Les
quelques jours qui nous séparent d'un vote du Congrès américain sur une
intervention en Syrie montrent une France et son exécutif dans une
situation particulièrement ridicule. Ridicule parce qu'après des
déclarations martiales, on allait "punir" la Syrie, on se retrouve dans
l'incapacité de le faire tout en affirmant vouloir le faire, mais si les
Américains y vont aussi, et en première ligne évidemment. Rarement on
aura vu de supplétif aussi zélé se faire ridiculiser par celui auquel on
désire plaire. Il ne doit plus guère y avoir qu'un seul chef d'Etat
dans le monde encore victime de l'Obamamania, et pas de bol c'est le
nôtre.
Mais
tout ça tant que ça ne touche que notre glorieux président n'a qu'une
importance relative, car lui au moins sait que le ridicule ne tue pas.
Il en est même la preuve. Hélas, il n'est pas seul en jeu.
Tout cela révèle tout de même une diplomatie mal en point dont les conséquences de sa nullité risquent d'être graves.
S'agissant
des motifs d'intervention de notre part, ma précédente note a tenté de
les déceler, un peu en vain. Car évidemment personne de sensé ne peut
croire un instant à l'argument moral ou humanitaire. D'autant plus qu'on
est toujours quand même un peu dans le bleu à ce sujet. Et la
déclassification de documents "secret défense" pour mieux nous
persuader, non pas du crime, mais de l'identité du criminel, ne peuvent
guère changer les choses puisque il semble que ces documents indiquent
juste ce qu'on savait, à savoir qu'Assad possédait de l'armement
chimique en grande quantité, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Ce qui
n'est pas interdit, seul son usage l'étant.
Cette
diplomatie des droits de l'Homme est évidemment un rideau de fumée mais
dont l'opacité se dissipe avec le temps. On entend les critiques de
notre président sur le respect des droits de l'Homme en Russie et
l'expression de ses craintes sur le sort qui est réservé aux homosexuels
au motif qu'une loi interdit la propagande homosexuelle auprès des
mineurs, en gros interdit un quelconque mouvement LBGT d'aller porter la
bonne parole dans les écoles éventuellement accompagné d'une ministre
chargée de promouvoir le mariage pour tous. J'imagine que ce type de loi
ne serait pas forcément mal vu en France par une part importante de la
population, peut-être la majorité. En tout cas en Russie, c'est le cas,
ce qui aux yeux des bienpensants en fait un pays dangereux pour la
démocratie. Le monde à l'envers. Mais passons ce n'est pas le sujet.
Donc le même qui critique un pays pour ces raisons s'en va baiser la
babouche de notre grand ami l'émir du Qatar (la veille de son
abdication, ce qui montre le professionnalisme du quai d'Orsay) dont on
connait le grand attachement aux droits de l'Homme et surtout de la
femme ainsi que la grande tolérance vis-à-vis des homosexuels.
Bref tout ça c'est du pipeau.
Revenons à l'action diplomatique de ces derniers jours.
Nous
avons un président qui se met dans le sillage d'Obama, et commence à
tenir des discours martiaux. Il est accompagné dans sa démarche par le
premier ministre britannique. Les trois vont donner une leçon à Assad.
Une leçon de quoi, ce n'est pas très clair. Car il n'est pas question de
le renverser, même si on soutient les rebelles, même si on entraine ces
derniers, même si on leur fournit des armes. Tout ça est logique. Clair
comme du jus de boudin.
Le
premier ministre anglais consulte comme il y est tenu son parlement qui
l'envoie sur les roses. Pas de problème pour Hollande puisque Obama
c'est quand même lui le boss. Pas de chance, celui-ci déclare qu'il a
décidé d'agir mais se pliera à une décision du Congrès. Ça c'était pas
vraiment prévu surtout que ce n'est pas obligatoire. Comme pour nous. Et
voilà donc notre va-t-en guerre en attente d'un vote favorable du
Congrès américain pour nous lancer dans une nouvelle aventure guerrière.
Mais
en même temps il n'envisage pas de consulter le Parlement de son propre
pays. Assez curieusement c'est le Congrès américain qui décidera de
notre entrée dans un conflit tandis que le nôtre en sera réduit à
discutailler sans que son avis soit entendu. Mais les choses peuvent
évoluer.
Alors
évidemment dans un premier temps je me suis révolté, car même si le
vote du Parlement n'est pas requis, il apparait quand même assez
incroyable que c'est le vote d'un Parlement étranger qui va décider de
notre intervention. Mais à y bien réfléchir, cette position critiquable
est tout à fait compréhensible. Car quelle question poser au Parlement
avant le 9 septembre, date à laquelle le Congrès américain doit se
prononcer. "Approuvez-vous une intervention française en Syrie?"
alors qu'on n'est pas sûr d'y aller et qu'on n'ira pas si les
Américains n'y vont pas. Ça fait un peu couillon. Ou alors la seule
question qui pourrait avoir un sens : "dès lors que et si le Congrès américain autorise des frappes en Syrie, êtes-vous favorables à ce que nous y prenions part?".
