"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 9 août 2013

Fiction extraterrestre (suite et fin)



 
Car évidemment les choses allaient s'aggraver. El les paroles d'apaisement du président du conseil français des extraterrestres, créé à l'occasion des revendications pour le droit au regroupement familial ne suffisaient pas pour rassurer ceux qui déjà pressentaient le pire. "Les extraterrestres aiment la terre comme si c'était leur planète et nous extraterrestres de France aimons ce pays comme s'il était le nôtre", telles étaient en substance les paroles de ce haut représentant qui regardait ses chaussures tandis que la caméra le filmait. Les uns pensaient qu'un individu incapable de vous regarder dans les yeux a quelque chose à cacher tandis que d'autres se disaient qu'il fallait peut-être interpréter ses paroles comme une volonté d'appropriation de ce pays.
Mais les réflexions des suspicieux étaient assez ignorées des médias qui préféraient les pointer du doigt avec mépris en rappelant que la bête immonde n'avait sans doute pas encore été terrassée. A ces mouvements de défiance vis-à-vis des extraterrestres correspondit l'éclosion de conseils et d'associations divers et variés dont les plus notoires furent le haut conseil contre l'alienophobie, le comité de vigilance contre les actes verdatrophobes, et SOS-Xtraterrestrophobie. Leurs pressions répétées vis-à-vis de l'Etat fit que l'aliénophobie au même titre que l'islamophobie, quelques décennies plus tôt, fut qualifiée juridiquement de délit, ceci avec l'appui remarqué du ministre de l'intérieur, le même qui avait promis aux Français que la France resterait la France. Une chape de plomb s'était abattue sur le sujet des extraterrestres. Ceux-ci d'ailleurs n'y étaient pas pour grand-chose, même si on peut croire qu'il exista une action de lobbying aussi discrète qu'efficace. Ils avaient habilement préféré laisser œuvrer les forces obscures de l'intérieur, ces forces dont le symbole vivant était le ministre de la justice. Elles allaient encore pouvoir leur être utiles. Mais dans l'immédiat et pendant les quelques années que dura la grande transhumance, ainsi que cette période fut nommée par ceux qui n'avaient plus guère que leur dérision à opposer à cette marche vers ce qu'ils pressentaient la fin de leur vieille nation, les extraterrestres continuèrent à vivre selon leurs habitudes, discrètement.

Le DALE, association pour le droit au logement des extraterrestres dont le ministre de la justice état membre d'honneur, imposa au gouvernement de réviser sa politique du logement pour la mettre en conformité avec le devoir d'accueil des étrangers qui depuis longtemps prévalait sur la possibilité de loger les ressortissants français dont les plaintes n'étaient relayées par aucune association et étaient étouffées par les médias. Les partis politiques de tout bord, depuis que le front national avait été dissout pour cause d'islamophobie, gardaient le silence craignant le même sort pour cause d'alienophobie. La grande manif pour le droit au logement des Français qui réunit 3 millions de manifestants selon les organisateurs, n'en comptait plus que 60000 selon la préfecture de police qui, pour des "raisons de sécurité" en avait interdit la couverture par les médias. Les manifestants furent qualifiés de dangereux saboteurs de la République par le ministre de l'intérieur, le même, qui fit pression sur le ministre de la justice pour que le nombre de places de prison soit augmenté pour les loger. Exceptionnellement celui-ci  fut rapidement convaincu, à la condition expresse que ces places ne soient attribuées qu'à ces tristes individus. Donc tout allait bien.

