Jean-François Copé a récemment
soulevé une nouvelle fois un débat ancien puisqu'il date de plus de deux
siècles sur l'acquisition de la nationalité française de manière automatique ou
presque pour les enfants d'étrangers nés en France. Il ne s'agit pas ici de
statuer sur les intentions de l'initiateur de ce débat qui en tant que tel
feront toujours d'objet de polémiques, ces dernières devant être le motif suffisant
aux yeux de certains pour enterrer tout idée de discussion, un peu comme ce fut
le cas quand le précédent gouvernement proposa de réfléchir sur l'identité
française. C'est là en effet une maladie bien française de préférer débattre
sur le débat pour éviter que ce dernier ait lieu. Et on comprend pourquoi.
Il ne s'agit pas non plus de
dresser un historique détaillé de l'évolution de la part respective des droits
du sol et du sang. Les grandes tendances seules sont intéressantes et les
motifs qui les sous-tendent. Car c'est évidemment de ce côté-là qu'il convient
de réfléchir pour savoir quelle politique de la nationalité on veut mener.
Donc je disais plus haut que le
débat est ancien.
Avant la Révolution, et inscrit
dans le marbre de la loi depuis 1515, c'est le droit du sol qui prévalait même
si pendant l'ancien régime il ne s'agit pas à proprement parler de nationalité
mais de principe de sujétion au souverain. La Révolution ne remet pas en cause le
droit du sol précisant que "sont Français les fils d'étrangers nés en
France et qui vivent dans le royaume". Pendant ces deux périodes c'est
donc l'attachement à la terre qui prévaut, au point que ceux qui quittent la France
pour s'établir à l'étranger sont supposés perdre leur qualité de Français,
qualité étant le terme prévalant pendant la période révolutionnaire plutôt que
nationalité. Evidemment les émigrés, donc les ennemis de la Révolution sont
visés en premier lieu.
Mais avec la Révolution, du moins
pendant cette période de quelques années qui singularise la France en Europe
apparait avec force le concept de nation. La nation est par nature excluante
puisque distinguant ceux qui en font partie des autres. Et donc le code civil
prend cela en compte en changeant radicalement de philosophie quant à la
nationalité, cette fois le terme est bien présent, en la corrélant non plus à
l'attachement au sol, mais à l'appartenance à la communauté nationale. Et c'est
la mise en place du droit du sang, contre d'ailleurs l'avis de Bonaparte qui
avait une vision plus large, peut-être parce qu'à quelques mois près il ne
serait pas né sujet du roi de France, qui considérait qu'une éducation
française suffisait à faire d'un étranger un Français. Si je mentionne ce
détail, cette conception propre à Bonaparte, ce n'est pas tout à fait innocent,
car elle reviendra en force plus tard et pourrait encore servir de base de
réflexion aujourd'hui. Nous y reviendrons.
Donc en 1804 est instauré le
droit du sang qui fait de la nationalité française un leg au même titre que le
nom, même s'il reste possible pour les enfants d'étrangers nés en France de
demander la nationalité française un an après leur majorité, droit d'ailleurs
peu revendiqué car il suppose alors l'accomplissement du service militaire.
C'est d'ailleurs en grande partie
ce dernier point qui fera revenir la droit du sol dans l'acquisition de la
nationalité par les enfants d'étrangers nés sur le sol français. D'une part
parce que les Français trouvent injustes que ces gens échappent aux dures
obligations militaires auxquelles eux sont contraints et d'autre part parce que
la France a besoin de soldats, notamment après la défaite de 1870, dans
l'optique d'une guerre de revanche. Ainsi donc un premier pas est franchi en 1851 avec l'adoption du double droit du sol accordant systématiquement
la nationalité française aux enfants d'étrangers nés en France et dont l'un des
parents était lui-même né dans ce pays. Cette disposition est d'ailleurs
toujours en vigueur. Et en 1889, réapparait le droit du sol simple faisant de
tout enfant d'étranger né en France un Français à sa majorité, donc selon une
formule qui servira de référence à quelques nuances près aux dispositions
actuelles, même si la période vichyste a constitué une parenthèse constituée
par un retour en arrière se manifestant en particulier par des retraits de
nationalité. On pourrait aussi s'étendre sur la période d'après-guerre et le
traitement des personnes vivant dans nos colonies, mais même si le sujet est
intéressant, ce n'est pas celui du jour.
