"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

lundi 11 novembre 2013

Les fusillés de la Grande Guerre (2ème partie)











Je notais dans le précédent billet deux choses importantes. La première est la place faite dans les discours depuis quelques années aux fusillés par rapport à leur nombre et comparativement aux 1,4 millions de soldats français morts pendant les combats. La seconde est que la République n'a pas attendu Jospin et son discours de Craonne en 1998 pour se pencher sur le cas de ces fusillés puisque dès la guerre elle-même, et surtout dans l'entre-deux guerres, la justice ordinaire d'abord, puis une justice spéciale fut invitée à se prononcer sur de nombreux cas.

Le sujet a donc franchi le siècle mais en se métamorphosant. Car les motifs et les enjeux ont changé profondément avec les années. Tandis que dans une première phase qui a duré une vingtaine d'années, il s'est agi de réparer des injustices, il s'agit depuis une vingtaine d'années de la part de certains de réparer une injustice, mais pas seulement, car des sous-entendus idéologiques ne manquent pas de se faire entendre chez ceux qui réclament une réhabilitation générale avec en prime la mention de "morts pour la France". Notons au passage, et ce sera assez évocateur que du côté des politiques on semble assez gêné par la question. Les partis politiques contactés par la commission dont j'ai fait mention dans mon dernier billet n'ont pas donné suite sauf, ce n'est pas un hasard, le parti communiste et le parti de gauche. Ce sont donc essentiellement les associations qui mènent le bal, les politiques, au plus haut sommet, restant dans une position qu'on pourrait qualifier d'attentiste.

Revenons tout d'abord sur les enjeux et les motivations aux deux époques.
Comme je l'ai déjà exprimé, à l'issue de la guerre ce n'est pas tant la justice militaire qui est remise en cause dans son principe, puisque sa nécessité est couramment admise ainsi que celle de la peine de mort pour ceux qui ont failli à leurs devoirs, que les modalités de l'exercice de cette justice. Les droits de la défense ont été clairement ignorés en 1914 et 1915 au moins, et la toute puissance de la justice militaire ne permettait guère d'échapper à ses rigueurs dès lors qu'un militaire, quel que soit son grade d'ailleurs, était conduit devant elle. Et indéniablement des erreurs ont été commises du fait de procédures réduites au minimum, comme en témoignent les dossiers contenant les pièces des différents procès, quand ils n'ont pas disparu, et qui ne sont pas très épais. Mais encore une fois qu'à situation d'exception corresponde justice d'exception était largement admis par tous. Avec un siècle de recul alors que la peine de mort a été depuis abolie, que la justice militaire a été supprimée, que les droits de la défense ont pris une importance capitale, on peut avoir des difficultés à l'admettre, mais c'est ainsi. A l'époque donc l'idée de réhabilitation collective n'effleure même pas les esprits. Il s'agit tout au plus de rétablir dans leur honneur des militaires condamnés injustement ou d'une façon qui contrevenait avec les procédures (exécutions sans jugements, tirage au sort, ou accusations non caractérisées).

Quant aux enjeux ils étaient d'une toute autre nature qu'ils ne peuvent l'être aujourd'hui.
La condamnation à mort d'un militaire au front avait des incidences profondes sur sa famille, matérielles et sociales. Le fait de n'être pas "mort pour la France " interdisait par exemple le versement de pensions aux veuves et aux orphelins, lesquels n'avaient pas à être prise en charge par l'Etat. Quant au regard des autres, il était pour le moins pesant. Etre le père, la mère, l'épouse, l'enfant d'un fusillé était lourds à porter dans une France encore rurale où les valeurs liées au courage et à la virilité avaient encore une place. On comprend donc l'importance que pouvait revêtir une réhabilitation pour les familles concernées.
On saisit aisément que ces enjeux ne trouvent plus guère de place aujourd'hui. Matériellement c'est hors sujet. Quant à l'honneur entaché d'une famille, ce n'est pas dans le regard des autres qu'on va le trouver. Qui connait un descendant de fusillé qui ne se serait pas signalé comme tel? Dans certains cas, et aux yeux de certaines personnes ou mouvances, on pourrait même supposer qu'être descendant d'un fusillé soit un titre de gloire. Compassion et repentance réunies peuvent parvenir à de curieux retournements de situation. Mais n'extrapolons pas. De fait à l'époque actuelle, les familles sont très peu demandeuses. Alors que juste après la guerre ce sont elles qui sollicitaient les associations pour que justice leur soit rendue, ce sont désormais les associations qui sont en quêtes de familles pour donner un air de légitimité à leurs revendications. Et les motivations profondes de ces dernières n'ont, à vrai dire,  souvent plus grand-chose à voir avec une lutte pour la justice. Il s'agit en fait pour certaines de dénoncer la guerre, de pratiquer un antimilitarisme de bon ton, de se couler dans la tendance actuelle de repentance visant à salir la France. Il n'y a plus guère que la ligue des droits de l'homme, rejointe par l'union nationale des combattants, pour être attachée à la réhabilitation au cas par cas, donc se souciant des individus, selon un mode qu'elle a inauguré dès après la guerre.


