La France voyage dans le temps et
l'espace, juste par la volonté des politiques et des journalistes.
Il y a deux ans nous étions à
Vichy en 1941, aujourd'hui nous sommes à Berlin-Est en 1980. Nous sommes passés
de la gouvernance de Sarkotain à celle de Hollandecker. Tout ça grâce à la
magie du verbe.
Et ça me rappelle quelques souvenirs.
Car si je n'ai jamais mis les pieds à Vichy, je suis allé deux fois à
Berlin-Est (et Ouest). C'était il y a longtemps évidemment, avant même la
première alternance, à une époque où on n'imaginait pas qu'un jour ce mur
pourrait tomber, seulement une dizaine d'années plus tard. Berlin-Est c'était
vraiment un autre monde. Berlin-Ouest aussi d'ailleurs qui paraissait un monde
artificiel où une vie nocturne débridée semblait devoir faire oublier que cette
ville était encerclée et serait la première à tomber au cas où… Ça n'a pas eu lieu et je ne suis jamais retourné à Berlin pour vérifier
si on n'y faisait toujours autant la fête et si ça c'était propagé à l'est. J'en
doute un peu, du fait de la normalisation de la situation. A l'est c'était
austère. L'atmosphère était glauque et pesante. D'autant plus pesante qu'on se
savait et sentait suivi. Parce qu'à l'époque on n'y allait pas en touriste. On passait
le mur à check-Point-Charlie en uniforme, le statut de la ville qui était
considérée comme occupée permettant de passer du secteur occidental au secteur oriental uniquement de cette façon.
Du coup j'en viendrais presque à
comprendre ceux qui se sont émus de la comparaison faite par Nicolas Sarkozy
dans sa lettre aux Français. Enfin je comprendrais si ceux qui geignent
aujourd'hui n'avaient pas été ceux qui comparaient l'ancien président à un
dictateur, tantôt à Hitler (jeunesses socialistes, nos komsomols à nous),
tantôt à Pétain et voyaient la France de retour aux heures les plus sombres de
notre histoire, selon l'expression aussi usée que consacrée. Ben oui, aux excès
de langage des uns répondent forcément les excès de langage des autres. Vichy à
la droite, la RDA et sa fameuse Stasi à la gauche! Pas de jaloux! Mais néanmoins
émotion asymétrique. Car je ne me souviens pas qu'on se soit autant formalisé
quand Sarkozy était comparé à Pétain et la France à Vichy. Cette asymétrie est
inquiétante, car elle tendrait à aller dans le sens de l'ancien président. Dans
la France de Hollande on ne pourrait donc pas manier l'outrance comme dans la France
de Sarkozy sans être cloué au pilori. N'est-ce pas là le signe d'un
durcissement du régime? D'autant plus que le président lui-même, renonçant à
des principes, il faut dire déjà violés auparavant, comme tant d'autres,
intervient depuis l'étranger pour s'indigner en direct des propos de son prédécesseur.
Et peut-être successeur.
C'est sans doute à cette potentialité,
celle de successeur, qu'il faut s'attacher pour comprendre les réactions
outragées de nos élites, non, ne riez pas, de gauche et de leurs alliés qu'on
trouvera en nombre dans les salles de presse ou les tribunaux. Car si Sarkozy n'était
pas le successeur potentiel de notre gros, il y a fort à parier que ses propos
seraient simplement ignorés, traités avec le mépris qui accompagne souvent ceux
qui ont leur avenir derrière eux. Et sans doute aussi, ne ferait-il pas l'objet
d'une telle campagne de dénigrement allant au-delà de l'inouï alors que jusqu'à
présent aucun juge n'a pu l'épingler, qu'il n'est mis en examen dans aucune
affaire et que son casier judiciaire est d'une virginité mariale. On comparera
avec Chirac qui rattrapé par les affaires, condamné, a bénéficié d'un
traitement politico-médiatique bien sympathique. Mais on savait qu'on ne le
reverrait pas.
Comment donc dans ces conditions qualifier
un régime traitant de cette manière un adversaire potentiel en mobilisant des
moyens qu'on voudrait voir mis en place dans des affaires de grand banditisme?