Revenons à 1889. Les motifs du
retour au droit du sol sont une démographie défaillante, un besoin en soldats
et un souci d'égalité devant les obligations militaires. Mais le principe de
base qui sous-tend l'accès à la nationalité est que les individus bénéficiant
de ce droit sont assimilés. On retrouve donc là l'esprit de ce que souhaitait
Bonaparte et qu'il n'a pas obtenu.
Faisons un bon en avant dans
l'histoire pour rejoindre notre époque.
L'assimilation est un principe
qui a été rejeté pour faire d'abord place à l'intégration dont on ne sait plus
guère ce qu'elle signifie ou signifiait. Et c'est pour cette raison sans doute,
accordons au moins le fait qu'il y a moins d'hypocrisie dans ce terme, qu'on
est désormais passé à l'inclusion. L'inclusion, ce n'est rien d'autre que la reconnaissance
du communautarisme. On ne veut pas le dire mais c'est quand même bien ça.
L'inclusion c'est autant de kystes plus ou moins volumineux dans le tissu
national qu'il y a de groupes de personnes ayant les mêmes valeurs culturelles
et/ou religieuses, ces valeurs étant évidemment étrangères aux nôtres. Les
relativistes nous ayant appris que toutes les valeurs se valent, et les
xénophiles, islamophiles et autres philes qu'il serait criminel d'exiger une
acculturation des personnes désirant s'établir sur notre sol et même en
acquérir la nationalité, et ceci étant devenu une valeur supérieure à toutes
les autres et tenant même lieu de prescription, il faudrait donc se faire une
raison.
Dans ce cadre, il est évidemment
malhonnête d'invoquer le droit du sol comme une tradition républicaine, bien
qu'elle fut surtout monarchique, qui deviendrait donc inviolable, qu'il serait
interdit de modifier au même titre que la prime de salissure perçue par les conducteurs
de motrices (mais peut-être devrais-je dire locomotive?). C'est malhonnête
parce que les fondements, et même le contrat ont été modifiés. Car le droit du
sol dans son esprit, lors de sa réintroduction en 1889, ne revenait pas au
principe du droit du sol monarchique et révolutionnaire qui était corrélé à la
terre, à l'espace géographique que constituait la France, mais à la communauté
nationale, comme le droit du sang . En ce sens il en est relativement proche
dans l'esprit, bien plus proche qu'il ne l'est du droit du sol qui existe
actuellement. De fait le droit du sol actuel est une simple transposition de
celui de l'ancien régime.
Quant aux motifs d'intérêt
national, mise à part la démographie, mais est-ce vraiment un problème (une
trop forte vitalité démographique de certaines catégories pourrait constituer à
l'inverse un vrai problème dans le futur), j'ai du mal à en trouver. Bien sûr
comme je ne suis pas baba devant le fumeux concept de diversité s'accompagnant
de celui du vivre-ensemble, ce dernier signifiant en filigrane que ce n'est pas
gagné, c'est normal.
Cela dit je ne suis pas fondamentalement
contre le droit du sol. Loin de là. L'esprit de celui qui présidait en 1889 qui
est finalement celui de Bonaparte me convient même très bien. Revenons à cet
esprit, et tout ira bien. Il n'y a ni race, ni ethnie françaises qui
mériteraient réification, et donc un attachement aveugle au droit du sang. Mais
peut-être un esprit, une culture et des valeurs. Et si donc on refuse de
revenir au principe de l'assimilation, alors adaptons ce droit en sélectionnant
ceux qui parmi les enfants d'étrangers peuvent devenir Français, le méritent.
Comme pour les naturalisations. Enfin comme on faisait encore il y a peu en
vérifiant sérieusement le niveau de connaissance de la langue française et la
connaissance, même basique, de notre patrimoine culturelle et de nos valeurs.
Et que ceux qui ne satisfont pas à ces quelques critères basiques restent
étrangers, des inclus.
La France a été constituée par un
agrégat de régions, avec leurs langues et coutumes. Puis elle est devenue peu à
peu une nation, le point d'orgue ayant été sans doute la charnière constituée
par les années précédant et succédant l'entrée dans le 20ème siècle.
La France post-nationale sera constituée de communautés avec leurs coutumes,
leurs langues, leurs croyances. Les conditions d'accès à la nationalité en même
temps qu'elles sont l'illustration de cette sinistre évolution, de ce retour en
arrière mais en pire, y participent activement.