Les années passèrent. La grande migration modifia structurellement la morphologie de la population résidant en France, et même française puisque par décret de l'endormi, et dans la mesure où extraterrestre ne pouvait être tenu comme une nationalité, les verdâtres se virent attribuer d'office la nationalité française. Ils constituaient suite au regroupement familial désormais près de 25% de la population française. De quoi attirer certaines convoitises électorales. Ça c'était déjà vu par le passé.
Il faut dire que les occasions ne manquaient pas pour marquer sa sollicitude vis-à-vis de cette population, de nos compatriotes. Vous vous souvenez qu'en raison de leur vie nocturne, les jeunes dormaient à l'école. Et désormais, ils se retrouvaient logiquement sur le marché de l'emploi sans aucune qualification pour beaucoup. De fait ce sont 50% de ces jeunes qui étaient sans emploi et qui donc vivaient d'expédients. Les cités dont on avait oublié pourquoi elles n'étaient peuplées en grande majorité que par ces gens en avaient subi les conséquences. Bref la délinquance, la dégradation des cités, et leur abandon par les commerces et entreprises, et même les services publics caractérisaient ces lieux, ces nombreux lieux puisqu'ils concentraient quand même un quart de la population française.
Les associations bienpensantes et autres progressistes fustigèrent l'Etat et ne manquèrent pas de dénoncer le racisme ordinaire des Français de souche qui avait précipité cette situation. Les entrepreneurs en particulier furent montrés du doigt parce qu'ils n'embauchaient que peu des jeunes de ces cités. Leur inemployabilité ne pouvait constituer une excuse. Le fonctionnement de l'école qui n'avait pas su prendre en compte ces jeunes qui dormaient pendant les cours et qui en sortaient sans diplômes était fustigée. Des mesures devaient être prises pour revenir à ces anciens chiffres obtenus dès 2023 de 90% d'une classe d'âge atteignant le niveau du baccalauréat et 99,5 reçus à cet examen (les 0,5% de recalés étant déjà à cette époque considérés comme inadmissibles même s'il s'agissait de candidats absents lors des épreuves). Mais qu'on se rassure, l'objectif était atteignable et fut atteint l'année même que la décision ministérielle de l'atteindre fut prise.
Des emplois d'avenir pour les jeunes français d'origine extraterrestre (EAJFOE) furent créés en masse, financés par l'Etat grâce à une taxe spéciale sur les bénéfices des entreprises. Nul ne sut le contenu de ces emplois, même pas ceux qui en bénéficiaient, mais le problème du chômage des JFOE fur résolu. Donc tout allait bien.


Jusqu'au jour, c'était un 29 février, ce qui permit ensuite de le célébrer, sauf les années bissextiles, les 28 février et 1er mars pour être sûr de ne pas se tromper, où se produisit ce qu'on appela le début de la grande mutation. Ce jour-là, on vit sortir de leurs bunkers-lieux de culte un quart de la population française avec un casque intégral noir à visière opaque. Les extraterrestres enfin se manifestaient. Ils avaient été patients pendant presque 20 ans mais désormais les conditions étaient réunies. Et ce jour-là on comprit beaucoup de choses.
Se regroupant devant les préfectures des chefs lieux des départements où ils résidaient et devant l'Elysée à Paris, ils exprimèrent leurs revendications : ils voulaient vivre selon leurs préceptes religieux. Grand fut l'étonnement des autorités et du reste de la population tant ils avaient été discrets à ce sujet. Mais désormais que leur nombre leur permettait d'autant plus que cette population était jeune, sa moyenne d'âge étant de 20 ans inférieure au reste de la population française, ils pouvaient se le permettre, se permettre d'engager le rapport de force qu'ils ne pouvaient envisager auparavant.
En fait les revendications exprimées par les extraterrestres étaient aussi peu nombreuses que simples. Ils expliquèrent que leur dieu avait un prophète du nom de Mimile dont la particularité était d'être aveugle et qui lui-même vivant dans la nuit éternelle leur avait dicté de l'imiter. C'est pour cela qu'ils vivaient la nuit, avaient des lieux de culte plongés dans l'obscurité et ne pouvaient à l'instar de leur prophète croiser le regard des autres. Les deux derniers points ne posaient pas vraiment problème, même s'il est désagréable pour nous de ne pas pouvoir croiser le regard des autres, mais la vie nocturne n'était pas adaptée à notre vie ordinaire. Rappelons-nous ces enfants dormant en classe plutôt que d'étudier. Le port du casque à visière opaque était un moyen de concilier les préceptes mimiliens, mais ne pouvait au demeurant être qu'un palliatif occasionnel. La société française devait s'adapter.

