Car
évidemment les choses allaient s'aggraver. El les paroles d'apaisement
du président du conseil français des extraterrestres, créé à l'occasion
des revendications pour le droit au regroupement familial ne suffisaient
pas pour rassurer ceux qui déjà pressentaient le pire. "Les
extraterrestres aiment la terre comme si c'était leur planète et nous
extraterrestres de France aimons ce pays comme s'il était le nôtre",
telles étaient en substance les paroles de ce haut représentant qui
regardait ses chaussures tandis que la caméra le filmait. Les uns
pensaient qu'un individu incapable de vous regarder dans les yeux a
quelque chose à cacher tandis que d'autres se disaient qu'il fallait
peut-être interpréter ses paroles comme une volonté d'appropriation de
ce pays.
Mais
les réflexions des suspicieux étaient assez ignorées des médias qui
préféraient les pointer du doigt avec mépris en rappelant que la bête
immonde n'avait sans doute pas encore été terrassée. A ces mouvements de
défiance vis-à-vis des extraterrestres correspondit l'éclosion de
conseils et d'associations divers et variés dont les plus notoires
furent le haut conseil contre l'alienophobie, le comité de vigilance
contre les actes verdatrophobes, et SOS-Xtraterrestrophobie. Leurs
pressions répétées vis-à-vis de l'Etat fit que l'aliénophobie au même
titre que l'islamophobie, quelques décennies plus tôt, fut qualifiée
juridiquement de délit, ceci avec l'appui remarqué du ministre de
l'intérieur, le même qui avait promis aux Français que la France
resterait la France. Une chape de plomb s'était abattue sur le sujet des
extraterrestres. Ceux-ci d'ailleurs n'y étaient pas pour grand-chose,
même si on peut croire qu'il exista une action de lobbying aussi
discrète qu'efficace. Ils avaient habilement préféré laisser œuvrer les
forces obscures de l'intérieur, ces forces dont le symbole vivant était
le ministre de la justice. Elles allaient encore pouvoir leur être
utiles. Mais dans l'immédiat et pendant les quelques années que dura la
grande transhumance, ainsi que cette période fut nommée par ceux qui
n'avaient plus guère que leur dérision à opposer à cette marche vers ce
qu'ils pressentaient la fin de leur vieille nation, les extraterrestres
continuèrent à vivre selon leurs habitudes, discrètement.
Le
DALE, association pour le droit au logement des extraterrestres dont le
ministre de la justice état membre d'honneur, imposa au gouvernement de
réviser sa politique du logement pour la mettre en conformité avec le
devoir d'accueil des étrangers qui depuis longtemps prévalait sur la
possibilité de loger les ressortissants français dont les plaintes
n'étaient relayées par aucune association et étaient étouffées par les
médias. Les partis politiques de tout bord, depuis que le front national
avait été dissout pour cause d'islamophobie, gardaient le silence
craignant le même sort pour cause d'alienophobie. La grande manif pour
le droit au logement des Français qui réunit 3 millions de manifestants
selon les organisateurs, n'en comptait plus que 60000 selon la
préfecture de police qui, pour des "raisons de sécurité" en avait
interdit la couverture par les médias. Les manifestants furent qualifiés
de dangereux saboteurs de la République par le ministre de l'intérieur,
le même, qui fit pression sur le ministre de la justice pour que le
nombre de places de prison soit augmenté pour les loger.
Exceptionnellement celui-ci fut rapidement convaincu, à la condition
expresse que ces places ne soient attribuées qu'à ces tristes individus.
Donc tout allait bien.
Les
années passèrent. La grande migration modifia structurellement la
morphologie de la population résidant en France, et même française
puisque par décret de l'endormi, et dans la mesure où extraterrestre ne
pouvait être tenu comme une nationalité, les verdâtres se virent
attribuer d'office la nationalité française. Ils constituaient suite au
regroupement familial désormais près de 25% de la population française.
De quoi attirer certaines convoitises électorales. Ça c'était déjà vu
par le passé.
