Il ne se passe guère une semaine,
et là j'euphémise très certainement, sans qu'un de nos hommes politiques
(hommes se rapportant ici et si ce terme devait être à nouveau employé au genre
humain – en attendant qu'un esprit progressiste, féministe mais aussi partisan
de la théorie du genre trouve mieux) donc il ne se passe guère une semaine sans
qu'un de nos brillants politiciens sorte une phrase qui ne manquera pas de
choquer une bonne partie de ses collègues, au sens de gens faisant le même
métier, même dans son propre camp, qui donnera du grain à moudre aux
éditorialistes divers et variés de la presse écrite et radiophonique, et qui
permettra à la bienpensance de nous rappeler les limites à ne pas transgresser.
C'est à croire qu'ils se sont
donné le mot, se sont arrangés entre eux, créant un tableau de service à notre
regard dérobé.
Bien sûr tout cela est calculé.
La volonté de choquer ceux qui ne demandent qu'à l'être est évidemment présente
lorsque l'homme politique qui occupera les esprits en attendant la relève
prononce ces quelques mots qui vont permettre à d'autres de se livrer aux
séquences émotion et indignation qu'ils adorent, qui vont donc leur permettre en
fait d'exister aussi. Car tout est là. Celui qui va son petit bonhomme de
chemin, celui qui se contente de propos bien policés, en phase avec les normes
d'une bienpensance qui ne demande qu'à être transgressée, celui-là est condamné
à disparaitre rapidement des radars et à voir ses ambitions réduites à néant.
La transgression, pour sa part, est autrement payante. Sarkozy fut sans doute,
sinon le premier à le comprendre, le vieux Jean-Marie étant le maitre
incontesté en la matière, celui qui en usa et en abusa pour s'assurer une
confortable élection en 2007. Mais sa concurrente n'était elle-même pas en
reste, elle qui par exemple voulait accrocher des drapeaux tricolores, français
devrais-je préciser, la fête de la Bastille en mai 2012 pouvant semer le doute,
partout aux fenêtres (j'imagine la joie dans les rangs de la gauche!). Je
reviendrai sur le cas de Sarkozy car son parcours est un cas d'école qui
devrait quand même faire méditer ceux qui deviennent des accrocs à cette
technique, comme par exemple son successeur actuel place Beauvau.
Mais ça marche, au moins dans un
premier temps, tellement bien que la méthode connait un véritable succès depuis
quelques années. Même les crapauds de la politique comme Harlem Désir
commencent à s'y mettre. Faut dire que ce n'est pas sur son action qui peut l'aider
à ne pas sombrer dans le néant. Je ne vais pas vous faire l'inventaire de toutes
les petites phrases venant d'hommes politiques autant de gauche que de droite.
De Mélenchon à Le Pen père et fille, la tentation en a saisi beaucoup de faire
parler d'eux en utilisant le procédé. Le risque étant que sa banalisation finisse
par atténuer voir annihiler les effets escomptés.
Et donc du coup certains,
d'ailleurs souvent ceux qui ont les plus grosses ambitions, et même l'ambition
suprême, sont tentés d'aller encore plus loin. Quitte à importer la polémique
dans son propre camp.
Evidemment je pense à nos amis Fillon
et Valls qui se sont surpassés ces dernières semaines. Je n'entrerai pas dans
le détail de leurs propos, une simple évocation suffisant à m'amener là où je
veux en venir.
Le premier heurte à gauche bien
évidemment et aussi à droite, en déclarant qu'il ne s'agissait pas de choisir
au cas où l'UMP serait éliminée dès le premier tout d'une élection quelconque
entre le PS et le FN, mais de reporter sa voix sur le candidat le moins
sectaire. Tant pis pour ceux que ça a choqués, mais en réalité Fillon se met au
diapason d'une majorité de l'électorat de droite qui n'en n'a que faire de
consignes de votes respectées par personne, et qui voit d'un œil plutôt
bienveillant des alliances ponctuelles avec le FN. Sans doute plus éclairés que
les dirigeants de droite ils ont compris que le PS était assuré de conserver
des mairies, des départements ou des régions où il état minoritaire grâce à des
triangulaires assassines. Ça dure depuis 30 ans mais la droite, du moins ses
dirigeants semblent aimer ça. Mais les électeurs non, du moins depuis peu puisque
certaines thématiques du FN, celles dont il est ordinairement interdit de
parler sans précaution, sans langue de bois, ou sans travestir la vérité,
constituent quelques unes de leurs préoccupations majeures. Inutile de les
nommer. On comprend bien l'émotion du PS qui risque de voir cette vieille
stratégie élaborée par Mitterrand finir enfin par se retourner contre lui. Et
on comprend aussi ceux à droite qui depuis belle lurette pensent à gauche quand
il s'agit de certains sujets. Fillon, aux ambitions présidentielles assez récentes
quand même, enfin peut-être pas récentes mais ayant gagné en réalisme, faute
d'un vrai leader à droite, a juste compris qu'il lui fallait changer de cap
s'il voulait espérer l'emporter en 2017, car l'élection se gagnera
immanquablement sur la droite.
