"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mardi 11 février 2014

La démocratie suisse énerve les grands démocrates occidentaux





Il parait que nous vivons en démocratie.  Vous savez ce truc qui signifie "gouvernement du peuple par lui-même", chose évidemment à peu près impossible à réaliser, tant ce serait un brouhaha, une cacophonie d'où rien ne sortirait sinon des coups échangés, et là la force ne manquerait pas de supplanter la raison, donc chose impossible à réaliser mais qu'on tente d'approcher parfois au mieux, parfois en laissant autant que possible à l'écart des décisions le concernant au premier chef un peuple jugé peu éclairé (restons poli) et dont il convient de faire le bien malgré lui. Nous reviendrons évidemment sur ces deux aspects avec quelques exemples actuels.

Les démocraties, du moins les régimes politiques reconnus unanimement comme tels, malgré leurs imperfections, car méfions nous de ceux qui utilisent de façon frauduleuse ce label, ont généralement opté pour des systèmes représentatifs, permettant aux citoyens de désigner quelques-uns parmi eux, en fait beaucoup, mais là aussi c'est variable selon les pays, pour porter leurs voix et en leurs nom gérer le quotidien et préparer l'avenir. En fait même si cela peut paraitre beau sur le papier, ça l'est parfois (souvent?) moins dans la réalité dans la mesure où le mandat impératif, le seul qui pourrait éventuellement permettre à chaque élu de faire valoir la volonté de ceux qu'il représente est généralement interdit.
Et du coup il peut se produire que les citoyens aient cette impression, mais en est-ce une?, que leurs représentants se sont transformés avec le temps en godillots, c'est-à-dire en petits toutous de leur parti politique faisant parfois preuve d'un zèle redoutable dans la servilité qu'ils déploient pour plaire mais bien davantage aux dirigeants de leur parti qu'à leurs électeurs, ce qui, reconnaissons-le, ne peut pas être nuisible dans une carrière. Ainsi parfois, dans certains pays, on assiste à un rejet non pas de la politique mais du personnel politique surtout quand il s'est professionnalisé. On pardonne moins facilement à un professionnel qu'à un amateur ou un bénévole, n'est-ce pas?
De fait on assiste quelquefois à certains phénomènes que certains analyseront come un rejet de la démocratie tandis que d'autres, et j'en suis, verront comme l'expression du constat de l'absence de démocratie ou tout du moins d'imperfections allant en s'amplifiant et laissant à penser aux citoyens qu'ils ne sont plus représentés loyalement. Vous voyez tout de suite le gouffre entre ces deux interprétations d'un même phénomène, la première version se situant essentiellement dans le camp de ceux qui nous dirigent ainsi que leurs sympathisants qui voient la démocratie menacée tandis qu'ils ne feignent même pas de s'attacher aux désirs du peuple quand ils ne s'assoient pas carrément dessus. Mais avec les meilleures intentions évidemment, car ce pauvre peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui.

Dans certains pays se réclamant de la démocratie, parfois par tradition multiséculaire d'ailleurs, on s'attache à pallier les défauts d'une démocratie représentative et à anticiper des dérives connues sous d'autres cieux, en permettant au peuple de s'exprimer. Parfois on l'y invite quand il s'agit de sujets sensibles et ayant des conséquences sur son avenir en tant que peuple, sur sa vision de la société, parfois on lui permet de prendre l'initiative d'imposer ses vues aux politiques alors même que la majorité de ceux-ci est opposée à ce qu'on leur propose. Mais en démocratie le peuple doit toujours avoir le dernier mot. Devrait. On peut même constater que des pays, je pense à un en particulier, où le referendum est inscrit dans la Constitution et fut utilisé par le passé pour des questions essentielles, ont pratiquement renoncé à l'utiliser préférant régler les affaires, quand c'est possible, entre "pros" de la politique ou quand ce n'est pas possible pour des raisons constitutionnelles de remettre ça à plus tard, quand les "pros" seront dans une configuration favorable. Il faut dire à la décharge de ces pays qu'on a pu constater que le peuple votait parfois mal quand on lui posait une question pourtant simple et dont la réponse était évidente, et qu'on devait ensuite corriger les effets du vote, soit par une ou plusieurs consultations assorties au préalable d'une pédagogie de l'apocalypse ( en cas d'un nouveau vote absurde), car il est bien sûr du devoir des politiques d'éclairer les électeurs de ce qui pourrait leur tomber sur la tête s'ils persistaient dans leurs erreurs, soit par un arrangement entre "pros" permettant de s'abstraire des sautes d'humeur du peuple. Enfin du coup on évite la procédure référendaire quand elle n'est pas obligatoire.
Néanmoins certains pays, en fait au moins un, continue à résister à cette tendance d'ignorer le peuple entre deux consultations électorales. Ce qui ne plait pas à ceux, du moins pour être plus précis à leurs dirigeants, qui ont cette perception de la démocratie qu'elle fonctionne d'autant mieux qu'elle s'abstrait du peuple.

