"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mardi 3 septembre 2013

Diplomatie de Gribouille



Les quelques jours qui nous séparent d'un vote du Congrès américain sur une intervention en Syrie montrent une France et son exécutif dans une situation particulièrement ridicule. Ridicule parce qu'après des déclarations martiales, on allait "punir" la Syrie, on se retrouve dans l'incapacité de le faire tout en affirmant vouloir le faire, mais si les Américains y vont aussi, et en première ligne évidemment. Rarement on aura vu de supplétif aussi zélé se faire ridiculiser par celui auquel on désire plaire. Il ne doit plus guère y avoir qu'un seul chef d'Etat dans le monde encore victime de l'Obamamania, et pas de bol c'est le nôtre.
Mais tout ça tant que ça ne touche que notre glorieux président n'a qu'une importance relative, car lui au moins sait que le ridicule ne tue pas. Il en est même la preuve. Hélas, il n'est pas seul en jeu.
Tout cela révèle tout de même une diplomatie mal en point dont les conséquences de sa nullité risquent d'être graves.

S'agissant des motifs d'intervention de notre part, ma précédente note a tenté de les déceler, un peu en vain. Car évidemment personne de sensé ne peut croire un instant à l'argument moral ou humanitaire. D'autant plus qu'on est toujours quand même un peu dans le bleu à ce sujet. Et la déclassification de documents "secret défense" pour mieux nous persuader, non pas du crime, mais de l'identité du criminel, ne peuvent guère changer les choses puisque il semble que ces documents indiquent juste ce qu'on savait, à savoir qu'Assad possédait de l'armement chimique en grande quantité, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Ce qui n'est pas interdit, seul son usage l'étant.
Cette diplomatie des droits de l'Homme est évidemment un rideau de fumée mais dont l'opacité se dissipe avec le temps. On entend les critiques de notre président sur le respect des droits de l'Homme en Russie et l'expression de ses craintes sur le sort qui est réservé aux homosexuels au motif qu'une loi interdit la propagande homosexuelle auprès des mineurs, en gros interdit un quelconque mouvement LBGT d'aller porter la bonne parole dans les écoles éventuellement accompagné d'une ministre chargée de promouvoir le mariage pour tous. J'imagine que ce type de loi ne serait pas forcément mal vu en France par une part importante de la population, peut-être la majorité. En tout cas en Russie, c'est le cas, ce qui aux yeux des bienpensants en fait un pays dangereux pour la démocratie. Le monde à l'envers. Mais passons ce n'est pas le sujet. Donc le même qui  critique un pays pour ces raisons s'en va baiser la babouche de notre grand ami l'émir du Qatar (la veille de son abdication, ce qui montre le professionnalisme du quai d'Orsay) dont on connait le grand attachement aux droits de l'Homme et surtout de la femme ainsi que la grande tolérance vis-à-vis des homosexuels.
Bref tout ça c'est du pipeau.

Revenons à l'action diplomatique de ces derniers jours.
Nous avons un président qui se met dans le sillage d'Obama, et commence à tenir des discours martiaux. Il est accompagné dans sa démarche par le premier ministre britannique. Les trois vont donner une leçon à Assad. Une leçon de quoi, ce n'est pas très clair. Car il n'est pas question de le renverser, même si on soutient les rebelles, même si on entraine ces derniers, même si on leur fournit des armes. Tout ça est logique. Clair comme du jus de boudin.
Le premier ministre anglais consulte comme il y est tenu son parlement qui l'envoie sur les roses. Pas de problème pour Hollande puisque Obama c'est quand même lui le boss. Pas de chance, celui-ci déclare qu'il a décidé d'agir mais se pliera à une décision du Congrès. Ça c'était pas vraiment prévu surtout que ce n'est pas obligatoire. Comme pour nous. Et voilà donc notre va-t-en guerre en attente d'un vote favorable du Congrès américain pour nous lancer dans une nouvelle aventure guerrière.
Mais en même temps il n'envisage pas de consulter le Parlement de son propre pays. Assez curieusement c'est le Congrès américain qui décidera de notre entrée dans un conflit tandis que le nôtre en sera réduit à discutailler sans que son avis soit entendu. Mais les choses peuvent évoluer.
Alors évidemment dans un premier temps je me suis révolté, car même si le vote du Parlement n'est pas requis, il apparait quand même assez incroyable que c'est le vote d'un Parlement étranger qui va décider de notre intervention. Mais à y bien réfléchir, cette position critiquable est tout à fait compréhensible. Car quelle question poser au Parlement avant le 9 septembre, date à laquelle le Congrès américain doit se prononcer. "Approuvez-vous une intervention française en Syrie?" alors qu'on n'est pas sûr d'y aller et qu'on n'ira pas si les Américains n'y vont pas. Ça fait un peu couillon. Ou alors la seule question qui pourrait avoir un sens : "dès lors que et si le Congrès américain autorise des frappes en Syrie, êtes-vous favorables à ce que nous y prenions part?". Là, même si la question est tout à fait en phase avec la réalité, elle marque une subordination claire de la politique étrangère française de la France sur la Syrie à celle des Etats-Unis, et place le parlement français en second rideau, un peu comme le seraient nos forces en cas d'intervention. Et là ce n’est pas vraiment glorieux. A Colombey-les-Deux-Eglises, on risque d'avoir un séisme de magnitude 8.
Voilà donc dans quelle situation lamentable s'est fourré Hollande menant la France avec lui dans cette tourmente.

