Je veux parler évidemment de nos
militaires en opération de par le monde.
Il y a actuellement selon le site
du ministère de la Défense 8500 militaires français en opération (voir
la carte). Parmi les opérations en cours on peut distinguer celles qui
relèvent d'un conflit armé et celles qui se situent dans le cadre d'une
présence, parfois dans le cadre des Nations-Unies. Un autre type de classification
pourrait être opéré en distinguant les opérations à risques et les opérations
moins dangereuses. On pourrait aussi distinguer les opérations dont on parle et
celles dont on ne parle pas ou plus.
Mais il n s'agira pas ici de
faire le point sur ces différentes opérations, même s'il sera inévitable d'en
dégager certaines caractéristiques. Il s'agira de tenter de comprendre,
peut-être, pourquoi nos soldats risquent leurs vies, en 2013.
Evidemment quelques crétins
diront qu'ils sont payés pour cela. Payés pour mourir. Bien peu en tout cas. Et
comme si on pouvait être payé pour mourir. Laissons ces abrutis à leurs délires
antimilitaristes.
Il est clair qu'un soldat,
d'autant plus que désormais nous nous situons dans le cadre d'une armée
professionnelle, donc ne faisant appel qu'à des volontaires, doit (ou devrait)
prendre conscience que son engagement à servir sous les armes peut le conduire à
une issue fatale. Les deux jeunes soldats morts récemment au premier jour de
l'opération se déroulant en Centrafrique y avaient sans doute pensé. D'autant
plus que ce sont principalement des militaires du même régiment qui sont tombés
lors de l'embuscade d'Uzbin en 2008. Et pourquoi sont-ils morts, ces deux
jeunes parachutistes, et aussi ceux tombés il y a plus de 5 ans déjà? Pourquoi
sont morts aussi 7 militaires au Mali depuis le début de l'opération Serval et
les 89 tombés en Afghanistan? Et les 116 morts en ex-Yougoslavie? Et les 158 au Liban? (les deux dernières
opérations se passent sous casque bleu essentiellement). Sans oublier le Tchad
(158 morts également), et diverses autres opérations, la guerre du Golfe par
exemple, peu meurtrières dans nos rangs.
Parmi tous ces morts moins de la
moitié a eu droit à la mention "mort pour la France". La mention est
restrictive en effet, d'autant plus restrictive que la situation de temps de
guerre n'est pas toujours avérée, officiellement du moins, ce qui permet de
considérer le militaire mort accidentellement de la même manière que s'il était
mort en permission. Tant pis pour les veuves et les orphelins. On leur
épargnera quand même la mention "mort par imprudence" avec, pourquoi
pas, imputation du coût des dégâts aux héritiers. Bon, eux sont donc morts pour
rien. Et les autres?
Le président de la République de
passage à Bangui s'est incliné sur les dépouilles des deux soldats tués lors
d'un accrochage. Il a déclaré que "Nicolas
Vokaer et Antoine Le Quinio sont tombés pour la France, pour une noble et belle
mission: sauver des vies" et que
"La France, ici en Centrafrique,
ne recherche aucun intérêt pour elle-même. (...) La France vient défendre la
dignité humaine". Ainsi les militaires français actuellement en
Centrafrique seraient donc susceptible de mourir ni pour la France, ni pour ses
intérêts, mais pour la dignité humaine et pour sauver d'autres vies. Sans
vouloir commenter plus avant ces déclarations, le président de la République
donne sa définition des raisons actuelles
qui peuvent amener un militaire à sacrifier sa vie. Mais au Mali les raisons
étaient différentes. C'était pour stopper les terroristes islamistes (la la
demande du gouvernement malien et après accord de l'ONU). En Afghanistan c'était
dans la cadre de la lutte contr le terrorisme et pour instaurer la démocratie. Où
se situent la France et ses intérêts là-dedans? Ne serait-il plus question d'en
parler? Les intérêts du pays sont-ils devenus un sujet tabou? L'armée est-elle
devenue l'instrument des bonnes œuvres? Soyons sérieux.
