Le référendum organisé dimanche
en Crimée et portant sur le rattachement de la péninsule à la Russie vient de
trouver sa traduction dans la signature par le président Poutine d'un décret confirmant
ce rattachement. Il ne reste plus à la Douma qu'à entériner ce décret, ce qui
se fera très prochainement.
Le traitement de ces affaires par
les chancelleries, par les médias, est assez stupéfiant L'invocation douteuse du droit international
de la part des occidentaux accompagné d'informations tendancieuses ou parfois
très incomplètes des médias ont jalonné les péripéties d'une affaire commencée
il y a plusieurs mois déjà lorsque le président Ukrainien Ianoukovitch revenant
sur ses intentions repoussait la signature du traité d'association entre
l'union Européenne et son pays.
On ne va pas reprendre l'affaire
dans ses détails, 3 précédents billets ayant, je l'espère, suffisamment
dégrossi cette situation. On s'arrêtera donc à quelques éléments portant sur la
qualité et la pertinence des arguments mis en avant pour expliquer que ce
dénouement était illégal, et sur la qualité de l'information proposé par les
médias pour éclairer sur la situation ukrainienne.
Commençons par ce dernier point.
S'i c'était agi de l'instruction d'un procès on pourrait déclarer sans se
tromper que cette dernière a été menée essentiellement à charge, voire
exclusivement s'agissant de certains médias français.
Prenons un exemple, sans grande
conséquence. Il y a deux week-ends de cela nos médias parlaient d'une
manifestation se déroulant à Moscou d'opposants à la présence russe en Crimée. Certes
elle a eu lieu. Mais dans le même temps se déroulait une manifestation de
soutien de soutien à la politique russe mobilisant énormément plus de monde. Celle-ci
a été purement passée sous silence ou presque. Le week-end dernier, une
manifestation d'opposants au rattachement de la Crimée à la Russie avait lieu
dans cette même ville. Et là nos médias, relayant l'AFP, réussissent le tour de
force à trouver davantage de manifestants que les organisateurs eux-mêmes. Et
pas seulement quelques centaines, la différence étant de 20000. On connaissait
les divergences entre la policier et les organisateurs concernant les
comptages, les écarts ressemblant étrangement en termes d'ordre de grandeur à ceux qu'on
observe en France, mais on n'avait jamais encore vu des journalistes trouvant
davantage de manifestants que les organisateurs. J'en déduis qu'ils ont compté
les pieds et ont oublié de diviser par deux ensuite. Nous savons désormais que
chaque mensonge quand il vient d'un bord n'en est plus un et que des apparences
défavorables peuvent s'expliquer aisément.
Mais de cela à la limite on
pourrait se contenter de rigoler, les conséquences n'étant pas dramatiques.
Ce qui est plus grave, beaucoup
plus grave, c'est la manière dont a été traité la fameuse, mais peut-être pas
tant que cela puisqu'il il fallait saisir l'information, donc la fameuse
conversation téléphonique piratée entre l'admirable lady Ashton et le premier ministre
estonien qui faisait part de doutes sérieux sur l'origine des tirs ayant couté
la vie à de nombreux manifestants sur la place de l'Indépendance à Kiev.
Quelques journaux allemands et britanniques ont développé le sujet. La presse
française, et pas toute, loin de là, s'est contenté de l'évoquer dans quelques
entrefilets. Pourtant ça, ça mérite une vraie enquête. Une enquête sur les
faits et une enquête pour comprendre pourquoi une enquête officielle n'a pas
été ouverte, et par les nouvelles autorités locales, et par la fameuse communauté
internationale. Des esprits malveillants pourraient y voir la volonté de masquer
certains faits qui pourraient remettre en cause une politique
américano-européenne reposant sur la reconnaissance d'un gouvernement dont la
seule légitimité aurait été d'avoir renversé un dictateur sanguinaire et
corrompu.
