Il parait que nous vivons en
démocratie. Vous savez ce truc qui
signifie "gouvernement du peuple par lui-même", chose évidemment à
peu près impossible à réaliser, tant ce serait un brouhaha, une cacophonie d'où
rien ne sortirait sinon des coups échangés, et là la force ne manquerait pas de
supplanter la raison, donc chose impossible à réaliser mais qu'on tente
d'approcher parfois au mieux, parfois en laissant autant que possible à l'écart
des décisions le concernant au premier chef un peuple jugé peu éclairé (restons
poli) et dont il convient de faire le bien malgré lui. Nous reviendrons
évidemment sur ces deux aspects avec quelques exemples actuels.
Les démocraties, du moins les
régimes politiques reconnus unanimement comme tels, malgré leurs imperfections,
car méfions nous de ceux qui utilisent de façon frauduleuse ce label, ont
généralement opté pour des systèmes représentatifs, permettant aux citoyens de
désigner quelques-uns parmi eux, en fait beaucoup, mais là aussi c'est variable
selon les pays, pour porter leurs voix et en leurs nom gérer le quotidien et
préparer l'avenir. En fait même si cela peut paraitre beau sur le papier, ça
l'est parfois (souvent?) moins dans la réalité dans la mesure où le mandat
impératif, le seul qui pourrait éventuellement permettre à chaque élu de faire
valoir la volonté de ceux qu'il représente est généralement interdit.
Et du coup il peut se produire que
les citoyens aient cette impression, mais en est-ce une?, que leurs
représentants se sont transformés avec le temps en godillots, c'est-à-dire en
petits toutous de leur parti politique faisant parfois preuve d'un zèle
redoutable dans la servilité qu'ils déploient pour plaire mais bien davantage
aux dirigeants de leur parti qu'à leurs électeurs, ce qui, reconnaissons-le, ne
peut pas être nuisible dans une carrière. Ainsi parfois, dans certains pays, on
assiste à un rejet non pas de la politique mais du personnel politique surtout
quand il s'est professionnalisé. On pardonne moins facilement à un
professionnel qu'à un amateur ou un bénévole, n'est-ce pas?
De fait on assiste quelquefois à
certains phénomènes que certains analyseront come un rejet de la démocratie
tandis que d'autres, et j'en suis, verront comme l'expression du constat de
l'absence de démocratie ou tout du moins d'imperfections allant en s'amplifiant
et laissant à penser aux citoyens qu'ils ne sont plus représentés loyalement.
Vous voyez tout de suite le gouffre entre ces deux interprétations d'un même
phénomène, la première version se situant essentiellement dans le camp de ceux
qui nous dirigent ainsi que leurs sympathisants qui voient la démocratie
menacée tandis qu'ils ne feignent même pas de s'attacher aux désirs du peuple
quand ils ne s'assoient pas carrément dessus. Mais avec les meilleures
intentions évidemment, car ce pauvre peuple ne sait pas ce qui est bon pour
lui.
Dans certains pays se réclamant
de la démocratie, parfois par tradition multiséculaire d'ailleurs, on s'attache
à pallier les défauts d'une démocratie représentative et à anticiper des
dérives connues sous d'autres cieux, en permettant au peuple de s'exprimer.
Parfois on l'y invite quand il s'agit de sujets sensibles et ayant des
conséquences sur son avenir en tant que peuple, sur sa vision de la société,
parfois on lui permet de prendre l'initiative d'imposer ses vues aux politiques
alors même que la majorité de ceux-ci est opposée à ce qu'on leur propose. Mais
en démocratie le peuple doit toujours avoir le dernier mot. Devrait. On peut
même constater que des pays, je pense à un en particulier, où le referendum est
inscrit dans la Constitution et fut utilisé par le passé pour des questions
essentielles, ont pratiquement renoncé à l'utiliser préférant régler les
affaires, quand c'est possible, entre "pros" de la politique ou quand
ce n'est pas possible pour des raisons constitutionnelles de remettre ça à plus
tard, quand les "pros" seront dans une configuration favorable. Il
faut dire à la décharge de ces pays qu'on a pu constater que le peuple votait
parfois mal quand on lui posait une question pourtant simple et dont la réponse
était évidente, et qu'on devait ensuite corriger les effets du vote, soit par
une ou plusieurs consultations assorties au préalable d'une pédagogie de
l'apocalypse ( en cas d'un nouveau vote absurde), car il est bien sûr du devoir
des politiques d'éclairer les électeurs de ce qui pourrait leur tomber sur la
tête s'ils persistaient dans leurs erreurs, soit par un arrangement entre "pros"
permettant de s'abstraire des sautes d'humeur du peuple. Enfin du coup on évite
la procédure référendaire quand elle n'est pas obligatoire.