Quelques voix s'élevèrent contre ces revendications, notamment celle du ministre de l'intérieur, tandis que son collègue à la justice menait les braillards qui exigeaient que au nom de la diversité et du respect des cultures exogènes, il fallait que les revendications des extraterrestres soient acceptées. De nouvelles associations ou des anciennes se reconvertissant apparurent ayant comme objet social de lutter contre la mimilophobie rampante qui gangrénait notre société. Elles demandèrent l'abrogation de la vieille loi sur l'interdiction de se cacher le visage, de manière à ce que les verdâtres puissent porter leurs casques pendant que les modalités de satisfaction de leurs revendications seraient étudiées. On leur donna satisfaction.
La grande manifestation regroupant ceux qui étaient opposés à la satisfaction des revendications des mimiliens, nommons-les ainsi, fut sauvagement réprimée par les forces de l'ordre sur l'initiative du ministre de l'intérieur, celui qui s'était verbalement opposé aux demandes des mimiliens, et les prisons spéciales se remplirent. Ce qui intimida les opposants qui avaient échappé à la purge.
Néanmoins des résistances furent fortes, notamment dans les milieux musulmans, ne me demandez pas pourquoi. Des prêches violents furent prononcés dans des mosquées remettant en cause la sainteté du prophète Mimile dont Mahomet ne faisait aucune mention, ce qui suffisait à prouver son imposture. Sur un autre mode, et sous la houlette de Déric Boucmaker, président du CFCM, des invitations pressantes furent adressées au chef de l'Etat pour que la laïcité soit enfin respectée dans notre pays. Ce dernier finit de péter les plombs et fut interné dans une aile spéciale du Val-de Grâce en attendant que sa destitution pour empêchement d'ordre mental soit prononcée.

Une grande concertation de nuit finit par avoir lieu d'où furent exclus les opposants aux revendications des mimiliens. En préalable et afin de montrer notre bonne volonté, et sur l'initiative du ministre de l'intérieur, la mimilophobie fut décrétée délit. On se pencha ensuite sur l'activité professionnelle des mimiliens. Ceux qui ne pourraient pas travailler de nuit ou à la RATP, la ligne 6 étant exclue du fait de sa configuration semi-aérienne, seraient définitivement exemptés de travail et néanmoins rémunérés à la hauteur du salaire médian. Ceux qui prônaient le RSA, le SMIC ou même le salaire moyen furent exclus de la table des négociations devenant suspects de mimilophobie. La loi sur la visibilité du visage était définitivement abrogée. Quant au problème de la scolarité des enfants, l'Etat ne disposant pas de suffisamment de crédits pour doubler le nombre d'enseignants, ce n'est pourtant pas l'envie qui lui manquait, il fut décidé que tous les enfants iraient à l'école après 18 heures. Ainsi après une ou deux générations les habitudes seraient prises et la vie nocturne deviendrait la règle. Après ces négociations très équilibrées tout le monde se quitta satisfait des progrès accomplis. Tout allait de nouveau bien. Et la grande vague d'émigration commença qui allait permettre aux mimiliens de devenir majoritaires plus tôt que prévu.

Bien des années plus tard, alors que la France avait perdu son nom, un vieux mimilien qui faisait partie de la première vague confia ses mémoires à un journaliste.  A la question qui lui fut posée de la raison de leur bannissement de leur planète d'origine il répondit : "tiens, c'est curieux, c'est la première fois qu'on me pose cette question. En fait c'est simple. Les revendications exprimées par notre secte paraissaient si outrancières que on nous a sommés, soit de rentrer dans le rang, soit de partir. Nous somme donc partis. Pourtant ce n'était pas la mer à boire, la preuve tout a été accepté par la France. D'un autre côté je crois que les autorités de notre ancienne planète ont été contentes de se débarrasser de nous. Comme nous dormions à l'école et étions de parfaits crétins, nous étions des improductifs notoires à l'âge adulte. Rappelez-vous notre ignorance sur les technologies qui nous ont permis de parvenir jusqu'ici.  Même la programmation des coordonnées d'atterrissage a été faite par les autres. Et je me souviens de cet ancien ami qui m'avait glissé à l'oreille avant le départ : "essaie la France, et évite surtout la Russie". C'est vrai que là-bas les mimiliens qui n'ont pu émigrer ont dû renoncer à vivre la nuit et à baisser la tête…"


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