Et c'est ce que semble vouloir
confirmer le second personnage au sujet duquel je voulais m'exprimer qui de son
côté n'hésite pas à choquer davantage à gauche qu'à droite. Là encore inutile
d'aller au fond de ses propos quand il s'exprime sur les Roms. Il est sûr de
rencontrer l'adhésion d'une majorité de Français. Faut dire que là il n'a pas
lésiné le Manu. Le fameux discours de Grenoble dans sa partie consacrée aux
Roms relève à côté de la comptine pour enfants. Et en plus, exceptionnellement,
contrairement à ce qu'il avait fait en parlant de l'islam (pour mémoire
incompatible avec la démocratie et nécessitant une maitrise plus forte de
l'immigration afin que nos modes de vie ne soient pas menacés), il n'est pas revenu
sur ses propos. Peut-être aussi un petit calcul électoral derrière ces
revirements, si on se réfère au votre communautaire musulman.
Ce qui est intéressant, c'est
bien cela. Si on veut désormais choquer et indigner utile, il faut en fait se
conformer à la réalité ou exprimer une vérité. Car effectivement une partie
sans doute majoritaire de l'électorat de droite n'est pas contre des accords
avec le FN, et les Roms dans leur majorité ne souhaitent pas s'intégrer et
constituent une gêne, euphémisons encore, pour ceux qui ont la malchance
d'avoir à les côtoyer.
Et donc à condition d'admettre
ça, je sais que certains n'y sont pas prêts, on pourrait dire qu'une bonne
partie des Français, souvent les mêmes dans les deux cas précités, ce qui me
conforte dans cette idée que la prochain élection présidentielle se gagnera sur
la droite, devrait être choquée ou indignée par ceux qui poussent des cris
d'orfraie après les propos de l'un ou de l'autre de nos protagonistes et qui
démontre que notre système démocratique a quelque chose de vicié, pris en otage
par des gens qui pourraient avoir comme devise "nous savons bien mieux que
vous ce qui est bon pour vous".
Peut-être que ce discours serait
audible si ceux-là qui savent ce qui est bon pour nous pouvaient exhiber des
brevets de vertu. Sauf qu'on n'aura du mal à trouver sans doute une autre
profession, car c'en est une désormais, où on rencontre autant de gens ayant eu
affaire avec la justice. Même le parti de la vertu, celui qui nous dirige en ce
moment est dirigé par un ancien condamné pour emploi fictif. Son challenger à
la tête du parti, pas avare lui non plus en commentaires acides, avait lui été
condamné deux fois pour abus de bien sociaux. Ne croyez pas que c'est par un
sursaut de pudeur c'est le premier qui a été choisi, car de cela ils s'en
moquent. Le profil médiocre était juste plus marqué et ça convenait bien à tout
le monde, surtout au président. Eh oui les choqués et indignés professionnels que sont nos hommes politiques par
parfois et même souvent leur passé judiciaire, par leurs comportements
(absentéisme, cumuls, clientélisme, dépenses…) devraient être ceux qui nous choquent
les premiers. Ils y arrivent parfois. Mais surtout par leur manque de
crédibilité, ils ne parviennent surtout plus à nous indiquer un chemin balisé
par des valeurs auxquelles nous pourrons croire puisqu'eux-mêmes ne les
respectent pas. Alors quand quelqu'un s'avise de transgresser ces valeurs Potemkine
pour dire au peuple que ce qu'il voit ou ressent est bien la réalité, il
rencontre alors un franc succès que les cris d'indignation des autres ont
toutes les chances de renforcer, donnant en quelque sorte du crédit aux propos
tenus par lui.
Je terminerai, de façon presque
anecdotique en montrant quand même les dangers de ces propos "hors norme
bienpensante". J'ai évoqué plus haut notre ancien président, adepte de ces
propos destinés à choquer les bienpensants et à plaire au peuple. Au passage de
tels propos sont qualifiés par les indignés de populisme, terme qui devrait
discréditer définitivement celui qui les tient ainsi, au passage, que la vérité
parfois.
Les propos marqués, comme
"je passerai le Kärcher" ou "je vous débarrasserai de cette
racaille" peuvent être plaisants aux oreilles de celles et ceux qui n'en
peuvent plus. Mais ne pas le faire ensuite quand on a été élu pour cela
implique de fortes chances de ne pas pouvoir renouveler la même tactique avec
succès. En l'occurrence ici le succès avait été de siphonner à grande échelle
les voix du FN au point de mettre celui-ci au bord de la faillite. Mais sans réel
passage de Kärcher et sans éradication de la racaille, ce dernier a retrouvé sa
prospérité perdue et même davantage depuis que les socialistes sont de retour. Rien
ne remplacera jamais les actes, en effet.