S'attribuer les malheurs des
autres n'est pas différent dans le fond que de s'en attribuer le bonheur.
C'est donc ainsi qu'après le
drame de Lampedusa de Rome à Bruxelles, en passant par Paris, surtout par
Paris, une fois de plus les Européens ont succombé à cette tentation de
s'attribuer la responsabilité de tous ces morts venus d'ailleurs pour profiter
du lait et du miel qui coulent en abondance sur notre continent. C'est bien
connu.
C'est évidemment parce que nous
sommes réticents à les laisser entrer en masse dans nos pays de cocagne que ces
malheureux venus de Somalie et d'Erythrée ont sombré avec leur rafiot surchargé
venu sans doute de la proche Libye libérée des griffes du tyran Kadhafi par nos
soins.
Il y a certes des questions qu'on
pourrait se poser, de simples questions qui nous rappelleraient également que
la raison, le cartésianisme, fait aussi partie de notre arsenal occidental et
en constitue, ou en constituait, un des fondements qui avait pu avec difficulté
et malgré des retours en arrière aussi stupéfiants que sanglants nous libérer
de toutes sortes d'obscurantismes. C'est d'ailleurs sans doute au nom de la
raison qu'un homme politique de gauche déclarait il y a des années que nous ne
pouvions pas accueillir toute la misère du monde, même si nous devions en
prendre notre part. Et c'est donc ainsi que, certes de manière chaotique,
parfois douteuse et souvent inefficace, les pays européens dont le nôtre se
sont dotés de politiques migratoires destinées à empêcher tous les malheureux
de la terre de se ruer vers une Europe qui ne pouvait pas tous les accueillir.
Des règles sont ainsi définies, mal appliquées car polluées par une générosité
sans doute excessive, donc mal venue puisqu'elle remet en cause certains de nos
équilibres fondamentaux, économiques, démographiques et surtout culturels. Mais
ce n'est pas dans ce billet que sera traité l'aspect qualitatif de l'accueil
des migrants qui en quelques décennies est passé de l'assimilation à
l'inclusion via l'intégration. Nous noterons juste que cette transition, ce
changement radical de philosophie, n'a pas aidé ceux qui arrivaient dans notre
pays en faisant pour beaucoup des gens bien établis sur notre sol, parce que de
souche ou parce qu'assimilés, des étrangers définitifs quelles que soient les
mentions portées sur leurs papiers d'identité.
Mais revenons à nos questions.
Parmi toutes les bonnes âmes
autorisées qui se sont exprimé sur ce drame combien se sont demandé pourquoi
ces personnes misérables issues de la corne de l'Afrique avaient décidé de
tenter ce grand voyage plein de dangers d'abord à travers leur continent, puis
lors d'une traversée risquée pour atteindre l'Europe? Combien se sont demandé
comment de tels voyages sont possibles? Répondre à ces questions est évidemment
un préalable. Mais non, il est préférable sans doute de se frapper la poitrine
et de se flageller en se lamentant au cri de "c'est notre très grande
faute!". C'est un peu comme si un voleur, supposons-le très pauvre pour
que cela soit en phase avec un sentiment de culpabilité, se rompait le cou
après avoir glissé sur une peau de banane échappée du sac poubelle réservé aux
déchets organiques que vous aviez déposé dans la benne prévue à cet effet la
veille au soir, et que vous en éprouviez une profonde tristesse coupable vous
accusant ensuite de ne pas avoir éclairé suffisamment votre terrasse et laissé
votre porte ouverte. Il n'est pas dans mes intentions de comparer ces migrants
à des voleurs, mais de comparer des situations dont l'une est avérée (la mort
des migrants) et l'autre peu probable (vos pleurs après le décès accidentel de
celui qui voulait vous dérober vos biens). Pourtant dans les deux cas, la
problématique est la même : un ou des démunis viennent se procurer de quoi
mieux vivre chez des gens mieux lotis qu'eux. Et ceci par des moyens illégaux,
car il est autant illégal de pénétrer en Europe sans visa que de pénétrer chez
vous par effraction. Et dans les deux cas l'issue est, ou devrait être car par
les temps qui courent c'est beaucoup moins vrai, l'enfermement, prison ou
centre de rétention, pour les contrevenants.
J'en reviens à mes questions et
aux réponses qu'on pourrait leur apporter.
Si ces gens veulent venir en
Europe selon un mode particulièrement dangereux et devant les mener en cas de
réussite dans un camp de rétention, c'est évidement parce qu'ils sont mal chez
eux. Guerre civile, régime dictatorial, misère,…, tels sont les motifs qui
généralement poussent des gens à quitter leur foyer pour tenter de trouver une
vie décente ailleurs. Il ne faut pas leur en vouloir, beaucoup d'entre nous
auraient la même idée s'ils étaient confrontés à la même vie qu'eux. Ils vont
donc là où ils supposent que les conditions de vie sont meilleures, seront
meilleures de toute façon. Mais ce ne sont pas les pays riches qu'ils visent seulement.
On n'a guère vu de migrants débarquer illégalement en masse au Qatar ou en
Arabie Saoudite. Car ils savent comment ils seraient traités là-bas (vu les
conditions dans lesquelles sont traités les migrants – travailleurs –
volontaires, les raisons sont effectivement bonnes d'éviter ces pays). Alors
ils vont là où ils savent qu'ils seront traités humainement, où leur dignité
sera respectée, même s'ils sont en infraction vis-à-vis des lois locales. Ils
vont là où on les nourrira, là où on les soignera, là où ils auront des droits.
