aux deux époques.
Comme je l'ai déjà exprimé, à
l'issue de la guerre ce n'est pas tant la justice militaire qui est remise en
cause dans son principe, puisque sa nécessité est couramment admise ainsi que
celle de la peine de mort pour ceux qui ont failli à leurs devoirs, que les
modalités de l'exercice de cette justice. Les droits de la défense ont été
clairement ignorés en 1914 et 1915 au moins, et la toute puissance de la justice
militaire ne permettait guère d'échapper à ses rigueurs dès lors qu'un
militaire, quel que soit son grade d'ailleurs, était conduit devant elle. Et
indéniablement des erreurs ont été commises du fait de procédures réduites au
minimum, comme en témoignent les dossiers contenant les pièces des différents
procès, quand ils n'ont pas disparu, et qui ne sont pas très épais. Mais encore
une fois qu'à situation d'exception corresponde justice d'exception était
largement admis par tous. Avec un siècle de recul alors que la peine de mort a
été depuis abolie, que la justice militaire a été supprimée, que les droits de
la défense ont pris une importance capitale, on peut avoir des difficultés à
l'admettre, mais c'est ainsi. A l'époque donc l'idée de réhabilitation collective
n'effleure même pas les esprits. Il s'agit tout au plus de rétablir dans leur
honneur des militaires condamnés injustement ou d'une façon qui contrevenait
avec les procédures (exécutions sans jugements, tirage au sort, ou accusations
non caractérisées).
Quant aux enjeux ils étaient
d'une toute autre nature qu'ils ne peuvent l'être aujourd'hui.
La condamnation à mort d'un
militaire au front avait des incidences profondes sur sa famille, matérielles
et sociales. Le fait de n'être pas "mort pour la France " interdisait
par exemple le versement de pensions aux veuves et aux orphelins, lesquels
n'avaient pas à être prise en charge par l'Etat. Quant au regard des autres, il
était pour le moins pesant. Etre le père, la mère, l'épouse, l'enfant d'un fusillé
était lourds à porter dans une France encore rurale où les valeurs liées au
courage et à la virilité avaient encore une place. On comprend donc
l'importance que pouvait revêtir une réhabilitation pour les familles
concernées.
On saisit aisément que ces enjeux
ne trouvent plus guère de place aujourd'hui. Matériellement c'est hors sujet.
Quant à l'honneur entaché d'une famille, ce n'est pas dans le regard des autres
qu'on va le trouver. Qui connait un descendant de fusillé qui ne se serait pas
signalé comme tel? Dans certains cas, et aux yeux de certaines personnes ou
mouvances, on pourrait même supposer qu'être descendant d'un fusillé soit un
titre de gloire. Compassion et repentance réunies peuvent parvenir à de curieux
retournements de situation. Mais n'extrapolons pas. De fait à l'époque
actuelle, les familles sont très peu demandeuses. Alors que juste après la
guerre ce sont elles qui sollicitaient les associations pour que justice leur
soit rendue, ce sont désormais les associations qui sont en quêtes de familles
pour donner un air de légitimité à leurs revendications. Et les motivations
profondes de ces dernières n'ont, à vrai dire, souvent plus grand-chose à voir avec une lutte
pour la justice. Il s'agit en fait pour certaines de dénoncer la guerre, de
pratiquer un antimilitarisme de bon ton, de se couler dans la tendance actuelle
de repentance visant à salir la France. Il n'y a plus guère que la ligue des
droits de l'homme, rejointe par l'union nationale des combattants, pour être
attachée à la réhabilitation au cas par cas, donc se souciant des individus,
selon un mode qu'elle a inauguré dès après la guerre.
On peut distinguer sur le sujet
trois grandes tendances que je m'efforcerai de commenter :
La première, maximaliste, est
portée par une mouvance située très à gauche. Les motivations sont clairement d'ordre politique.
L'association républicaine des
anciens combattants (ARAC), compagnon de route du parti communiste, demande par
exemple simplement la réhabilitation de tous les fusillés avec la mention
"mort pour la France", avec inscription sur les monuments aux morts.
La fédération nationale de la
pensée libre est moins exigeante puisqu'elle ne demande qu'une réhabilitation
collective, mais pas juridique, seulement politique, avec inscription
systématique des noms sur les monuments aux morts si la demande en est faite.
On retrouve là les revendications
de deux partis de la gauche extrême, le PC qui demande la même chose que l'ARAC,
et le parti de gauche qui demande une réhabilitation collective civique avec
incitation pour les communs à inscrire les noms sur les monuments aux morts.
Pour ma part, celle, même si elle
est parait irréaliste et profondément injuste voire humiliante pour ceux qui
ont fait leur devoir et ne seraient pas meilleurs que des déserteurs, des assassins
ou des violeurs (cas avéré parmi les fusillés), donc celle portée par le PC et l'ARAC me
parait plus nette que celle portée par le parti de gauche et la fédération
nationale de la libre pensée, plus insidieuse.
Une réhabilitation juridique a
une certaine cohérence, même si elle n'est pas pertinente. Elle peut partir du
fait que certains soldats innocents ont été fusillés, dont certains déjà
réhabilités, et qu'un doute existe quant à la culpabilité de tous. Mais en fait
ce n'est pas cela qui motive la demande en question : il s'agit de reconnaitre a
posteriori un droit à l'objection de conscience qui n'existait pas alors, et
par prolongement d'en assurer une certaine primauté sur le devoir d'obéissance
dans les conflits présents ou à venir. Ça entre dans une logique communiste,
évidemment moins manifeste aujourd'hui vu l'état de délabrement du parti, qui
permet de choisir ses combats armés non pas en fonction des intérêts de la France,
mais de ceux du parti. On se souviendra de l'attitude du PC lors du second
conflit mondial, lié d'abord par le pacte germano-soviétique avant d'entrer en
résistance en juin 41 (je parle évidemment de la position du parti et non des
attitudes individuelles). Donc rien de nouveau.