Il faut
dire que les occasions ne manquaient pas pour marquer sa sollicitude
vis-à-vis de cette population, de nos compatriotes. Vous vous souvenez
qu'en raison de leur vie nocturne, les jeunes dormaient à l'école. Et
désormais, ils se retrouvaient logiquement sur le marché de l'emploi
sans aucune qualification pour beaucoup. De fait ce sont 50% de ces
jeunes qui étaient sans emploi et qui donc vivaient d'expédients. Les
cités dont on avait oublié pourquoi elles n'étaient peuplées en grande
majorité que par ces gens en avaient subi les conséquences. Bref la
délinquance, la dégradation des cités, et leur abandon par les commerces
et entreprises, et même les services publics caractérisaient ces lieux,
ces nombreux lieux puisqu'ils concentraient quand même un quart de la
population française.
Les
associations bienpensantes et autres progressistes fustigèrent l'Etat et
ne manquèrent pas de dénoncer le racisme ordinaire des Français de
souche qui avait précipité cette situation. Les entrepreneurs en
particulier furent montrés du doigt parce qu'ils n'embauchaient que peu
des jeunes de ces cités. Leur inemployabilité ne pouvait constituer une
excuse. Le fonctionnement de l'école qui n'avait pas su prendre en
compte ces jeunes qui dormaient pendant les cours et qui en sortaient
sans diplômes était fustigée. Des mesures devaient être prises pour
revenir à ces anciens chiffres obtenus dès 2023 de 90% d'une classe
d'âge atteignant le niveau du baccalauréat et 99,5 reçus à cet examen
(les 0,5% de recalés étant déjà à cette époque considérés comme
inadmissibles même s'il s'agissait de candidats absents lors des
épreuves). Mais qu'on se rassure, l'objectif était atteignable et fut
atteint l'année même que la décision ministérielle de l'atteindre fut
prise.
Des
emplois d'avenir pour les jeunes français d'origine extraterrestre
(EAJFOE) furent créés en masse, financés par l'Etat grâce à une taxe
spéciale sur les bénéfices des entreprises. Nul ne sut le contenu de ces
emplois, même pas ceux qui en bénéficiaient, mais le problème du
chômage des JFOE fur résolu. Donc tout allait bien.
Jusqu'au jour, c'était un 29 février, ce qui permit ensuite de le célébrer, sauf les années bissextiles, les 28 février et 1er
mars pour être sûr de ne pas se tromper, où se produisit ce qu'on
appela le début de la grande mutation. Ce jour-là, on vit sortir de
leurs bunkers-lieux de culte un quart de la population française avec un
casque intégral noir à visière opaque. Les extraterrestres enfin se
manifestaient. Ils avaient été patients pendant presque 20 ans mais
désormais les conditions étaient réunies. Et ce jour-là on comprit
beaucoup de choses.
Se
regroupant devant les préfectures des chefs lieux des départements où
ils résidaient et devant l'Elysée à Paris, ils exprimèrent leurs
revendications : ils voulaient vivre selon leurs préceptes religieux.
Grand fut l'étonnement des autorités et du reste de la population tant
ils avaient été discrets à ce sujet. Mais désormais que leur nombre leur
permettait d'autant plus que cette population était jeune, sa moyenne
d'âge étant de 20 ans inférieure au reste de la population française,
ils pouvaient se le permettre, se permettre d'engager le rapport de
force qu'ils ne pouvaient envisager auparavant.
En fait
les revendications exprimées par les extraterrestres étaient aussi peu
nombreuses que simples. Ils expliquèrent que leur dieu avait un prophète
du nom de Mimile dont la particularité était d'être aveugle et qui
lui-même vivant dans la nuit éternelle leur avait dicté de l'imiter.
C'est pour cela qu'ils vivaient la nuit, avaient des lieux de culte
plongés dans l'obscurité et ne pouvaient à l'instar de leur prophète
croiser le regard des autres. Les deux derniers points ne posaient pas
vraiment problème, même s'il est désagréable pour nous de ne pas pouvoir
croiser le regard des autres, mais la vie nocturne n'était pas adaptée à
notre vie ordinaire. Rappelons-nous ces enfants dormant en classe
plutôt que d'étudier. Le port du casque à visière opaque était un moyen
de concilier les préceptes mimiliens, mais ne pouvait au demeurant être
qu'un palliatif occasionnel. La société française devait s'adapter.