Là, même si la question est tout à fait en phase avec la réalité, elle
marque une subordination claire de la politique étrangère française de
la France sur la Syrie à celle des Etats-Unis, et place le parlement
français en second rideau, un peu comme le seraient nos forces en cas
d'intervention. Et là ce n’est pas vraiment glorieux. A
Colombey-les-Deux-Eglises, on risque d'avoir un séisme de magnitude 8.
Voilà donc dans quelle situation lamentable s'est fourré Hollande menant la France avec lui dans cette tourmente.
Maintenant
sans entrer dans ces misérables considérations, le vote parait quand
même assez indispensable. Pas du fait de l'intervention. Mais du fait
des conditions et de l'environnement international. La France, membre
permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, pour la première
fois, si on excepte la guerre du Kosovo dont les conditions juridiques
sont floues (mais à l'époque la Russie était trop faible pour s'affirmer
diplomatiquement), va passer outre les règles internationales, donc
s'affranchir de l'aval de l'ONU pour entrer en conflit. Ce n'est pas
anodin, j'y reviendrai, et ça mérite sans doute que au moins le
Parlement ait son mot à dire sur le sujet. Il serait quand même assez
grave que dans notre démocratie un seul homme, pas très bien élu en
outre, à la popularité défaillante et possédant le charisme d'une tortue
d'eau douce, puisse nous engager dans cette voie aux graves
conséquences comme nous allons le voir. Ça mérite davantage qu'une
discussion un mercredi en fin de soirée. C'est cela le vrai fond du
problème, bien davantage que l'intervention. Celle-ci aura des
conséquences si elle a lieu, mais notre intervention dans de telles
conditions juridiques en aura d'autres. Et il ne faudrait pas se tromper
de sujet. Ou du moins ne pas comprendre qu'il y en a deux, bien
distincts.
Oublions donc l'intervention, ses causes et ses prétextes.
En
choisissant de s'affranchir d'un feu vert de l'ONU, allant contre la
règle du veto au Conseil de Sécurité, la France, du moins Hollande, car
il est triste de confondre les deux, commet deux erreur graves.
La
première si on eut l'exprimer ainsi est de scier la branche sur
laquelle on est assis. La France, depuis la création de l'ONU, est
membre permanent du Conseil de Sécurité . Ce privilège, car c'en est un,
est certes discutable étant donné la situation de la France lors du
second conflit mondial, mais nous avons la chance de le posséder. Donc
au Conseil de Sécurité, la France joue, en théorie à jeu égal avec des
puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et la Russie en disposant
du droit de veto. Il faut reconnaitre que c'est un avantage très
particulier sur le plan diplomatique de disposer d'un droit qui n'est
plus ni en adéquation avec la puissance militaire, ni la puissance
économique du pays. A tel point que ce droit a pu être discuté. Or, en
passant outre les veto certains de la Chine et de la Russie, la France
remet elle-même en cause l'avantage discutable dont elle dispose. C'est
quand même avoir une courte vue.
La
seconde erreur est de participer à la remise en cause d'un ordre
international ou du moins d'un ensemble institutionnel juridique certes
déjà fragile et fragilisé par les Etats-Unis notamment. Je ne suis pas
un grand admirateur de l'ONU, très loin de là, et j'ai souvent eu des
doutes sur son efficacité. Pour être d'ailleurs plus explicite, ayant
connu de façon très proche quelqu'un œuvrant dans cette boutique, je
peux dire que même ceux qui y officient ne se font guère d'illusions sur
leur utilité et celle du "machin". Mais de bons salaires et des
avantages appréciables permettent de supporter ce désagrément. Donc vous
pouvez imaginer dans quelle estime je tiens la chose.
Reste
qu'elle a au moins le mérite d'exister et en certaines circonstances,
outre le fait d'être un lieu d'échanges et de négociations, de mettre
les pays face à leurs responsabilités au regard des règles communes
qu'ils ont acceptées en désirant siéger dans cette boutique. Disons que
la référence à des règles normalement admises par tous peut calmer
certaines velléités martiales. L'Onu ne garantit pas la paix, ça se
saurait, mais on peut imaginer que sans elle ce serait bien pire. Et
donc la France joue la carte du pire. L'intervention en Irak avait déjà
ébranlé l'institution, peut-être que l'intervention en Syrie,
s'affranchissant une nouvelle fois des règles internationales va
l'achever ou la vider définitivement de toute substance. Et on en
reviendra à une situation où le fait accompli, la loi du plus puissant
deviendront la règle. C'est sans doute déjà un peu le cas, et même
davantage. Mais est-ce une raison pour avaliser cela?
La
France, peut-être cette fois pour des raisons qu'on pourrait qualifier
de juridico-morales, et peut-être surtout à cause de son vrai poids dans
le monde, militaire et économique n'a vraiment aucun intérêt à entrer
dans ce jeu. C'est même une faute gravissime que de le faire.
Peut-on
laisser un seul homme, nommé pépère par ses conseillers, ce qui en dit
long sur le personnage, nous entrainer dans cette voie?
Où est la France de 2003 qui tenait tête aux Etats-Unis au nom des principes qu'elle est aujourd'hui prête à piétiner?
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