Et pour beaucoup d'entre eux un avenir.
C'est donc de cela dont nous
serions coupables. D'avoir davantage d'égards pour eux, de mieux les respecter qu'ils
n le furent jamais dans leurs pays d'origines. En fait d'être attractifs. Oui
sans doute, car quand défier les lois permet de vivre mieux, c'est qu'il y a
quelque chose de vicié. Si ces migrants arrivant en masse savaient qu'en
Europe, il n'y a pas d'issue pour eux, que leur destin est leur retour de là où
ils viennent, ils ne viendraient pas et le droit d'asile retrouverait le sens
qu'il a perdu dès lors qu'il est utilisé massivement et admis dans cette
configuration par les autorités des pays chargés de définir ceux qui y ont
droit. Pour info il y a eu 61000 demandes d'asiles en France en 2012 (seules
14000 furent acceptées, ce qui ne signifie pas que les 47000 recalés sont
quitté le pays). Ce qui signifie clairement que le droit d'asile a perdu tout
son sens dès lors qu'il a atteint de tels chiffres et telles proportions par
rapport à l'immigration en général, légale ou non. Si donc ceux qui utilisent
le droit d'asile abusivement savaient qu'ils seraient immanquablement renvoyés
chez eux, ils hésiteraient à venir. Or ils viennent parce qu'ils savent que
leur demande acceptée ou non ils pourront de toute façon rester, même si c'est
de façon illégale. Ils auront droit aux différentes prestations, disposeront
parfois d'un emploi, peut-être au noir, et leurs enfants seront éduqués et ceux
nés dans les pays adeptes du droit du sol en auront la nationalité. Donc si
nous voulons effectivement invoquer nos responsabilités dans ce drame, dans les
précédents et dans ceux qui viendront, c'est là qu'il faut la chercher, dans
cette incapacité à refouler ceux que nous ne pouvons pas accueillir.
Refoulons-les, refusons leur ces droits que nous leur donnons alors qu'ils sont
hors-la-loi, et ils ne viendront plus en masse. Ce n'est pas une volonté
d'exclusion, c'est juste se donner les moyens de respecter un politique
d'immigration qui devrait pouvoir nous permettre d'accueillir ceux que nous
voulons et ceux que nous pouvons. Pas moins, mais pas davantage non plus.
J'en entends déjà certains, ceux
qui ne m'auront pas d'ores et déjà exclu de l'humanité, dire qu'il faudrait les
aider chez eux. Nous n'arrêtons pas de le faire, peut-être de façon insuffisante,
mais mal de toute façon. Mais si nous le faisions bien, c'est-à-dire en
contrôlant l'usage des aides apportées nous serions immanquablement taxés de
néo-colonialisme. Et je ne parle pas des échecs lors d'interventions directes
comme en Somalie dans les années 90 par exemple. Oui, nous pourrions sans doute
régler certains problèmes, mais selon des méthodes qui révulseraient les mêmes
qui disent qu'on n'en fait jamais assez. Il n'y a donc pas de solution
satisfaisante et il convient donc de nous rabattre sur celle la moins pire,
celle qui correspond le mieux à nos intérêts, c'est-à-dire celle qui ne
consiste pas à accueillir toute la misère du monde, et à en prendre notre part…
calculée.
Reste à répondre à la seconde
question : "Comment de tels voyages, dans ces conditions, sont
possibles?". Ce sera bref. A cause du profit évidemment. Des gens, pas
nous, s'enrichissent ainsi, profitant de la misère de ceux qu'ils transportent.
Comment lutter contre ça? C'est
quasiment impossible dès lors que les autorités des pays concernés n'agissent
pas. Kadhafi avait ses défauts, mais au moins il était capable de limiter les
départs à partir des côtes libyennes. On pourrait par une action de police
internationale tenter d'enrayer ces réseaux, mais ce serait peine perdue, un
travail de Sisyphe, la demande créant toujours de l'offre.
Les Européens ne sont pas
coupables de cela non plus. S'ils veulent pousser leur logique larmoyante au
bout, il ne leur reste plus qu'à organiser ces voyages illégaux, ou à supprimer
les visas d'accès.
Il ressort de la réponse aux deux
questions posées que les premiers coupables sont évidemment les dirigeants des
pays auxquels appartiennent ces migrants ainsi que les réseaux qui
s'engraissent sur la misère du monde en organisant ces voyages qui parfois
conduisent à la mort.
Les Européens s'ils veulent
absolument se sentir coupables ont une seule chose à se reprocher : leur générosité.
Ou leur laxisme. Chacun choisira le terme qui lui convient. Pour donc limiter
le nombre de ces accidents dramatiques, il leur faut soit prendre les mesures
(et surtout les appliquer) qui dissuaderont les migrants illégaux de venir sur
leur territoire, soit pousser leur logique de coupables à son terme et déclarer
l'Europe "terre ouverte", et voir même financer et organiser les
voyages des migrants. Il ne peut y avoir de moyen terme satisfaisant. Sauf que
nous y sommes avec les résultats que l'on voit.
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