Tiens, au fait puisqu'on parle de
dictateur sanguinaire et corrompu, comment se fait-il que nos journalistes ne
se soient pas posé cette question pourtant simple : pourquoi jusqu'à la veille
de la signature avortée du traité d'association Ianoukovitch était-il encore un
interlocuteur respectable, tandis que le lendemain il était justifié de
demander son départ parce qu'il ne l'était pas? Remarquez cette question
pourrait être posée régulièrement. Ben Ali, Kadhafi, Moubarak, El Assad, Saddam
Hussein, et bien d'autres encore pourraient être l'objet de cette question. Cette
question à laquelle on nous répond sans cesse avec des arguments
"moraux" qui ne montrent que mieux l'amoralité de ceux qui les utilisent.
C'est à peine un reproche, si on se réfère à la seule règle qui vaille en
politique étrangère et qui est que les Etats ont le devoir d'agir selon leurs
intérêts. C'est juste le constat d'une hypocrisie s'expliquant par certaines
évolutions qui veulent que désormais, on justifie ses actions au nom du bien et
du mal. Tu parles! Le grand problème de ce type de démarche est qu'il induit
forcément de la désinformation ou de la mal-information. On transforme
certaines données ou on les exagère et on en oublie d'autres volontairement. Et
l'Ukraine est dans ce domaine un cas d'école. Le citoyen de base s'il veut se faire
une idée honnête de la situation doit aller voir ce que dit l'autre côté (ne
parlons pas d'adversaire), tout en étant conscient que l'information qu'il recueillera
ne sera sans doute pas davantage objective, doit replonger dans ses livres
d'histoire, dans des traités de géopolitique, car souvent les situations
présentes sont la conséquence d'épisodes parfois anciens, dans les événements
récents,… Parfois, c'est une aubaine, certains de nos journaux, mais pas tous,
ouvrent leurs colonnes à des paroles "dissidentes", du moins
contraires ou nuancées par rapport à la parole officielle que ne font guère autre
chose que colporter les médias. En fait c'est quasiment un vrai boulot qui
consiste à faire ce que ne font pas ceux qui devraient le faire. On comprendra
alors que le temps, l'envie, les compétences sont des variables qui jouent en
faveur de la version officielle. Quoique dans l'affaire ukrainienne, il semble
que ce soit moins le cas, bien moins en tout cas que lors de la guerre dans les
Balkans où peu de voix s'élevaient pour défendre les Serbes. La raison en est
peut-être une défiance accrue vis-à-vis de l'Union Européenne et le refus d'une
part de voir l'Europe encore s'élargir à des pays qui ne remplissent pas les
conditions, et d'autre part, de devoir payer, à fonds perdus, pour un pays bien
éloigné. C'est du moins ce que révèle un sondage récent sur les opinions publiques
allemande et française sur ces sujets de l'élargissement et de l'aide financière
à l'Ukraine. Peut-être qu'en période de crise, quand on nous invite à nous
serrer la ceinture parce que les caisses sont vides, les justifications de la
politique étrangère par le bien et le mal ne rencontrent plus guère d'écho dès
lors que la conduite de cette-ci induit un coût financier supplémentaire et
donc de nouvelles restrictions.
Mais de cela j'imagine que les
gouvernements et encore plus la commission de Bruxelles n'en ont cure. Surtout
quand c'est Obama qui dicte les conduites. Tout cela ne peut qu'encourager à
forcer le trait pour justifier ces sacrifices. Le méchant doit être encore plus
méchant et heureusement que les gentils, la communauté internationale
autoproclamée, en fait la communauté fidèle aux Etats-Unis, sont là pour
l'empêcher de nuire. Sauf que cette fois c'est loupé.
Ça n'aura pas été faute
d'essayer. Les arguments se parant du droit international, je vais y revenir,
n'auront eu aucun effet. Pas plus que des sanctions dont le caractère
dérisoire, la prééminence des intérêts sur le "bien" défendu ne
pouvant guère être laissée de côté, constituerait presque un encouragement à
aller plus loin, en tout cas à ne pas céder sur l'essentiel de la part du
prétendu camp du mal. C'est pathétique!
A ces gens-là il ne reste que la
parole, plutôt la parlote, que même les moulinets de bras ne rendent pas
crédible. Et en plus leurs arguments sont d'une telle faiblesse qu'on se
demande pourquoi ils tiennent autant à se ridiculiser.
