Ce 26 août est décédé Hélie Denoix de Saint-Marc, résistant
déporté, officier de Légion et ayant participé au putsch du 21 avril 1961.
Le meilleur hommage que je puisse lui rendre est, je crois,
de retranscrire la déclaration qu'il fit devant le tribunal militaire qui le 5
juin 1961 le condamna à 10 ans de réclusion criminelle.
"Ce que j’ai à dire sera simple et sera
court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le président, j’ai vécu pas mal
d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine,
la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie…
En Algérie, après bien des équivoques, après bien
des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire,
maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale,
l’égalité politique.
On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous
les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons
mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère,
toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé
le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension
de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts
en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont
joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos
souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à
nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
Et puis un jour, on nous a expliqué que cette
mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible
pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on
nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie,
de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger. Alors nous
avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.
Nous nous souvenions de quinze années de
sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement. Nous
nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région (il parle ici de l'Indochine), des villageois accrochés à nos
camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la
route.
Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de
l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris
de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin.
Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants
avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant
à la mer pour rejoindre les bateaux français.
Nous pensions à toutes ces promesses solennelles
faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces
femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui,
à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse.
Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages
et mechtas d’Algérie :
«L’Armée nous protégera, l’armée restera ».
Nous pensions à notre honneur perdu.
Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef
que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en
Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire.
Le général Challe m’a vu. Il m’a rappelé la
situation militaire. Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque
entièrement acquise et qu’il était venu pour cela. Il m’a dit que nous devions
rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui
s’étaient engagées à nos côtés.
Que nous devions sauver notre honneur.
Alors j’ai suivi le général Challe. Et
aujourd’hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des
officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres.
Monsieur le président, on peut demander beaucoup
à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui
demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier,
de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l’obéissance, il y
a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu
par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés.
Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon,
jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr.
Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et
douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l’Algérie, terre ardente
et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos
provinces natales.
Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années
de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis
quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans j’ai vu mourir pour la France des
légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang
versé.
C’est en pensant à mes camarades, à mes
sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril,
à treize heure trente, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.
Terminé, Monsieur le président."
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