Il fut un temps où c'était facile
pour le militaire. C'était quand la menace pesait sur le territoire national et
l'empire colonial. En choisissant de servir sous l'uniforme, on connaissait la
raison du possible sacrifice de sa vie. Disons que cette période fut longue,
même très longue et qu'elle s'acheva avec la fin de la guerre froide. Certes la
guerre froide, c'était un peu le "désert des Tartares" et les
opérations extérieures en Afrique, et au Liban, essentiellement, permettaient
de s'aguerrir et aussi d'affirmer le rang international de la France. Celui-ci
était adossé, au moins pour partie, à une armée digne de ce nom avec des
effectifs conséquents, un budget correct et des perspectives quant à
l'évolution de son matériel, les trois éléments étant évidemment liés. Quand nous intervenions au Tchad, en
Centrafrique déjà, à Kolwezi, nous savions quels étaient les enjeux. Les intérêts
de la France y apparaissaient clairement. Et la mention "mort pour la France"
avait tout son sens quand elle accompagnait le patronyme d'un soldat mort en
opération. C'était aussi l'époque de la conscription qui s'accommodait fort
bien de ce principe de base que le militaire était là pour se sacrifier pour
son pays. Elle n'a pas résisté à la disparition de la menace extérieure. En
refusant d'engager le contingent dans les opérations extérieures, les seules
qui pouvaient encore exister, la conscription n'avait plus sa raison d'être.
Comment justifier encore qu'on mourrait pour la France dès lors que la mort
survenait loin, à l'étranger, tandis que le territoire national n'était pas
menacé. Celui qui signa la mort de la conscription ne fut pas Chirac, mais
Mitterrand en refusant d'engager le contingent lors de la guerre du Golfe (il mettait
ainsi l'armée de terre notamment dans une situation des plus délicates dans le
cadre de cette opération). Sa décision, mais pouvait-il en prendre une autre, impliquait
que seule une professionnalisation de
l'outil militaire était en mesure de faire face aux interventions qui attendaient
l'armée française.
Tandis que celles-ci se
multipliaient, on récoltait dans le même temps les dividendes de la paix (dixit
Fabius) en diminuant sans cesse les budgets, en faisant fondre les effectifs,
en privant les militaires du renouvellement nécessaire de leurs matériels. Et
ça continue, les militaires assumant actuellement la presque totalité de la
réduction des effectifs des agents de l'Etat. Ou de leur stabilité.
Néanmoins ils sont toujours
autant sollicités pour stopper les islamistes, mais ils ont failli l'être pour
les aider en Syrie, ou défendre la dignité humaine. Heureusement pas partout
car ils n'y suffiraient pas, loin de là. De fait on pourrait se demander légitiment
"pourquoi nous?". Les autres pays occidentaux, européens notamment,
ne sont-ils pas concernés par la dignité humaine et l'enrayement de la
progression de l'islamisme en Afrique. Certes cette dernière mission pourra
nous rappeler avec une possible nostalgie l'époque coloniale qui constitua de
fait un endiguement de la poussée de l'islam en Afrique. Mais nous ne saurions
nous référer à cela, horreur!, pour justifier notre action. Pas plus également
que nos responsabilités en tant qu'anciens colonisateurs. Ça fait quand même un
demi-siècle qu'on a tendu les clés. Et le gouvernement actuel pourfendeur de la
Françafrique qui caractérisait les gouvernements de droite évidemment ne
pourrait tomber dans le même travers qu'eux.
Alors pourquoi meurent-ils? Plus
vraiment pour la France, plus pour ses intérêts selon le président. Quand même
pas pour ceux des Chinois, pour pacifier des zones où ils pourront mener leurs
affaires en toute quiétude! L'opacité de notre diplomatie ne permet guère de
donner une réponse à ceux qui en sont le bras armé. Pourtant je pense qu'ils en
auraient besoin. Ainsi qu'autre chose que de beaux discours qui ne sauraient
remplacer les moyens manquants.
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