C'est la grande question du
moment, celle que l'on pose à et que se
pose l'opinion internationale, enfin plutôt occidentale, dès lors qu'il est
possible, probable et même davantage que cela que des armes chimiques aient été
utilisées lors de ce conflit touchant particulièrement la population civile et
notamment des enfants. Comme le font généralement toutes les munitions qui ne
sont pas spécialement discriminantes dès lors que les combattants sont
imbriqués avec la population civile. Les victimes de Hiroshima ou de Dresde, si
la possibilité de parler leur était rendue même très provisoirement ne vous
diraient pas le contraire, ni même les Yéménites encore actuellement victimes
des erreurs d'appréciation des pilotes de drones du Nevada. Mais bon, les armes
chimiques sont interdites tandis que les autres ici évoquées ne le sont pas. Et
on appelle donc ça franchir une ligne rouge. Curieux concept en vérité qui ne
s'attache ni au nombre de victimes, ni à leur qualité (militaires, civils,
femmes, enfants…) mais à la méthode utilisée pour les envoyer dans l'autre
monde.
Serait-ce une raison d'intervenir?
Peut-être, dans le cadre du droit d'ingérence humanitaire, mais après accord de
l'ONU.
Serait-il sage d'intervenir? Ça c'est
une autre question à laquelle on répond sans difficulté dès lors que l'Etat
coupable est une grande puissance ou au moins une puissance ayant les moyens de
faire mal aux éventuels justiciers, sur les plans militaire ou économique, ou à
l'inverse quand il s'agit d'un pays sans grande importance à ces deux niveaux
mais qui demeure intéressant à cause de certaines richesses ou de sa position
sur la carte. Disons que l'expérience nous a indiqué que les crimes commis par
certains Etats méritent d'être sanctionnés, tandis qu'on fermera les yeux sur
les mêmes crimes commis par d'autres Etats.
C'est de la Realpolitik comme on
dit. Et cette dernière doit évidemment prendre en compte les conséquences possibles
d'une intervention.
Est-ce à nous d'intervenir? Dès
lors que des règles internationales ont été fixées et adoptées par de nombreux
pays, chacun parmi ces derniers peut se sentir fondé à intervenir dès lors que
ces règles ont été violées. Néanmoins c'est toujours vers les occidentaux qu'on
se tourne. A moins que ce ne soit eux qui se saisissent de l'affaire.
Le fait de se poser, de devoir se
poser, les deux dernières questions réduit singulièrement la portée de la
première. En fait en allant fouiller dans un passé récent on se rend compte
qu'elle n'a qu'une importance secondaire, voire accessoire, même si
paradoxalement ce sera celle-là qu'on nous servira pour justifier une
intervention.
On pourra se souvenir que les Kurdes
gazés par l'Irak de Saddam Hussein, alors notre allié, ou la Turquie n'avaient
pas amené ce genre de préoccupations morale. L'utilisation de gaz pourtant déjà
interdits pendant la guerre Iran-Irak par le même Saddam Hussein, non plus.
Faut dire qu'il était conseillé à l'époque par les mêmes que ceux qui
s'offusquent aujourd'hui.
Et puis comme l'Onu entre dans la
boucle, en théorie, du moins on aime toujours quand on veut intervenir en se
basant sur de tels éléments recueillir son aval, les choses se compliquent.
Faut dire que les pays de la communauté internationale, et notamment les
démocraties doivent aussi tenir compte de leur peuple et du passé. Or, le passé
récent est jonché de mensonges. C'est le génocide des musulmans du Kosovo par
les Serbes qui a justifié la guerre du Kosovo. Mais il n'y a pas eu de
génocide. Ce sont les armes de destruction massives de Saddam Hussein qui ont
justifié la seconde guerre contre l'Irak. Il n'y en avait pas. Le mensonge
d'ailleurs est d'autant plus gros qu'on devine et même qu'on sait que le droit
de veto de l'un ou l'autre des membres permanents du conseil de sécurité de
l'ONU empêchera d'obtenir la bénédiction de celle-ci. On espère ainsi pallier
l'absence de légalité d'une intervention par sa légitimité en n'hésitant pas à
fragiliser l'existence d'une organisation dont le fonctionnement porte déjà à
caution, mais dont on peut espérer que si elle n'était pas là la situation de
la paix dans le monde serait encore pire que ce qu'elle est.
Il y a dix années de cela, la France
s'accrochait, en vain, à ce respect des
règles internationales. Aujourd'hui elle est la première, enfin la seconde, ne
soyons pas chauvins, à vouloir les bafouer. Cherchez l'erreur.
J'aurais du mal à clore ce
chapitre de la légalité ou de la légitimité sans dire que la sagesse voudrait
que les conclusions de la commission d'enquête de l'ONU aient été rendues. La
précipitation, mais certains parleront peut-être d'urgence, des Etats-Unis et
de leur désormais caniche le plus fidèle, mais c'est sans doute d'ailleurs davantage
d'Obama que des Etats-Unis que notre président se veut le zélé serviteur, donc
cette précipitation alors que quasiment tous les autres pays occidentaux, au
moins, réclament de vraies preuves, sans doute méfiants, on se demande
pourquoi, vis-à-vis de celles fournies par la CIA, pourrait même paraitre
suspecte.