On peut distinguer sur le sujet trois grandes tendances que je m'efforcerai de commenter :

La première, maximaliste, est portée par une mouvance située très à gauche. Les motivations sont  clairement d'ordre politique.
L'association républicaine des anciens combattants (ARAC), compagnon de route du parti communiste, demande par exemple simplement la réhabilitation de tous les fusillés avec la mention "mort pour la France", avec inscription sur les monuments aux morts.
La fédération nationale de la pensée libre est moins exigeante puisqu'elle ne demande qu'une réhabilitation collective, mais pas juridique, seulement politique, avec inscription systématique des noms sur les monuments aux morts si la demande en est faite.
On retrouve là les revendications de deux partis de la gauche extrême, le PC qui demande la même chose que l'ARAC, et le parti de gauche qui demande une réhabilitation collective civique avec incitation pour les communs à inscrire les noms sur les monuments aux morts.
Pour ma part, celle, même si elle est parait irréaliste et profondément injuste voire humiliante pour ceux qui ont fait leur devoir et ne seraient pas meilleurs que des déserteurs, des assassins ou des violeurs (cas avéré parmi les fusillés),  donc celle portée par le PC et l'ARAC me parait plus nette que celle portée par le parti de gauche et la fédération nationale de la libre pensée, plus insidieuse.
Une réhabilitation juridique a une certaine cohérence, même si elle n'est pas pertinente. Elle peut partir du fait que certains soldats innocents ont été fusillés, dont certains déjà réhabilités, et qu'un doute existe quant à la culpabilité de tous. Mais en fait ce n'est pas cela qui motive la demande en question : il s'agit de reconnaitre a posteriori un droit à l'objection de conscience qui n'existait pas alors, et par prolongement d'en assurer une certaine primauté sur le devoir d'obéissance dans les conflits présents ou à venir. Ça entre dans une logique communiste, évidemment moins manifeste aujourd'hui vu l'état de délabrement du parti, qui permet de choisir ses combats armés non pas en fonction des intérêts de la France, mais de ceux du parti. On se souviendra de l'attitude du PC lors du second conflit mondial, lié d'abord par le pacte germano-soviétique avant d'entrer en résistance en juin 41 (je parle évidemment de la position du parti et non des attitudes individuelles). Donc rien de nouveau.
Les revendications portant sur une réhabilitation civique ou politique me paraissent plus insidieuses. Les termes ont évidemment une importance majeure. Ces revendications consistent en effet à reconnaitre la légalité des sanctions au regard des règles juridiques de l'époque, mais à contester la légitimité de ces règles. Ainsi les victimes de ces règles étaient des hommes qui avaient raison avant les autres. Les plus civiques et les plus éclairés politiquement c'étaient eux et pas les centaines de milliers morts sous le feu de l'ennemi. C'est juste infâme.

