"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 2 mars 2014

La crise en Ukraine (suite) : des principes à géométrie variable





Ça a commencé par le renversement d'un pouvoir issu des urnes. Ce pouvoir, rappelons-le, était tout à fait acceptable pour l'UE alors qu'il négociait avec elle un traité de coopération. La volte-face de Ianoukovitch suite à une surenchère particulièrement alléchante de Moscou puisqu'elle posait sur la table environ 18 fois plus que l'UE (sans parler des tarifs du gaz) dont 20% immédiatement changea la donne. Etant donné l'état de l'Ukraine, on peut comprendre que l'intérêt de ce pays passait dans l'immédiat par l'acceptation de l'offre russe. Du coup, le respectable Ianoukovitch, celui avec lequel il n'était pas honteux de parler, devenait un despote corrompu. Il y a sans doute du vrai là-dedans, notamment en ce qui concerne le second terme pouvant qualifier la majorité des dirigeants ukrainiens depuis l'indépendance, mais on ne comprend pas pourquoi  ceux qui allaient s'enthousiasmer quelques petits mois plus tard de son éviction ne s'en étaient pas rendu compte auparavant.
Il est curieux tout de même, j'entends indécent, de mettre en avant des principes sur lesquels on s'est assis allégrement plus tôt.

Viennent ensuite ces longues semaines de manifestations dans le centre de Kiev. Ça rappelle le printemps orange de 2004 subventionné par une puissance étrangère directement ou via des ONG humanitaires (!) et  qui déjà souhaitait voir l'Ukraine sortir de l'orbite de la Russie. Ces semaines se passent parfois assez rudement, c'est vrai, mais atteignent leur paroxysme curieusement le lendemain où le pouvoir libère des prisonniers en geste d'apaisement, et, est-ce un hasard?, au moment des jeux olympiques. Les troupes de chocs de la "révolution" entrent en scène, celles dont l'action armée sera déterminante.  En fait une extrême-droite qui ferait passer notre FN pur une bande d'affreux gauchistes. En France on appellera ça, enfin notre très avisé président appellera ça, une bienvenue transition démocratique. Et on reconnaitra de fait un pouvoir non issu des urnes qui offrira 3 postes dans son gouvernement aux socialistes-nationaux (nuance) de Svoboda précédemment cités.
Généralement c'est l'inverse qui se passe. Quand le verdict des urnes est bafoué, ceux qui aujourd'hui approuvent ce coup d'Etat, s'offusquent en bande et parfois interviennent pour rétablir ce qu'ils appellent le droit. On se souviendra par exemple de l'intervention française en Côte d'Ivoire quand Gbagbo refusait de reconnaitre la victoire de son adversaire Ouattarra. Mais c'est vrai que ce dernier avait la préférence de l'oncle Sam et qu'en conséquence…
Nous avons donc des gouvernements occidentaux qui sans cesse se référent au droit, combattent l'extrême-droite et l'antisémitisme et qui soutiennent un régime parvenu au pouvoir par la violence et faisant la part belle à des nostalgiques des SS ukrainiens. Allez comprendre!

Le troisième volet de l'histoire c'est quand  au lendemain des événements les gouverneurs des provinces de l'est, réunis en congrès, l'un après l'autre montent à la tribune pour affirmer qu'ils ne reconnaissent pas le nouveau pouvoir et qu'ils vont s'auto-administrer. Et déjà en Crimée certains en viennent à réclamer l'indépendance. Vent de panique dans les chancelleries. Il ne doit pas y avoir de partition de l'Ukraine. Certes on comprend que pour des raisons économiques, ce serait fâcheux… pour l'ouest  pro-occidental. Mais on oublie ce fameux principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce principe-même qui valut à la Yougoslavie de voler en éclat avec la bénédiction de ceux qui aujourd'hui s'affolent et qui permit la naissance d'un Etat mafieux aux portes de l' l'Europe quand fut reconnue l'indépendance du Kosovo. Il y aurait donc deux principes intangibles en concurrence, et on le voit aujourd'hui aussi en Afrique, celui de l'intangibilité des frontières et celui du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces deux principes sont évidemment contradictoires mais peuvent être brandis alternativement par les mêmes en fonction des circonstances. Faudrait quand même peut-être choisir dès lors qu'on parle de principes. Il est difficile qu'on puisse admettre en même temps que l'Ecosse puisse devenir indépendante, et pourtant c'est admis puisqu'un referendum à ce sujet est autorisé, et que la Crimée ne puisse pas par le même procédé le devenir également, cette fois au nom de l'intangibilité des frontières.
Alors vite, il faut choisir parce que personne n'oserait croire que les réactions occidentales soient dictées par autre chose que des principes nécessairement vertueux!

Le quatrième épisode se déroule actuellement. La Russie intervient, en Crimée pour l'instant, elle aussi au nom de principes. Elle est là pour protéger ses ressortissants et les populations russophones et russophiles dont des éléments qui après, selon un mode qui pourtant ne devrait pas choquer le pouvoir en place à Kiev, s'être emparés des organes du pouvoir de leur république autonome, ont demandé l'assistance de la Russie. Devra-t-on rappeler que les pays occidentaux sont régulièrement intervenus en Afrique essentiellement, c'est vrai et ça compte peut-être pour du beurre à cause de cela, pour protéger leurs ressortissants. Doit-on rappeler au président Hollande qu'il est intervenu en Centrafrique sur la demande d'aucune autorité de ce pays, d'aucune population  et contre un gouvernement qu'il avait laissé se mettre en place dans le silence. Mais dans le cas présent, on parle d'agression. Drôle d'agression en fait quand on voit l'accueil reçu par les troupes russes (sur les chaines de TV russes évidemment car je n'ose penser que de telles scènes aient droit de diffusion en France – vous me le direz si je me trompe). Drôle d'agression quand beaucoup de miliciens (policiers) ukrainiens se rallient au pouvoir pro-russe de Crimée, quand des militaires font de même dont, cerise sur le gâteau, l'amiral commandant la marine ukrainienne et nommé deux jours plus tôt à ce poste (sans doute son prédécesseur n'inspirait-il pas confiance) par le nouveau pouvoir à Kiev. Drôle d'agression donc quand la résistance se traduit par les baisers des femmes, les tapes dans le dos de la part des hommes et la défection de ceux qui devraient résister par les armes!
Mais c'est un connaisseur, relayé par ses vassaux, qui le dit! Vous pensez donc! Un prix Nobel de la paix, ça sait ce que c'est une agression! Parce que lui, il est clean! Par exemple les drones qui bombardent au Yémen en se trompant parfois de cible, c'est une légende. En fait c'est un peu, si on considère le passé et le présent de son pays comme si Dutroux s'offusquait au nom de la morale d'une bise déposée sur la joue d'un enfant. Alors on se réfère au droit international, celui qu'on bafoue au nom de ses intérêts (ce n'est pas forcément un reproche) quand on ne peut pas l'élaborer soi-même. Et on conteste à l'autre, au nom de principes évidemment, qu'ils soient juridiques ou moraux, le droit de faire ce qu'on fait soi-même régulièrement.

Bon! On pourrait peut-être en finir avec les principes. Et parler d'intérêts, parce qu'il n'y a que ça qui compte. Et dire que les intérêts américains sont de limiter la puissance de la Russie. Quant aux Européens, mais finalement pas tous car certains, pas fous, restent discrets ou parviennent à tenir des discours équilibrés (pas la France en tout cas), comme ils ne savent guère où se trouvent les leurs, mais ont-ils envie de les chercher, ils suivent bêtement après avoir été à l'origine de l'affaire peut-être après manipulation.

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