Mercredi matin-Palais de
l'Elysée- Salle Murat.
Les ministres sont entrés dans la
salle. Ils restent silencieux, se contenant de parler par groupe de deux ou
trois mais à voix basse. Seuls les ministres de l'intérieur et du logement ,
situés à des coins opposés de la grande pièce ne parlent à personne. Et pour
cause, chacun des participants les évite consciencieusement. Car on le sait,
aujourd'hui l'un des deux ne fera plus partie du gouvernement. On en est sûr. Chacun
a encore en mémoire le débarquement de la petite Delphine. Le président est
devenu un ogre. Il n'est donc pas question de se montrer aux côtés de Manuel ou
de Cécile, toute proximité avec le débarqué ou la débarquée du jour pouvant
placer le contrevenant au pur bon sens et à la prudence la plus élémentaire sur
la liste noire de celles et ceux qui ne survivront pas à un remaniement ministériel
qui désormais se rapproche. Il serait d'ailleurs inutile de tenter de parler à
l'un ou à l'autre. Ils sont comme tétanisés. La peur se lit dans leurs yeux.
Leurs traits tirés, des cernes marqués sous leurs yeux indiquent clairement que
ni l'un ni l'autre n'ont fermé l'œil de la nuit. Nuit qu'ils ont passé à
évaluer et encore évaluer les probabilités de rester… ou de devoir partir. Bien
sûr rester c'est mieux. Mais quand la probabilité de partir atteint les 0,5 il
faut aussi savoir s'y préparer. Comment le faire? Discrètement? Avec fracas, en
convoquant les médias? En dénonçant les chefs d'une équipe de laquelle on fit
partie pendant presque un an et demi? Pas facile de se décider car il faut
aussi penser à l'avenir. Manuel se prend à rêver que les choses s'arrangeront:
peut-être qu'un bisou sur le front de Cécile…? Mais non c'est impossible. Cette
fois on est allé trop loin. Quant à Cécile elle se dit qu'avec un cv comme le
sien elle n'est pas prête de retrouver un job comme ça et qu'elle aurait dû se
taire. Mais quand on est con on est con. On ne se refait pas. En tout cas,
aujourd'hui, elle s'est faite belle. Pas de jean, pas de tongs. Habillée en
dimanche comme on disait dans le temps.
L'huissier de service annonce l'entrée
du président. Celui-ci entre précédé de son premier ministre avec lequel il
s'est longuement entretenu. Manuel et Cécile savent que leur sort est fixé
désormais. Reste à entendre le verdict. Les autres ministres sont tout aussi
impatients. Chacun d'entre eux à misé en effet une petite fortune dans les
paris organisés par Cazeneuve à l'occasion de ce conseil un peu spécial. Le ministre
du budget ne pouvait pas laisser passer une telle occasion de tenter de
renflouer les caisses de l'Etat. Un bon ministre du budget que ce Cazeneuve: il
a même réussi à faire miser le président qui était trop indécis pour savoir
quelle décision il prendrait. Du coup il a misé contre les deux.
Le président s'assoit, imité par
les ministres qui d'ordinaire le précèdent. Ambiance!
-
- Bonjour tout le monde! Ça va?
Bruits de fond dans la salle qui veulent
sans doute dire "bonjour aussi".
-
- Tiens Najat, ça te va bien tes mèches blondes.
-
- Merci
monsieur le président. C'est vrai que la teinture c'est très tendance en
ce moment.
-
- Fayotte! Entend-t-on dans la salle.
C'est Laurent qui s'est lâché.
Lui sait qu'il ne craint rien. Après sa brillantissime prestation diplomatique
sur la Syrie, il se sait désormais indéboulonnable. D'ailleurs le président ne relève
pas. Les autres répriment un sourire, se disant finalement que peut-être rien
n'a changé.
- -
Vous avez vu mon déplacement à Florange? Un vrai
succès! Je suis toujours aussi populaire.
Râclements de gorge dans la salle.
Arnaud intervient.
- - Je pense que peut-être c'est davantage moi
qu'Aurélie qui aurait dû vous accompagner. Enfin je dis ça comme ça, hein!
Finalement ça aurait pu être la ministre déléguée aux Français de l'étranger. Ça
aurait été aussi logique que celle de la culture.
- - Ne te fâche pas Arnaud. Mais d'abord je craignais
qu'ils ne t'en veuillent là-bas car tu les as déçus avec les espoirs que tu
leur as donnés. Je ne voulais pas t'exposer, tu comprends. Et puis Aurélie m'a
demandé de lui rendre un petit service. Comme je ne passais pas très loin de
chez sa maman, elle m'a demandé si je pouvais la déposer. Du coup il n'y avait
plus de place dans la voiture. Et en solex tu aurais eu du mal à suivre quand
même.
