Le général Aussaresses est mort il y a peu. On se
souvient de cet homme parvenu à la notoriété publique à plus de 80 ans. Lui ne
s'indignait pas mais ramenait à la surface un épisode de notre histoire pas
très lointaine que certains voudraient bien oublier tandis que d'autres s'en
servent avec délectation pour salir la France. En faisant ça, en témoignant de
son expérience, il ne pouvait donc que s'attirer le rejet des premiers et la
haine des seconds.
Oui Aussaresses fut celui qui mit
en œuvre la torture et les exécutions sommaires pendant la bataille d'Alger. Il
était à l'époque chef de bataillon, commandant, et avait été appelé par le
général Massu, commandant la 10ème division parachutiste à l'époque.
Son expérience et ses résultats dans le renseignement l'avaient en effet imposé
comme responsable du domaine à l'état-major de Massu. Et à ce titre il fut un
des maillons essentiels qui permit de remporter cette fameuse bataille d'Alger
qui n'en était guère une au sens commun du terme puisqu'elle consistait du coté
du FLN à pratiquer un terrorisme aveugle visant essentiellement la population
civile.
Deux fillette victimes de l'attentat du milk bar |
Non la bataille d'Alger n'était
pas une bataille comme les autres. Elle se manifesta en France par l'abandon
par le pouvoir politique de ses responsabilités qu'il délégua entièrement à
l'armée. Elle fut d'un point de vue militaire un cas d'école. L'armée
américaine notamment s'y intéressa beaucoup et
Aussaresses fut détaché en tant qu'officier de liaison à Fort Bragg, le
sanctuaire des forces spéciales. La bataille d'Alger, c'est la guerre
subversive, asymétrique, où l'ennemi ne porte pas d'uniforme, ne respecte pas
les lois de la guerre, prend pour cibles civils, femmes, enfants, commet des
actions qui le sortent de l'humanité. C'était ça le FLN pendant la bataille
d'Alger, et il fallait éradiquer ce mal dans une course contre la montre. Or
quand on confie aux militaires les pouvoirs politiques, de justice, de police,
et enfin militaires, en leur assignant la mission d'en terminer au plus vite,
en prenant soin de leur faire comprendre qu'ils ne seront ni contrôlés, ni
jugés sur leurs actes car seul le résultat compte, il faut s'attendre, compte
tenu des circonstances, compte tenu des caractéristiques de cette bataille que
ça ne se passera pas d'une manière disons classique.
D'un point de vue technique, il
faut aller vite, pour prévenir les attentats à la bombe, et il faut
reconstituer les réseaux. Le renseignement est donc au cœur du dispositif. Or
le renseignement, à l'époque et compte tenu des circonstances ne peut guère
être que d'origine humaine. La terreur appliquée par le FLN à la population
qu'elle prétend libérer du joug français limite les candidats à la délation. On
peut donc infiltrer ou … ou? Il y a bien eu des opérations d'infiltration, mais
essentiellement dans une seconde phase, notamment par le biais d'agents du FLN
retournés… dans la première phase. La seconde phase s'est d'ailleurs effectuée
sans Aussaresses et sans le colonel Trinquier autre acteur clé de cette
première phase, ce qui semble indiquer peut-être que la torture et autres
méthodes coercitives n'ont été envisagées
que dans une période transitoire parce qu'elles semblaient nécessaires.
C'est d'ailleurs le propos d'Aussaresses qui déclarait que c'était une
nécessité à ce moment-là et que de ce fait il ne regrettait rien.
J'ai évidemment lu son livre qui
est très descriptif et ne laisse aucune place à d'autres considérations que les
faits. Un livre documentaire, qu'on peut trouver froid car ni les sentiments,
ni le regret, ni la satisfaction n'y trouvent place. Il estime avoir fait ce
qu'il devait faire compte tenu des circonstances.
Alors maintenant comment faut-il
juger cet homme? La difficulté réside déjà dans ce qu'on lui reproche.
Si on ne devait s'attacher qu'aux
résultats pour juger de l'opportunité de la méthode, c'est-à-dire être purement
rationnel, on pourrait dire que ce qu'il a fait a porté ses fruits. La bataille
d'Alger a été gagnée. Le FLN a été éradiqué d'Alger et jusqu'à la fin de la
guerre il n'y a plus jamais eu d'attentats dans cette ville. Des dizaines de
gens lui doivent peut-être leur vie ou leur existence sans le savoir.
Le colonel Godard présente à la presse 33 bombes récupérées lors d'une fouille dans la Casbah d'Alger. |
Si on se place sur un plan
éthique la bonne question à se poser est : "peut-on se rabaisser au niveau
de son adversaire pour mieux le combattre?" C'est la question complète
qu'il faut se poser évidemment même si ceux qui ont pris l'habitude de critiquer sans réserve l'armée française
pendant cette période bénissent souvent les salauds qui se trouvaient en face.