Les revendications portant sur
une réhabilitation civique ou politique me paraissent plus insidieuses. Les
termes ont évidemment une importance majeure. Ces revendications consistent en
effet à reconnaitre la légalité des sanctions au regard des règles juridiques
de l'époque, mais à contester la légitimité de ces règles. Ainsi les victimes
de ces règles étaient des hommes qui avaient raison avant les autres. Les plus
civiques et les plus éclairés politiquement c'étaient eux et pas les centaines
de milliers morts sous le feu de l'ennemi. C'est juste infâme.
La position de la LDH, relayée
par l'union nationale des combattants, est assez conforme à l'esprit de
l'après-guerre qui sans remettre en cause le phénomène proprement dit (justice
militaire et condamnation à mort pour les fautes gravées avérées contre
l'honneur). Il 'agit de revisiter les jugements de façon individuelle et de
procéder si besoin est à des réhabilitations individuelles. Cette suggestion
est acceptable, mais évidemment quasiment impossible à mettre en œuvre. Déjà dans les années 30 il état difficile de
le faire par manque de témoins et à cause de dossiers soit très peu étoffés,
soit disparus. On imagine la difficulté aujourd'hui. N'oublions pas également
que pour des raisons d'équité, ce sont toutes les condamnations par les cours
militaires qui devraient être traitées et notamment les environ 1800
condamnations à mort qui furent commuées. Cette tâche parait donc irréalisable
et aussi son côté forcément parcellaire
pourrait être considéré comme lui-même injuste.
Il y a enfin une dernière
position qui est celle de beaucoup d'associations patriotiques et du monde
combattant (24 associations regroupées dans le comité national d'entente). Selon
ce groupement d'associations, dans la mesure où il n'y a plus de survivant de
cette période, le sujet est clos. De la même manière que des héros méconnus ne
seront jamais récompensés, il n'est plus guère possible près d'un siècle de
revenir sur des cas qui ont déjà été pris en compte, à une époque où cela était
possible parce que des gens pouvaient alors témoigner, sinon au sujet des
affaires en question, sur les difficultés de la vie au front. Par ailleurs il
met en garde contre une utilisation partisane de cet événement, ferment d'une
rupture de cohésion nationale autour de ce moment de commémoration que devrait
être la célébration du centenaire.
Ces différents points de vue sur
la question qui peuvent être autant d'options pour le pouvoir politique ont été
relevés par la commission chargée du dossier, à la demande du gouvernement. Mais
comme nous sommes en Hollandie, il ne pouvait pas être question de ne pas
suggérer une autre voie de sortie qui puisse faire en quelque sorte la synthèse
de toute cela, ménageant la chèvre et le chou et finalement ne contentant sans
doute personne. Et c'est effectivement cette voie-là que semble avoir choisie
notre président si on se réfère aux termes de son discours lançant cette année
de commémorations.
La commission suggère une
déclaration solennelle affirmant que même si tous n'étaient pas exempts d'une
faute grave, d'un manquement à leur devoir de soldats, les conditions de fonctionnement
de la justice militaire a pu faire injustement beaucoup de victimes. Je me permettrai
de signaler qu'entre les déclarations de Jospin en 1998, de Sarkozy en 2008 et
de Hollande récemment, on en est déjà à trois déclarations de ce type et qu'il
faudrait peut-être penser à s'arrêter un jour.
La commission suggère la numérisation
et la mise en ligne des dossiers des conseils de guerre. Ceux-ci sont déjà
librement accessibles, mais au moins pour les amateurs d'histoire cette mesure
est à considérer avec intérêt.
Enfin elle suggère que soit aménagé
un lieu de mémoire, un monument ou un lieu d'exposition. Cette option a été
retenue par le président de la République qui a demandé la création d'un espace
à cet effet aux Invalides, plus précisément au musée de l'armée. Je ne sais qui
sera chargé de cette réalisation, mais elle me parait délicate, car chaque
affaire est particulière et je ne vois guère, sauf à prendre délibérément
partie, et c'est une crainte, comment organiser un tel lieu en excluant tout
autre intention qu'une intention pédagogique.
Enfin quoiqu'il en soit, je
crains que même cette solution, ne satisfasse pas les tenants des positions les
plus extrêmes, à savoir la réhabilitation de tous, juridique ou civique. Car
leur objectif est bien ailleurs que dans une recherche de la vérité historique.
Elle ne satisfera pas non plus
les tenants de la position intermédiaire (cas par cas) car même si chacun
pourra se faire son opinion sur chacun des cas, cela ne se traduira pas par des
réhabilitations individuelles.
Quant à ceux qui sont partisans
de la clôture définitive du dossier, politiquement parlant s'entend, ils
pourront s'en satisfaire si le lieu de mémoire n'et pas organisé de façon
partisane.
Quoiqu'il en soit il serait
particulièrement dommage et même honteux que la place prise par ce sujet occupe
un espace qui devrait être dédié en priorité et même exclusivement à ceux qui sont de façon
indiscutable "morts pour la France".
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