La position de la LDH, relayée par l'union nationale des combattants, est assez conforme à l'esprit de l'après-guerre qui sans remettre en cause le phénomène proprement dit (justice militaire et condamnation à mort pour les fautes gravées avérées contre l'honneur). Il 'agit de revisiter les jugements de façon individuelle et de procéder si besoin est à des réhabilitations individuelles. Cette suggestion est acceptable, mais évidemment quasiment impossible à mettre en œuvre.  Déjà dans les années 30 il état difficile de le faire par manque de témoins et à cause de dossiers soit très peu étoffés, soit disparus. On imagine la difficulté aujourd'hui. N'oublions pas également que pour des raisons d'équité, ce sont toutes les condamnations par les cours militaires qui devraient être traitées et notamment les environ 1800 condamnations à mort qui furent commuées. Cette tâche parait donc irréalisable et  aussi son côté forcément parcellaire pourrait être considéré comme lui-même injuste.

Il y a enfin une dernière position qui est celle de beaucoup d'associations patriotiques et du monde combattant (24 associations regroupées dans le comité national d'entente). Selon ce groupement d'associations, dans la mesure où il n'y a plus de survivant de cette période, le sujet est clos. De la même manière que des héros méconnus ne seront jamais récompensés, il n'est plus guère possible près d'un siècle de revenir sur des cas qui ont déjà été pris en compte, à une époque où cela était possible parce que des gens pouvaient alors témoigner, sinon au sujet des affaires en question, sur les difficultés de la vie au front. Par ailleurs il met en garde contre une utilisation partisane de cet événement, ferment d'une rupture de cohésion nationale autour de ce moment de commémoration que devrait être  la célébration du centenaire.

Ces différents points de vue sur la question qui peuvent être autant d'options pour le pouvoir politique ont été relevés par la commission chargée du dossier, à la demande du gouvernement. Mais comme nous sommes en Hollandie, il ne pouvait pas être question de ne pas suggérer une autre voie de sortie qui puisse faire en quelque sorte la synthèse de toute cela, ménageant la chèvre et le chou et finalement ne contentant sans doute personne. Et c'est effectivement cette voie-là que semble avoir choisie notre président si on se réfère aux termes de son discours lançant cette année de commémorations.
La commission suggère une déclaration solennelle affirmant que même si tous n'étaient pas exempts d'une faute grave, d'un manquement à leur devoir de soldats, les conditions de fonctionnement de la justice militaire a pu faire injustement beaucoup de victimes. Je me permettrai de signaler qu'entre les déclarations de Jospin en 1998, de Sarkozy en 2008 et de Hollande récemment, on en est déjà à trois déclarations de ce type et qu'il faudrait peut-être penser à s'arrêter un jour.
La commission suggère la numérisation et la mise en ligne des dossiers des conseils de guerre. Ceux-ci sont déjà librement accessibles, mais au moins pour les amateurs d'histoire cette mesure est à considérer avec intérêt.
Enfin elle suggère que soit aménagé un lieu de mémoire, un monument ou un lieu d'exposition. Cette option a été retenue par le président de la République qui a demandé la création d'un espace à cet effet aux Invalides, plus précisément au musée de l'armée. Je ne sais qui sera chargé de cette réalisation, mais elle me parait délicate, car chaque affaire est particulière et je ne vois guère, sauf à prendre délibérément partie, et c'est une crainte, comment organiser un tel lieu en excluant tout autre intention qu'une intention pédagogique.
Enfin quoiqu'il en soit, je crains que même cette solution, ne satisfasse pas les tenants des positions les plus extrêmes, à savoir la réhabilitation de tous, juridique ou civique. Car leur objectif est bien ailleurs que dans une recherche de la vérité historique.
Elle ne satisfera pas non plus les tenants de la position intermédiaire (cas par cas) car même si chacun pourra se faire son opinion sur chacun des cas, cela ne se traduira pas par des réhabilitations individuelles.
Quant à ceux qui sont partisans de la clôture définitive du dossier, politiquement parlant s'entend, ils pourront s'en satisfaire si le lieu de mémoire n'et pas organisé de façon partisane.

Quoiqu'il en soit il serait particulièrement dommage et même honteux que la place prise par ce sujet occupe un espace qui devrait être dédié en priorité et  même exclusivement à ceux qui sont de façon indiscutable "morts pour la France".

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