Cette question pourrait être
éludée facilement. On pourrait juste dire qu'Aussaresses, vu son grade à
l'époque n'était qu'un exécutant, que les vrais responsables se trouvaient plus
haut dans la hiérarchie militaire et surtout peut-être politique. On y reviendra
plus loin pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé après son témoignage.
Mais en attendant, on ne peut se contenter de cela. Un homme reste un homme,
même inséré dans une hiérarchie et possède le droit de dire non. Or il n'a pas
dit non. Certains l'ont fait et ont été sanctionnés… parle pouvoir politique.
Pour ma part je me garderai bien
de le juger. Parce que je suis bien incapable de dire ce que j'aurais fait dans
les mêmes circonstances. Je ne sais pas si à la vue de ces cadavres
d'innocents, de ces corps d'enfants mutilés par les bombes, je n'aurais pas mis
un voile sur ma conscience, sur mes valeurs pour faire cesser ça. Mais je ne
doute pas que certains connaissent la réponse. D'ailleurs certains commentaires
lus ailleurs sont clairs : c'est un criminel et rien ne justifie la torture.
J'envie les gens qui ont des certitudes. Moi, je me suis posé la question
pendant longtemps et je bénis le ciel de ne pas m'avoir donné l'occasion de
trouver la réponse.
Maintenant, et c'est peut-être le
cœur du problème, ce n'est peut-être pas tant d'avoir torturé et pratiqué des exécutions
qui fit reproché à Aussaresses, que de l'avoir assumé. Je n'ose pas dire révélé
car évidemment l'usage de la torture et la pratique des exécutions sommaires,
appelées communément corvée de bois, étaient bien connues. Mais on n'en parlait
pas ou plus. La loi d'amnistie y avait contribué.
Et voilà qu'un vieil homme sort
du silence, se dépare de la discrétion qui fut la sienne pendant toute sa vie
et sa carrière, et jette le pavé dans la marre. Et ça on ne lui a pas pardonné.
Certes les indignés de l'époque trouvent enfin un visage, un nom à mettre sur
la torture. Ceux qui l'ont pratiquée généralement le nient. Mais les autres…
Les autres, ce sont le président
de la République en personne, et le commandement militaire de l'époque du la
publication du livre. Parmi les chefs militaires de l'époque, aucun n'a fait la
guerre d'Algérie, et à fortiori été confronté à ce type de situation où il faut
choisir. Trop jeunes. Bien sûr, ni le président, ni les militaires n'ignorent
rien de ce qui s'est passé. Mais ce vieux général en deuxième section est
insupportable, pas à cause de ce qu'il a fait, mais parce qu'il le dit et même
sans se repentir. Il faut donc qu'il paie. Et pour cela on agit comme si on
découvrait les faits, comme si la vérité apparaissait brutalement et avait en
plus cet avantage d'avoir un visage.
Le général Aussaresses est donc,
sur proposition des plus hautes autorités militaires de l'époque, mis à la
retraite d'office, ce qui est davantage symbolique qu'autre chose, mais le
symbole est fort, c'est un symbole d'exclusion. Et sur l'initiative du
président de la République, Jacques Chirac, il se voit exclu de l'ordre de la
légion d'honneur. C'est sans doute la sanction la plus dure, car elle balaie
d'un revers de main l'ensemble d'une carrière, dont une bonne partie se passe
en temps de conflit. Elle balaie de la main les actions effectuées en
territoire occupée par le lieutenant Aussaresses et qui lui vaudront la croix
de chevalier de la légion d'honneur, elle balaie son action dans la création du
11ème choc, l'ancêtre du service action de la DGSE. Et ceci pour moi
est une honte. Car en toute logique seuls les faits auraient pu justifier ça,
il est pourtant monté en grade dans l'armée et dans l'ordre de la légion
d'honneur postérieurement aux faits, connus, et non leur rappel. On n'aura pas
l'hypocrisie de parler de révélation.
Du fait de son témoignage, il a
été condamné avec ses éditeurs pour apologie de la torture. Les historiens
n'ont plus qu'à se méfier. Les éditeurs ont fait condamner la France pour ce
jugement par le CEDH. Aussaresses pour sa part n'avait pas soumis de recours
devant cette juridiction.
Il a tété abandonné par tous,
même sa famille. Il a servi de parfait bouc-émissaire.
Seule aujourd'hui l'union
nationale des parachutistes ose encore célébrer sa mémoire.
Son histoire reste à méditer.
Bien sûr à cause de ce qu'il a fait, mais surtout à cause de la manière de
considérer la vérité quand elle est exposée publiquement. Notre société préfère
visiblement le mensonge ou le non-dit à la vérité. Et malheur à celui qui
l'exprime, surtout quand il ne peut être démenti.
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