Comment qualifier un système où un opposant est mis sur écoutes, non pas sur la
base d'indices, mais pour trouver justement des indices? Comment qualifier un
régime dont les ministres nient l'évidence, se permettant même pour l'une
d'entre-elle d'exhiber pour prouver sa bonne foi des pièces qui prouvent
exactement l'inverse de ce qu'elle dit, quand on leur demande leur place dans
ce système d'écoutes? Comment qualifier un régime dont les membres du
gouvernement condamnent un opposant avant qu'il ne soit jugé, sans même savoir
s'il le sera, en se basant sur des comptes rendus d'écoute parus illégalement
dans la presse sans que cela leur pose problème tandis qu'ils ne cessent de
parler de justice indépendante? Comment qualifier un régime dont un ministre
dans un lapsus révélateur dit "on va s'occuper de lui" avant de se
reprendre et dire "enfin la justice…"? Comment qualifier un régime où
le chef de l'Etat déclare à des députés de sa majorité "ne vous inquiétez
pas, je le surveille, je sais exactement ce qu'il fait" parlant de celui
qu'il considère comme son ennemi le plus dangereux, après le cholestérol? On n'en est peut-être pas à pouvoir parler de
gestapo, de Stasi ou de KGB. Mais on ne peut pas vraiment parler de régime
exemplaire en termes de démocratie.
Je serai rassuré quand les auteurs
des fuites vers Médiapart seront identifiés. Cela devrait être facile car comme
il n'y a pas eu de mise en examen et qu'il n'y a pas de partie civile, et
surtout comme personne, ils l'ont juré, n'est au courant du contenu de ces
écoutes, l'enquête devrait se focaliser sur très peu de gens, en fait juste les
policiers chargés des écoutes et les juges qui ont requis ces écoutes. Pour les
policiers il suffit de reprendre les PV d'écoute où figure ce qui a fuité. Si
ça concerne plusieurs policiers, on sera peut-être tenté d'aller voir du côté
des juges. A moins que… Cela dit je ne me fais aucune illusion. Et mes doutes
quant à l'honnêteté de ce régime seront une nouvelle fois confirmés.
Mais éloignons nous de l'affaire
des écoutes de l'ancien président pour voir si nous pouvons trouver d'autres
traces allant dans le sens des accusations proférée dans sa lettre aux
Français.
Tiens au hasard, le traitement de
la manif pour tous. Combien de gens embarqués, mis en garde à vue lors des différentes
manifestations et événements ponctuant ce mouvement de contestation? Et pour
combien au final de mises en examen et de condamnations? On a vu des gens
embarqués uniquement pour port de T-shirt, tandis que des jeunes qui écoutaient
tranquillement des textes étaient embarqués sans ménagement pour une garde à
vue excédant souvent 24 heures. Police politique? On a vu la police moins
"hardie" lors des émeutes du Trocadéro et au préfet de police, aussi
inefficace qu'il est aux ordres, on pourrait rappeler cette devise : "à
vaincre sans péril on triomphe sans gloire."
On se souviendra aussi de cette
jeune fille en quête de la nationalité française et soumise au chantage de
policiers. Elle devait faire la taupe contre une carte d'identité. Combien comme
elle ont-ils fait l'objet de pressions de ce type et n'ont pas eu le courage de
cette fille qui a révélé ces procédés immondes? Une enquête a été ouverte. Tout
le monde a déjà oublié.
Encore au hasard. Lors de la
manifestation assez hétéroclite du moins de janvier qui rassemblait des mécontents
de toute sorte de ce gouvernement, dont certains effectivement peu fréquentables,
il y a eu 250 interpellations. Pour aucune vitrine brisée, pour aucune voiture
brulée. En fait on ne sait guère pourquoi. A Nantes, alors que le centre-ville
a été mis à sac, juste 6 interpellations. Curieux, non?
Plus près de nous. Numéricable
choisi par SFR pour être racheté. Ce n'est pas le choix du gouvernement. Mais après
tout on s'en fout, non? On n'est pas en économie dirigée comme en RDA, après
tout. Oui, mais bon… quand même… Allez hop, un contrôle fiscal pour le
racheteur.
Cherchez bien et vous verrez que
le quotidien est ponctué de ce genre de "petites" affaires, du moins
de celles qui parviennent à émerger et à être portées à la connaissance du
public. Leur cumul donne une certaine idée de la manière dont fonctionne notre
régime si moral, si irréprochable.
Ce n'est peut-être pas la RDA et
les méthodes de la Stasi, du moins pas toutes les méthodes. Mais au final ce
n'est pas très joli.
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