On leur dit droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, ils répondent intangibilité des frontières. Alors on leur
réplique Kosovo. Et là ils ne savent que dire "mais c'est pas pareil!".
Effectivement c'est pas pareil, c'est pire. Regardez une carte du Kosovo dans
l'Europe, sa taille, ses accès maritimes qu'il n'a pas, sa population, ses
infrastructures, ses richesses naturelles, le niveau de développement des
services, corrélez-à ça à l'envie qu'on pourrait avoir d'investir dans ce pays,
et tout de suite on voit que cet Etat n'est pas viable. Pourtant ils l'ont
reconnu au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les Russes, Poutine
déjà, étaient contre. Et de déclarer avec la rudesse du ton qui peut être la
sienne, mais au moins on comprend ce qu'il dit, que "ça vous reviendra
dans la gueule". Et c'est aujourd'hui que ça se passe. Boum!
On pourrait continuer ainsi. Mais
là je préfère vous mettre en référence un
papier de Jacques Sapir dans le Figaro qui expliquera ça mieux que moi. Néanmoins
pour tous ceux à qui ça donnerait des boutons d'aller jeter un œil sur le site
de ce journal, je résume:
1. La Crimée était russe depuis
près de 3 siècles quand elle a été "offerte" par Khrouchtchev à
l'Ukraine (soviétique) sans demander l'avis aux populations.
2. Le gouvernement ukrainien
étant le produit d'une révolution et celui-ci ayant dissous la cour
constitutionnelle, il n'est pas justifié de se référer à une constitution n'existant
plus de fait et de juger des actes inconstitutionnels dans la mesure où le seul
organe qui pourrait le faire n'existe plus.
3. Le gouvernement reconnu par
les occidentaux ne représente pas la nation ukrainienne mais simplement une
partie de cette nation. En conséquence l'Assemblée de Crimée était fondée à ne
pas reconnaitre ce gouvernement autoproclamé et à faire valoir le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes aux dépens de l'intangibilité des frontières,
argument qui aurait été recevable dans une situation normalisée. De fait la
reconnaissance de ce gouvernement par les occidentaux ouvrait la porte à la
séparation.
4. Les doutes sur le bon déroulement
du référendum auraient pu être levés ou confirmés par la présence
d'observateurs. Or l'OSCE a refusé d'en envoyer. Si doute il y a il doit donc
profiter aux autorités de Crimée, les occidentaux s'étant abstenus. Quelques
parlementaires européens ont assisté aux opérations de vote, de façon
volontaire, et n'ont rien trouvé de scandaleux.
5. Des pays comme la France qui a
ignoré le résultat du référendum de 2005 ou qui a accepté par le passé un
référendum sur Mayotte rattachant cette île à la France, contre une résolution
de l'ONU, sont mal placés pour se référer au droit quand il s'agit de la
Crimée.
6. Il faut désormais accepter le
fait que la Crimée est redevenue russe. La sortie de crise, surtout l'évitement
d'une guerre civile dans l'est de l'Ukraine, ne peut passer que par une
pression conjointe des occidentaux et des Russes sur les autorités en place à
Kiev pour qu'elles constituent un gouvernement d'union nationale avec donc
toutes les parties et désarment les groupes extrémistes avant d'engager l'élection
d'une assemblée constituante. La signature d'un accord international avec le
gouvernement actuel irait contre le droit.
Je ne crois pas en la sagesse des
européens qui veulent signer vendredi prochain ce fameux traité qui a mis le feu
aux poudre avec ce gouvernement illégitime et qui s'est constitué en
enfreignant les accords signés la veille entre les représentants de l'UE, le gouvernement
élu de l'Ukraine et les représentants de l'opposition armée. Cet accord qui
comporte un volet sécuritaire (intégrant de fait l'Ukraine dans l'OTAN) n'est
pas davantage acceptable par les Russes aujourd'hui qu'il y a 4 moins. Soit ils
n'ont rien appris, soit ils veulent poursuivre une confrontation qui ne leur
rapportera rien, bien au contraire. Ils mènent un combat qui n'est pas le leur.
Bonus : une histoire simplifiée mais
néanmoins éclairante de l'Ukraine.
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