Néanmoins certains pays, en fait
au moins un, continue à résister à cette tendance d'ignorer le peuple entre
deux consultations électorales. Ce qui ne plait pas à ceux, du moins pour être
plus précis à leurs dirigeants, qui ont cette perception de la démocratie
qu'elle fonctionne d'autant mieux qu'elle s'abstrait du peuple.
Je crois que le moment est venu
d'illustrer les propos par des exemples se référant à l'actualité. Prenons au
hasard deux pays voisins, européens, considérés comme des démocraties : la Suisse
et la France.
Dans le premier pays existe
depuis des siècles une tradition, ou plutôt une valeur, voulant que le peuple tienne
une place majeure dans le processus démocratique. Aucun vrai démocrate ne
saurait lui en tenir rigueur. Il se produit donc régulièrement dans ce pays des
consultations référendaires à l'initiative du peuple lui-même ou de groupements
politiques permettant aux peuple d'exprimer sa volonté alors même que cette
dernière est en contradiction avec la politique menée par ses représentants,
avec des lois votés par eux, ou même des traités liant le pays à d'autres
ensembles politiques. Il y a quelques années par exemple, un référendum
s'intéressait à l'esthétique urbaniste en prohibant la construction de minarets
considérés comme déparant dans un pays de culture chrétienne donc davantage
attaché à la vision de clochers que d'édifices davantage à leur place dans
d'autres pays où les chrétiens sont minoritaires, et parfois persécutés. Déjà
ce vote devant obligatoirement se traduire par une loi selon les règles en
vigueur dans la Confédération Helvétique avait suscité des remous dans les pays
voisins bien davantage ouverts à la diversité et à ses manifestations. Notez que
je parle de pays et non de peuples.
Et donc il y a quelque jours, ces
mêmes Helvètes, du moins une majorité d'entre eux, même courte, ont décidé de
reprendre en main le processus d'immigration de leur pays. Ils souhaitent une
immigration maitrisée, avec la définition annuelle de quotas en correspondance
avec les besoins de la Suisse, et
prenant en compte la préférence nationale. Par ailleurs ils désirent que l'attribution
des titres de séjour prenne en compte la capacité d'intégration des individus
demandeurs et leur capacité financière autonome de vivre dans le pays. Bref,
rien que des choses parfaitement raisonnables qui devraient inspirer les
politiques d'immigration de bien des pays. Quoi de plus raisonnable en effet
que de veiller à ce que n'entrent les immigrés dont on a besoin (que pourrait-on
faire des autres?), de penser à donner du travail avant tout à ses
ressortissants avant des étrangers, et de vérifier que les immigrants ont les
capacités de vivre dans le pays sans être une charge pour la collectivité et qu'en
plus ils se comporteront dans le respect des normes en vigueur. Qui donc de
raisonnable pourrait être contre cela?