Arnaud s'étrangle dans sa
marinière qu'il ne quitte plus désormais même si sa chemise la camoufle bien.
Va-t-il démissionner aujourd'hui? Ça demande quand même réflexion. Peut-être la
prochaine fois.
- -
Et puis vous avez vu cette baisse du chômage?
C'est encourageant, non? Encore deux bugs comme ça et j'aurai tenu mes
engagements. Il faudra veiller à attribuer en priorité des nouvelles fréquences
à SFR pour les remercier. Enfin moi je suis content. Tout va vraiment bien en
ce moment. Le destin nous sourit vraiment.
- Au fait Manuel, il
faudrait aussi tester le coup du bug sur les chiffres de la délinquance.
Manuel sort de sa torpeur
angoissée. Il lui a parlé mais pas sur le sujet des Roms. Ça doit vouloir dire
qu'il reste et que c'est la petite peste verte qui va dégager. Celle-ci
d'ailleurs n'en mène pas large. Les gouttelettes de sueur s'amoncellent sur son
front menaçant de réduire à néant son maquillage dans les prochaines minutes.
Elle attend le coup de grâce. Ses sphincters menacent de se relâcher quand elle
entend brutalement :
- - Cécile,…. Félicitations pour ta nouvelle loi sur
le logement. Cette fois c'est confirmé, les investisseurs se détournent du
locatif pour l'immobilier de bureaux. C'est super car il va bien falloir leur
trouver des endroits pour travailler à tous ceux qui sortent massivement du
chômage.
Autour de la table, c'est la
stupéfaction gênée mais muette qui a remplacé les angoisses du début de ce
conseil. Certains se disent qu'heureusement il n'y a pas de procédure
d'empêchement car c'est bien avant le remaniement prévu après les municipales
qu'ils seraient renvoyés à leurs occupations non ministérielles. Il y a même un
ministre porté sur la caricature qui dessine dans son cahier un Hollande avec
un entonnoir sur la tête. Pourvu que ça ne transpire pas, pensent-ils en
général.
En tout cas Cécile d'un seul coup
se sent mieux. Elle se sent si bien qu'elle se déchausse pour être plus à
l'aise. Mais ça ne dure qu'un petit moment car Jean-Marc gâche brutalement tout
replongeant rapidement Manuel et Cécile dans les abysses de l'angoisse. On le
voit en effet glisser un mot à l'oreille du président qui regarde
successivement Manuel et Cécile avant de prendre une mine renfrognée et de
s'écrier :
- - Ah oui, j'ai failli oublier! Bon Manuel et
Cécile, je vous ai écouté la semaine dernière. C'est pas bien du tout. Il faut
cesser vos enfantillages. Vous êtes quand même des adultes, non? C'est la dernière
fois que je vous le dis avant la prochaine. Si vous continuez, je vous envoie chez
Valérie.
Manuel et Cécile fondent en
larmes. Non pas ça, pas chez Valérie. Mieux vaut encore être débarqué. Et les deux
de promettre que jamais on ne les y
reprendra.
Najat intervient.
- -
Mais qu'est-ce que je dis aux journalistes, moi?
- - Ne leur dis pas que j'ai été aussi sévère. Les
Français ont besoin de penser qu'ils ont un président magnanime. Dis juste que
l'ai recadré tout le monde et que je ne voulais plus de querelles entre les ministres.
Et aussi que c'est moi le chef.
Eclats de rires dans la salle.
Impossible de se retenir désormais.
- -
Enfin, pas le chef, l'arbitre.
- -
En tout cas pas celui des élégances! lance
Laurent hilare.
Re-éclats de rires
-
- Oui chef! Reprend Najat avec l'air outré en
réaction à la sortie insolente de Laurent. (Elle, au moins, est assurée d'être
reconduite dans un futur gouvernement). Mais sur le fond je dis quoi?
- - Ben rien! Enfin si quand même. Tu leur dis comme
Jean-Marc. Que les Roms peuvent être intégrés s'ils respectent la loi.
- - Donc que les Roms ont vocation à être intégrés
s'ils veulent bien être intégrés. Quant aux autres on les désintègre! complète Laurent le Magnifique bien en verve
ce matin, en se tordant de rire, rejoint bientôt pas tous ses camarades dans
cette attitude.
Non finalement les choses n'ont
pas changé et chacun peut terminer ce conseil
sereinement, en pensant à toutes ces choses agréables qui accompagnent
un sacerdoce ministériel.
Quant à Bernard, il se réjouit
car tout le monde a perdu son pari. On finira par la combler cette dette!
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