Est-il sage d'intervenir? Ou
est-ce dans nos intérêts?
Je pense que non. Pour plusieurs
raisons.
La première, mais je ne les
classe pas par ordre prioritaire, est que j'ai du mal à me persuader que la
Syrie et même le monde se porteront mieux si Bachar al-Assad est remplacé par
la rébellion, espèce de coalition improbable mais dont je ne pense pas que la
composante démocrate soit celle qui au final s'impose. J'ose même penser que
ceux qui visent à remplacer le tyran en place ne seront ni plus moraux, ni plus
sourcilleux dans le respect des règles internationales, et représenteront sans
doute un plus grand danger pour nous, occidentaux que le régime actuel. Les
exactions, même si on tente de les taire de cette coalition sont avérées et les
rebelles furent même accusés par Carla del Ponte, alors en mission dans la
zone, d'avoir utilisé des armes chimiques (irait-on les combattre si cela était
avéré?). L'accusation fut peut relayée et ne fit l'objet d'aucune investigation
(publique) ultérieure. Alors pour la Syrie, la sagesse voudrait qu'on se
débarrasse des deux, chose impossible. Pour l'occident et la France, il me
semble, je vous prie de m'en excuser, que le régime d'Assad est (ou était)
préférable à l'arrivée d'islamistes aux commandes dans ce pays. Ceci n'étant
pas une raison pour le soutenir mais peut-être pour ne pas intervenir.
La seconde, c'est que nous
n'avons pas à faire nôtres les intérêts du Qatar ou de l'Arabie saoudite et
même des Américains qui depuis l'arrivée au pouvoir d'Obama me paraissent jouer
un jeu dangereux tendant à favoriser la montée en puissance de l'arc religieux sunnite,
refoulant les régimes laïcs ou du moins tolérants vis-à-vis des autres
confessions que l'islam (voir le lâchage de l'allié Moubarak et la
désapprobation du renversement de Morsi). Et l'émergence de régimes religieux
faisant de la charia leur absolu politique ne peut pas être bon pour nous.
C'est même une bombe à retardement.
La troisième c'est que les
intérêts économiques en jeu, notamment l'acheminement du gaz vers l'Europe via
la Turquie qui a beaucoup à gagner là-dedans en terme de poids diplomatique, ne
nous sont pas forcément profitables. Certes certains verront d'un bon œil l'affaiblissement
de l'approvisionneur russe, mais s'agissant de la France nos sources d'approvisionnement
sont assez diversifiées pour que ça ne nous concerne pas au premier chef.
En fait s'agissant des positions
des uns et des autres, autant je vois une parfaite cohérence dans l'action
diplomatique des russes s'attachant à défendre leurs intérêts, autant celle des
occidentaux et sans doute encore davantage celle de la France me parait
déroutante parce que je distingue mal les leurs.
Pourquoi serait-ce à nous
d'intervenir?
Un gosse répondrait parce que.
Peut-être une histoire d'habitude. Peut-être parce que nous pensons que nous
seuls pouvons nous y coller. Tandis que les Saoudiens, et leurs voisins auxquels
nous livrons nos meilleurs armes, celles que nous ne pouvons guère nous acheter,
tandis que la Turquie qui dispose d'une puissante armée, ne sont sans doute pas
capables de le faire.
Eh bien non, parce qu'il est
d'usage pour tous ceux-là de laisser les occidentaux de salir les mains et
d'augmenter leur capital de haine dans le monde arabo-musulman. Et il faut
croire que nous aimons ça.
(lire sur ce sujet particulier http://lavissauve3.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/08/28/la-fin-du-monde-commence-a-damas-489465.html)
Bon je crois avoir répondu à la
question-titre de ce billet. Même s'il est horrible de voir ces enfants morts
allongés sur une dalle, l'argument de la morale internationale, du non-respect
des règles quant à l'usage de certaines armes, n'est évidement pas la raison
profonde d'une intervention. D'ailleurs, à moins qu'ils ne soient devenus des êtres
insensibles, les populations ne s'y trompent plus guère, à moins qu'elles croient
au mensonge, mais à qui la faute dans ce cas.
Certains semblent avoir et y ont
certainement des intérêts qui n'ont que peu à voir avec le bien-être du peuple
syrien. Mais s'agissant de la France en particulier je ne parviens pas à les
voir. Mais ils doivent être importants pour aller jusqu'à violer l'ordre
international pour le faire respecter ailleurs. Paradoxe. J'espère juste qu'il
ne s'agit pas d'autres intérêts n'ayant cette fois rien à voir avec ceux du
pays, des intérêts qui auraient été déduits des conséquences en termes de
politique intérieure d'une autre guerre récente.