Eh bien beaucoup de monde à
priori dont certains membres parmi les plus éminents de notre gouvernement pour
lesquels la maitrise de l'immigration doit correspondre à quelques milliers d'expulsion
d'illégaux et la régularisation des autres, et la préférence nationale à un
gros mot. Quant à la capacité d'intégration que peuvent y comprendre des gens
qui ont décidé que c'était aux Français de souche de s'adapter à leurs hôtes et
non l'inverse. S'agissant de l'autonomie financière des immigrés, il reste assez
de Français qui travaillent pour que leurs impôts permettent de ne pas ce
soucier de ce genre de détail. Mais ils ne sont pas les seuls puisque les
libéraux de Bruxelles et, au-delà européens, les rejoignent dans leurs
critiques. Leur vision d'un monde où tout pourrait circuler librement,
marchandises, capitaux et hommes, s'en trouvant quelque peu contrariée. Notons au
passage que cette dernière raison n'est pas étrangère à nos amis socialistes,
euh…, sociaux-démocrates, à moins que ce ne soit sociaux-libéraux. Attendons
une prochaine conférence de presse du président et un autre revirement pour
trouver la bonne appellation. Enfin quoi qu'il en soit, la démocratie dès lors
qu'elle redonne la parole au peuple n'a pas l'heur de plaire à nos grands
démocrates dès lors que ce qui sort des urnes ne leur plait pas.
Et c'est dans cette perspective
qu'on peut considérer ce qui se passe en France s'agissant de ce qu'on appelle
les mesures sociétales imposées par le pouvoir en place à un peuple dont il
serait difficile d'affirmer qu'une majorité est en accord avec ces mesures. Seul
un référendum pourrait nous le dire!
Mais pour rester sur un thème
proche de celui évoqué pour la Suisse, penchons-nous sur la réforme de la
politique d'intégration telle qu'envisagée par notre gouvernement qui travaille
dessus à partir d'un projet de feuille de route dont les propositions sont
éloquentes, enfin effarantes, en tout cas dans le même esprit que les rapports
si contestés il y a quelques semaines. Tout au plus aura-t-on retiré
l'autorisation du port du voile à l'école, placée là sans doute pour pouvoir
être retirée et mieux faire passer le reste. Il ne s'agit pas de rentrer dans
le détail de ce projet, nous aurons l'occasion d'y revenir plus tard sans
doute. Mais la lecture des 44 propositions laisse un goût amer : on n'y
retrouve évidemment l'idée force que si les immigrés ne s'intègrent pas c'est
parce qu'ils sont discriminés par les Français de souche, on y prône la
discrimination positive notamment pour l'entrée dans la fonction publique appelée
aimablement démocratisation des concours d'accès à la fonction publique (mesure
27), ce qui en clair signifie donner des bonifications en fonction de son
origine. Etc. J'ai dit que ce n'était pas le sujet.
Mais ce qui est intéressant, ou
devrait l'être, c'est ce qu'en pensent les Français. Un sondage publié le 7
février dans le Parisien dit que 67% des Français sont opposés à a
discrimination positive et que, "pire" encore, 77% d'entre eux
pensent que ce sont avant tout les personnes étrangères qui doivent se donner
les moyens de s'intégrer. Or l'esprit du
projet en discussion est tout à fait opposé à ce point de vue. Certes, me
direz-vous,, ce n'est qu'un sondage, mais peut-être, je dis ça comme ça, hein,
Peut-être serait-il bon de
vérifier cela de façon plus approfondie, et pourquoi pas en soumettant la
mouture finale du projet à l'approbation du peuple français? Juste pour voir si
le peuple est d'accord sur un sujet aussi important parce qu'il a une forte
influence sur son avenir en tant que peuple.
Eh bien non! Ça ne se fera pas! Même
pas en rêve! Car la conception que nos dirigeants ont de la démocratie est
asses particulière. Bon disons que l'idéologie fait mauvais ménage avec la
démocratie.
Voilà donc deux conceptions de la
démocratie dans notre Europe contemporaine. Une avec le peuple qui reste acteur
de son destin, et l'autre sans ce peuple qui a parfois (souvent?) des idées n'allant
pas dans le sens du progrès, le progrès faisant lui-même l'objet d'une
définition donc sortant du subjectif et étant obligatoirement de gauche.
Dès lors vous comprendrez que la
petite Suisse avec sa conception surannée et en tout cas pas progressiste de la
démocratie puisse énerver les grands démocrates qui nous gouvernent, qui nous
représentent, nous, nos intérêts et nos volontés. Elle pourrait donner de
mauvaises idées à des peuples qui en ont déjà tellement.
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