Je crois que le moment est venu d'illustrer les propos par des exemples se référant à l'actualité. Prenons au hasard deux pays voisins, européens, considérés comme des démocraties : la Suisse et la France.
Dans le premier pays existe depuis des siècles une tradition, ou plutôt une valeur, voulant que le peuple tienne une place majeure dans le processus démocratique. Aucun vrai démocrate ne saurait lui en tenir rigueur. Il se produit donc régulièrement dans ce pays des consultations référendaires à l'initiative du peuple lui-même ou de groupements politiques permettant aux peuple d'exprimer sa volonté alors même que cette dernière est en contradiction avec la politique menée par ses représentants, avec des lois votés par eux, ou même des traités liant le pays à d'autres ensembles politiques. Il y a quelques années par exemple, un référendum s'intéressait à l'esthétique urbaniste en prohibant la construction de minarets considérés comme déparant dans un pays de culture chrétienne donc davantage attaché à la vision de clochers que d'édifices davantage à leur place dans d'autres pays où les chrétiens sont minoritaires, et parfois persécutés. Déjà ce vote devant obligatoirement se traduire par une loi selon les règles en vigueur dans la Confédération Helvétique avait suscité des remous dans les pays voisins bien davantage ouverts à la diversité et à ses manifestations. Notez que je parle de pays et non de peuples.
Et donc il y a quelque jours, ces mêmes Helvètes, du moins une majorité d'entre eux, même courte, ont décidé de reprendre en main le processus d'immigration de leur pays. Ils souhaitent une immigration maitrisée, avec la définition annuelle de quotas en correspondance avec  les besoins de la Suisse, et prenant en compte la préférence nationale. Par ailleurs ils désirent que l'attribution des titres de séjour prenne en compte la capacité d'intégration des individus demandeurs et leur capacité financière autonome de vivre dans le pays. Bref, rien que des choses parfaitement raisonnables qui devraient inspirer les politiques d'immigration de bien des pays. Quoi de plus raisonnable en effet que de veiller à ce que n'entrent les immigrés dont on a besoin (que pourrait-on faire des autres?), de penser à donner du travail avant tout à ses ressortissants avant des étrangers, et de vérifier que les immigrants ont les capacités de vivre dans le pays sans être une charge pour la collectivité et qu'en plus ils se comporteront dans le respect des normes en vigueur. Qui donc de raisonnable pourrait être contre cela?