Maintenant sans entrer dans ces misérables considérations, le vote parait quand même assez indispensable. Pas du fait de l'intervention. Mais du fait des conditions et de l'environnement international. La France, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, pour la première fois, si on excepte la guerre du Kosovo dont les conditions juridiques sont floues (mais à l'époque la Russie était trop faible pour s'affirmer diplomatiquement), va passer outre les règles internationales, donc s'affranchir de l'aval de l'ONU pour entrer en conflit. Ce n'est pas anodin, j'y reviendrai, et ça mérite sans doute que au moins le Parlement ait son mot à dire sur le sujet. Il serait quand même assez grave que dans notre démocratie un seul homme, pas très bien élu en outre, à la popularité défaillante et possédant le charisme d'une tortue d'eau douce, puisse nous engager dans cette voie aux graves conséquences comme nous allons le voir. Ça mérite davantage qu'une discussion un mercredi en fin de soirée. C'est cela le vrai fond du problème, bien davantage que l'intervention. Celle-ci aura des conséquences si elle a lieu, mais notre intervention dans de telles conditions juridiques en aura d'autres. Et il ne faudrait pas se tromper de sujet. Ou du moins ne pas comprendre qu'il y en a deux, bien distincts.


Oublions donc l'intervention, ses causes et ses prétextes.
En choisissant de s'affranchir d'un feu vert de l'ONU, allant contre la règle du veto au Conseil de Sécurité, la France, du moins Hollande, car il est triste de confondre les deux, commet deux erreur graves.
La première si on eut l'exprimer ainsi est de scier la branche sur laquelle on est assis. La France, depuis la création de l'ONU, est membre permanent du Conseil de Sécurité . Ce privilège, car c'en est un, est certes discutable étant donné la situation de la France lors du second conflit mondial, mais nous avons la chance de le posséder. Donc au Conseil de Sécurité, la France joue, en théorie à jeu égal avec des puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et la Russie en disposant du droit de veto. Il faut reconnaitre que c'est un avantage très particulier sur le plan diplomatique de disposer d'un droit qui n'est plus ni en adéquation avec la puissance militaire, ni la puissance économique du pays. A tel point que ce droit a pu être discuté. Or, en passant outre les veto certains de la Chine et de la Russie, la France remet elle-même en cause l'avantage discutable dont elle dispose. C'est quand même avoir une courte vue.

La seconde erreur est de participer à la remise en cause d'un ordre international ou du moins d'un ensemble institutionnel juridique certes déjà fragile et fragilisé par les Etats-Unis notamment. Je ne suis pas un grand admirateur de l'ONU, très loin de là, et j'ai souvent eu des doutes sur son efficacité. Pour être d'ailleurs plus explicite, ayant connu de façon très proche quelqu'un œuvrant dans cette boutique, je peux dire que même ceux qui y officient ne se font guère d'illusions sur leur utilité et celle du "machin". Mais de bons salaires et des avantages appréciables permettent de supporter ce désagrément. Donc vous pouvez imaginer dans quelle estime je tiens la chose.
Reste qu'elle a au moins le mérite d'exister et en certaines circonstances, outre le fait d'être un lieu d'échanges et de négociations, de mettre les pays face à leurs responsabilités au regard des règles communes qu'ils ont acceptées en désirant siéger dans cette boutique. Disons que la référence à des règles normalement admises par tous peut calmer certaines velléités martiales. L'Onu ne garantit pas la paix, ça se saurait, mais on peut imaginer que sans elle ce serait bien pire. Et donc la France joue la carte du pire. L'intervention en Irak avait déjà ébranlé l'institution, peut-être que l'intervention en Syrie, s'affranchissant une nouvelle fois des règles internationales va l'achever ou la vider définitivement de toute substance. Et on en reviendra à une situation où le fait accompli, la loi du plus puissant deviendront la règle. C'est sans doute déjà un peu le cas, et même davantage. Mais est-ce une raison pour avaliser cela?
La France, peut-être cette fois pour des raisons qu'on pourrait qualifier de juridico-morales, et peut-être surtout à cause de son vrai poids dans le monde, militaire et économique n'a vraiment aucun intérêt à entrer dans ce jeu. C'est même une faute gravissime que de le faire.
Peut-on laisser un seul homme, nommé pépère par ses conseillers, ce qui en dit long sur le personnage, nous entrainer dans cette voie?

Où est la France de 2003 qui tenait tête aux Etats-Unis au nom des principes qu'elle est aujourd'hui prête à piétiner?

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