Il
est huit heures. François réveillé par une délicieuse odeur de
croissants chauds profite de ses dernières secondes bien au chaud sous
la couette douillette. Il conserve ses yeux clos voulant profiter de ces
derniers instants avant une journée qui sera rude. Davantage que la
précédente et moins que la prochaine. Il tend machinalement son bras
gauche tout en sachant que ce n'est que le vide qu'il va rencontrer. Ça y
est, Julie est partie, elle l'a congédié sans communiqué après avoir
appris que la femme de sa vie était toujours l'impétueuse Valérie
pourtant elle-même congédiée quelques mois plus tôt par un communiqué
alliant sobriété et goujaterie. Il a donc pris l'habitude de se
réveiller dans un grand lit vide, un lit immense, fait pour mesure pour y
caser de Gaulle, renforcé pour supporter le poids de Pompidou, élargi
pour Mitterrand qui faisait ménage à trois, et peut-être même à quatre.
Pourtant
et à sa grande surprise, ce matin, les doigts de sa main gauche, nous
ignorons ce que fait la droite à cet instant, rencontrent une touffe de
poils. Dans son demi-sommeil, tout en esquissant un sourire béat, allez
savoir pourquoi, il pense pourtant n'être pas descendu si bas, aussi bas
que dans les sondages d'opinion. "Quelque chose ne va pas! Encore!"
pense-t-il, par réflexe. Et brutalement avec une vitesse d'exécution
surprenante pour cet homme si mou, il fait un bond et se retrouve assis à
observer la forme qui git à ses côtés. Et là il se souvient. C'est
Claude, son fidèle conseiller en communication qu'il a invité dans sa
chambre pour qu'il lui prodigue ses conseils toujours avisés, sinon où
en serait-il dans les sondages?, à la veille de la grande conférence de
presse de ce soir. "Il aura dû s'endormir en me parlant tandis que je
dormais déjà", songe-t-il.
Sans
bruit, car contrairement aux riches et aussi aux pauvres il l'aime son
conseiller, il saute du lit, comprendre il se laisse choir dans ses
pantoufles, et se dirige vers la salle de bain. Il constate avec plaisir
que l'intervention subie il y a 3 ans à la prostate a été un véritable
succès. Néanmoins il songe avec nostalgie à l'époque, c'était la même,
où il avait retrouvé une faculté déjà perdue puis revenue de pouvoir
se regarder uriner. De cette époque ne restent que la teinture et les
implants capillaires. Le bide, lui, a repoussé. C'est pas facile de
vieillir et de rester svelte quand on est gourmand.
"C'est
pas facile!". "Tiens cette expression me plait", se dit-il. "Elle
résume bien ma vie, car c'est pas facile d'être moi. Va falloir que je
la recase. Tiens, ce soir. Je vais en faire une anaphore, ma marque de
fabrique."
"Claude!!!"
"Oui, quoi? Qu'est-ce que je fais ici?"
"J'ai une idée géniale pour ce soir, je vais faire une anaphore avec c'est pas facile. T'en penses quoi?"
"C'est
pas facile à dire! Mais pourquoi pas, nonobstant la faute grammaticale.
Après tout, ça te va comme un gant, toi qu'arrives jamais à décider, à
choisir. Dis-leur qui tu es. Ils le savent déjà, mais c'est mieux de
leur dire ".
Curieux
conseiller, ne trouvez-vous pas qui va insister sur le défaut majeur et
visible d'un président dont on aura compris finalement que pour lui ce
n'est pas facile d'être président tout court. Comment ça, un président
aurait donc des décisions difficiles à prendre? Et ne sachant les
prendre il s'avérerait être le plus nul des présidents ayant eu à
gouverner ce pays? Et lui donc pour couronner le tout irait s'en
plaindre au peuple qu'il gouverne?
"Vous
m'avez élu pour prendre des décisions. Bande de salauds! C'est pas
facile et vous auriez dû vous en douter. Et maintenant vous me reprochez
d'être là où vous m'avez placé. En plus d'être des salauds, vous êtes
des cons, car vous étiez avertis. Alors cessez de vous plaindre, c'est
moi qui suis à plaindre, pas vous."
Bon
on n'avance pas avec ça, mais au moins on partage la responsabilité de
la catastrophe. Si on en remet une couche sur l'héritage, sur les
patrons qui ne jouent pas le jeu, sur la méchante chancelière et sur
l'Europe qui nous reprochent de façon inconsidérée de ne pas respecter
les engagements que nous avons pris et réaffirmés régulièrement, et
bien nous voilà exonérés de nos faiblesses.
"C'est
ça Claude, je vais leur dire que c'est de leur faute à eux et aux
autres et que moi je fais ce que je peux! T'en penses quoi?""
"De
toute façon faut bien dire quelque chose. Après avoir dit que tu
maitrisais, que le bonheur était à portée de main, que la croissance
était là, que le chômage allait baisser, faut bien trouver des excuses
puisque c'est exactement l'inverse qui s'est passé. Et puis, un conseil!
Parle leur de la prochaine guerre, pour ça t'es quand même un cador,
trois en moins de deux ans! Et aussi de la montée du FN, mais ça je
pense que tu y avais déjà pensé."
"Ah
oui la guerre, ça c'est important. Je vais même commencer par ça. Mais
j'espère juste qu'ils ne vont pas m'interroger sur la Mali et la
Centrafrique."
"T'inquiète,
ça ils s'en foutent. L'essentiel c'est de faire la guerre. Pourquoi?
Les résultats, les perspectives, ça ils 'en tapent."
"Je
vais te dire un truc, Claude. T'est vraiment un as. On devrait dormir
plus souvent ensemble, tu crois pas? Allez viens on va manger les
croissants".
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