Quelques
voix s'élevèrent contre ces revendications, notamment celle du ministre
de l'intérieur, tandis que son collègue à la justice menait les
braillards qui exigeaient que au nom de la diversité et du respect des
cultures exogènes, il fallait que les revendications des extraterrestres
soient acceptées. De nouvelles associations ou des anciennes se
reconvertissant apparurent ayant comme objet social de lutter contre la
mimilophobie rampante qui gangrénait notre société. Elles demandèrent
l'abrogation de la vieille loi sur l'interdiction de se cacher le
visage, de manière à ce que les verdâtres puissent porter leurs casques
pendant que les modalités de satisfaction de leurs revendications
seraient étudiées. On leur donna satisfaction.
La
grande manifestation regroupant ceux qui étaient opposés à la
satisfaction des revendications des mimiliens, nommons-les ainsi, fut
sauvagement réprimée par les forces de l'ordre sur l'initiative du
ministre de l'intérieur, celui qui s'était verbalement opposé aux
demandes des mimiliens, et les prisons spéciales se remplirent. Ce qui
intimida les opposants qui avaient échappé à la purge.
Néanmoins
des résistances furent fortes, notamment dans les milieux musulmans, ne
me demandez pas pourquoi. Des prêches violents furent prononcés dans
des mosquées remettant en cause la sainteté du prophète Mimile dont
Mahomet ne faisait aucune mention, ce qui suffisait à prouver son
imposture. Sur un autre mode, et sous la houlette de Déric Boucmaker,
président du CFCM, des invitations pressantes furent adressées au chef
de l'Etat pour que la laïcité soit enfin respectée dans notre pays. Ce
dernier finit de péter les plombs et fut interné dans une aile spéciale
du Val-de Grâce en attendant que sa destitution pour empêchement d'ordre
mental soit prononcée.
Une
grande concertation de nuit finit par avoir lieu d'où furent exclus les
opposants aux revendications des mimiliens. En préalable et afin de
montrer notre bonne volonté, et sur l'initiative du ministre de
l'intérieur, la mimilophobie fut décrétée délit. On se pencha ensuite
sur l'activité professionnelle des mimiliens. Ceux qui ne pourraient pas
travailler de nuit ou à la RATP, la ligne 6 étant exclue du fait de sa
configuration semi-aérienne, seraient définitivement exemptés de travail
et néanmoins rémunérés à la hauteur du salaire médian. Ceux qui
prônaient le RSA, le SMIC ou même le salaire moyen furent exclus de la
table des négociations devenant suspects de mimilophobie. La loi sur la
visibilité du visage était définitivement abrogée. Quant au problème de
la scolarité des enfants, l'Etat ne disposant pas de suffisamment de
crédits pour doubler le nombre d'enseignants, ce n'est pourtant pas
l'envie qui lui manquait, il fut décidé que tous les enfants iraient à
l'école après 18 heures. Ainsi après une ou deux générations les
habitudes seraient prises et la vie nocturne deviendrait la règle. Après
ces négociations très équilibrées tout le monde se quitta satisfait des
progrès accomplis. Tout allait de nouveau bien. Et la grande vague
d'émigration commença qui allait permettre aux mimiliens de devenir
majoritaires plus tôt que prévu.
Bien
des années plus tard, alors que la France avait perdu son nom, un vieux
mimilien qui faisait partie de la première vague confia ses mémoires à
un journaliste. A la question qui lui fut posée de la raison de leur
bannissement de leur planète d'origine il répondit : "tiens, c'est
curieux, c'est la première fois qu'on me pose cette question. En fait
c'est simple. Les revendications exprimées par notre secte paraissaient
si outrancières que on nous a sommés, soit de rentrer dans le rang, soit
de partir. Nous somme donc partis. Pourtant ce n'était pas la mer à
boire, la preuve tout a été accepté par la France. D'un autre côté je
crois que les autorités de notre ancienne planète ont été contentes de
se débarrasser de nous. Comme nous dormions à l'école et étions de
parfaits crétins, nous étions des improductifs notoires à l'âge adulte.
Rappelez-vous notre ignorance sur les technologies qui nous ont permis
de parvenir jusqu'ici. Même la programmation des coordonnées
d'atterrissage a été faite par les autres. Et je me souviens de cet
ancien ami qui m'avait glissé à l'oreille avant le départ : "essaie la
France, et évite surtout la Russie". C'est vrai que là-bas les mimiliens
qui n'ont pu émigrer ont dû renoncer à vivre la nuit et à baisser la
tête…"
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