"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

lundi 3 février 2014

Bureau de l'état-civil

-          Bonjour Monsieur!
-          Bonjour Monsieur!
-          Que puis-je faire pour vous?  (Nous sommes dans une fiction et donc ce n'est pas "Oui c'est pour quoi?").
-          Eh bien voilà! Je voudrais déclarer mon enfant qui vient de naitre.
-          Félicitations! Vous avez les papiers de la maternité?
-         
-          Merci! Bon d'accord! On lui donne quel prénom à ce bambin?
-          "Emile et/ou Héloïse"!
-          Comment? Vous pouvez répéter?
-          "Emile et/ou Héloïse"!
-          Emile? C'est bien un garçon, non? C'est ce qui est inscrit sur vos papiers?
-          Un garçon! Vous y allez fort vous. Comment vous pouvez dire ça? Tiens vous me rappelez le gynéco qui avait annoncé à ma femme que c'était un garçon qu'elle attendait.
-          Et c'était bien ça, donc!
-          Mais comment pouvez-vous le savoir?
-          Bon, je comprends que vous ayez fêté la naissance de votre fils et que votre esprit ne soit pas très clair. Mais bon y a du monde derrière vous et on pourrait finir, hein?
-          Quoi mon fils! Vous en savez quoi?
-          Il a bien quelque chose entre les  jambes votre bébé, non?
-          Oui et alors?
-          Donc c'est un garçon. Et ça c'est plus sûr que le fait qu'il soit vôtre fils! Excusez-moi pour avoir affirmé cela. Ça c'est pas mes affaires.
-          Non mais vous sortez de où, vous? Vous êtes né à quel siècle?  Bienvenue sur terre! Non mais quoi c'est vrai quoi! Vous me parlez de garçon au prétexte d'un zizi arrivé là par hasard entre les jambes d'un bébé, vous me parlez de fils en supposant que je ne serais peut-être pas le père. Mais vous n'avez rien compris! Vous ne savez pas qu'on peut être l'enfant de quelqu'un sans que celui-ci soit le père ou la mère! Vous ne savez pas que ce n'est pas parce qu'on a un zizi qu'on est forcément un garçon! Mais d'où sortez-vous, mon pauvre?
-          Je vous en prie, soyez poli, Monsieur! Vous auriez pu attendre d'être décuité pour venir ici ou éviter de fumer un joint en attendant votre tour!
-          P….n! Mais je rêve. Je suis tombé sur un fossile! Vous en êtes encore au papa, maman et les gosses pour définir une famille. Vous n'avez pas entendu parler des formes alternatives, vous n'avez pas écouté la ministre de la famille dire que la filiation c'était plus papa dans maman et ce qui sort de maman 9 mois plus tard? Faudrait vous recycler, mon vieux!
-          Bon écoutez, vos trucs, je n'y comprends rien. Ce que je vois c'est que vous avez un papier où il est marqué que le bébé que vous venez déclarer est de sexe masculin. Donc on s'arrête là et votre garçon s'appellera donc Emile sauf si vous avez un autre prénom à suggérer maintenant.
-          "Emile et/ou Héloïse"!
-          Bon! On va pas recommencer!
-          Mais si, mais si! Vous n'avez pas entendu parler de l'inné et de l'acquis? Des études sur le genre?
-          ????
-          Eh ben oui, mon vieux! 10% d'inné et 90% d'acquis. Donc vous n'allez pas avec une telle proportion oser affirmer que le bébé est un garçon et qu'il faudrait l'appeler Emile! Et même ça ça peut changer. U coup de scalpel, une vaginectomie, et voilà Emile qui devient Héloïse. C'est vrai quoi! Si Emile se découvre Héloïse dans quelques années, l'aura pas l'air cloche avec un tel prénom. Au moins je lui laisse le choix. Fera ce qu'il veut cet enfant. C'est ça la liberté!
-          Bon OK! Vous vous appelez comment, enfin votre prénom?
-          Gérard! Pourquoi?
-          Et on vous a bien appelé Gérard parce que vous aviez quelque chose entre les jambes, non? Sinon on vous aurait appelé Marie-Claire ou je ne sais quoi?
-          Mais moi on ne m'a pas donné le choix, Monsieur. On m'a forcé à devenir un garçon. On m'a fait jouer aux cowboys et aux indiens, avec des tanks, des bulldozers ou je ne sais quoi. Du coup je ne sais pas qui j'aurais pu être. Peut-être Marie-Claire, en effet!
-          Et ça vous gêne?
-          Ben oui! Car je n'ai pas pu explorer tous mes possibles! Peut-être que j'ai raté ma vie sans le savoir.
-          Si vous ne le savez pas, c'est déjà une bonne chose.
-          Oui, mais le doute ontologique alors?
-          Mais qu'est-ce qu'il raconte?
-          Comment?
-          Rien! Et votre fils, pardon votre truc non identifié, vous allez l'élever comment?
-          Comme une fille et comme un garçon. Comme ça il pourra choisir!
-          Et vous n'avez pas peur de le perturber. Parce que vous savez les autres enfants ils auront sans doute du mal à comprendre qu'il se promène en jean un jour et en robe le lendemain.
-          Oui mais si c'est le prix à payer pour savoir qui on est il faut le faire. Sinon le doute persistera toujours.
-          Ah oui le truc ombilique!
-          Ontologique!
-          Bon c'est pas tout. Moi je ne peux rien pour vous. Je dois lui donner un prénom de garçon puisque c'est marqué qu'il est de sexe masculin. Attendez!  J'ai une idée. Donnez-lui un prénom mixte, je ne sais pas, moi, Dominique ou Claude!
-          Pas question, mon vieux! Car moi j'ai horreur de l'ambigüité!

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