Eh bien beaucoup de monde à priori dont certains membres parmi les plus éminents de notre gouvernement pour lesquels la maitrise de l'immigration doit correspondre à quelques milliers d'expulsion d'illégaux et la régularisation des autres, et la préférence nationale à un gros mot. Quant à la capacité d'intégration que peuvent y comprendre des gens qui ont décidé que c'était aux Français de souche de s'adapter à leurs hôtes et non l'inverse. S'agissant de l'autonomie financière des immigrés, il reste assez de Français qui travaillent pour que leurs impôts permettent de ne pas ce soucier de ce genre de détail. Mais ils ne sont pas les seuls puisque les libéraux de Bruxelles et, au-delà européens, les rejoignent dans leurs critiques. Leur vision d'un monde où tout pourrait circuler librement, marchandises, capitaux et hommes, s'en trouvant quelque peu contrariée. Notons au passage que cette dernière raison n'est pas étrangère à nos amis socialistes, euh…, sociaux-démocrates, à moins que ce ne soit sociaux-libéraux. Attendons une prochaine conférence de presse du président et un autre revirement pour trouver la bonne appellation. Enfin quoi qu'il en soit, la démocratie dès lors qu'elle redonne la parole au peuple n'a pas l'heur de plaire à nos grands démocrates dès lors que ce qui sort des urnes ne leur plait pas.

Et c'est dans cette perspective qu'on peut considérer ce qui se passe en France s'agissant de ce qu'on appelle les mesures sociétales imposées par le pouvoir en place à un peuple dont il serait difficile d'affirmer qu'une majorité est en accord avec ces mesures. Seul un référendum pourrait nous le dire!
Mais pour rester sur un thème proche de celui évoqué pour la Suisse, penchons-nous sur la réforme de la politique d'intégration telle qu'envisagée par notre gouvernement qui travaille dessus à partir d'un projet de feuille de route dont les propositions sont éloquentes, enfin effarantes, en tout cas dans le même esprit que les rapports si contestés il y a quelques semaines. Tout au plus aura-t-on retiré l'autorisation du port du voile à l'école, placée là sans doute pour pouvoir être retirée et mieux faire passer le reste. Il ne s'agit pas de rentrer dans le détail de ce projet, nous aurons l'occasion d'y revenir plus tard sans doute. Mais la lecture des 44 propositions laisse un goût amer : on n'y retrouve évidemment l'idée force que si les immigrés ne s'intègrent pas c'est parce qu'ils sont discriminés par les Français de souche, on y prône la discrimination positive notamment pour l'entrée dans la fonction publique appelée aimablement démocratisation des concours d'accès à la fonction publique (mesure 27), ce qui en clair signifie donner des bonifications en fonction de son origine. Etc. J'ai dit que ce n'était pas le sujet.
Mais ce qui est intéressant, ou devrait l'être, c'est ce qu'en pensent les Français. Un sondage publié le 7 février dans le Parisien dit que 67% des Français sont opposés à a discrimination positive et que, "pire" encore, 77% d'entre eux pensent que ce sont avant tout les personnes étrangères qui doivent se donner les moyens de s'intégrer.  Or l'esprit du projet en discussion est tout à fait opposé à ce point de vue. Certes, me direz-vous,, ce n'est qu'un sondage, mais peut-être, je dis ça comme ça, hein,
Peut-être serait-il bon de vérifier cela de façon plus approfondie, et pourquoi pas en soumettant la mouture finale du projet à l'approbation du peuple français? Juste pour voir si le peuple est d'accord sur un sujet aussi important parce qu'il a une forte influence sur son avenir en tant que peuple.
Eh bien non! Ça ne se fera pas! Même pas en rêve! Car la conception que nos dirigeants ont de la démocratie est asses particulière. Bon disons que l'idéologie fait mauvais ménage avec la démocratie.

Voilà donc deux conceptions de la démocratie dans notre Europe contemporaine. Une avec le peuple qui reste acteur de son destin, et l'autre sans ce peuple qui a parfois (souvent?) des idées n'allant pas dans le sens du progrès, le progrès faisant lui-même l'objet d'une définition donc sortant du subjectif et étant obligatoirement de gauche.
Dès lors vous comprendrez que la petite Suisse avec sa conception surannée et en tout cas pas progressiste de la démocratie puisse énerver les grands démocrates qui nous gouvernent, qui nous représentent, nous, nos intérêts et nos volontés. Elle pourrait donner de mauvaises idées à des peuples qui en ont déjà tellement.

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