"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 11 novembre 2011

11 novembre



Le 11 novembre, c'est d'abord pour moi des souvenirs d'enfance.
C'est d'abord l'histoire du grand-père, mort avant ma naissance, blessé en 1915 suffisamment grièvement pour qu'on lui envoie un prêtre qu'il envoya se faire foutre en bon bouffeur de curés. Il s'en sortira même s'il gardera toujours des séquelles de cet éclat d'obus qui frôla le cœur, et aura l'occasion plus tard de visiter l'Italie pendant cette même guerre, puis la Pologne puisqu'il fera partie du corps expéditionnaire français participant au cordon sanitaire contre les bolcheviques. Il sera démobilisé en 1921. Comme il était de la classe 1911, il aura fait quasiment 10 ans d'armée. Beaucoup pour un paysan.
C'est ensuite le souvenir du rassemblement des écoliers que nous étions chaque 11 novembre autour du monument aux morts. Le maire lisait le nom des morts pour la France figurant sur ce monument. On entendait le nom de famille de copains vers lesquels on se tournait, comme si la mort d'un grand-père, grand-oncle, ou cousin éloigné par les années ou la nature des liens familiaux conférait une certaine aura à tous ceux qui portaient leur patronyme. A côté du maire se tenait ce qui me paraissait être un vieillard chétif, un ancien combattant soulevant apparemment difficilement son drapeau tricolore pendant la cérémonie. Il était petit, ridé, vieux. On ne pouvait pas imaginer derrière ce vieil homme celui qui 50 ans plus tôt portait fusil et barda, se ruait à l'assaut d'une tranchée adverse en voyant tomber autour de lui ses copains, anciens ou de la veille, avant de retrouver la protection bienvenue, peut-être chaleureuse, d'une tranchée boueuse où il passerait sans doute encore quelques heures ou quelques jours avant d'être relevé. Il en était revenu. Mais pendant ses instants, pendant la litanie des noms de ceux qui avaient partagé son sort, mais n'étaient pas revenus, on pouvait sentir à l'expression recueillie de son visage, à son regard qui ne regardait plus, qu'il était reparti là-bas au moins pour quelques minutes. Nous nous dirigions ensuite, en rang, c'était encore de rigueur à l'époque, vers le cimetière où se trouvait le carré des militaires du village morts pour la France, du moins ceux dont les corps avaient pu être ramenés. Dans ce petit carré, il y avait trois guerres, les premières et secondes guerres mondiales et celle d'Algérie. A moins que ma mémoire me fasse défaut il n'y avait pas eu de victimes de la guerre d'Indochine dans notre village. Peut-être parce que c'était une guerre de professionnels. Après quelques minutes et sans doute encore un petit discours, ça je ne m'en souviens plus, nous retournions vers la place de la mairie, plus précisément vers la salle des fêtes où on nous distribuait une brioche. C'était peu de temps avant 68 et peut-être présageait-on, avec sagesse, que l'époque où on ne ferait plus rien sans contrepartie approchait. Mais l'époque allait changer encore davantage puisque bientôt, il ne serait plus question de ce genre de rassemblements, du souvenir, du recueillement, patriotique, même avec contrepartie. Sans doute trop facho.
 
Le 11 novembre, ça me ramène aussi à certaines lectures. Jules Romain avec "Verdun", Roland Dorgeles avec "Les Croix de bois", Erich-Maria Remarque avec "A l'Ouest rien de nouveau", Ernst Jünger avec "Orages d'acier", mais aussi "Le boqueteau 125". Ou encore "Feu et sang". J'ai beaucoup aimé Jünger, ses descriptions impeccables relevant davantage du documentaire agrémenté de réflexions sur la guerre comme objet, la déshumanisation ou plutôt la transformation de l'homme en homme-soldat, et aussi sur les conséquences de la guerre ou plutôt de la défaire allemande. C'est dans "Feu et sang", je crois, écrit dans les années 20 qu'on trouve des réflexions prémonitoires sur ce que va devenir l'Allemagne quelques années plus tard, alors que le parti nazi n'est pas encore assez puissant pour être considéré comme un mouvement capable d'accéder au pouvoir. En tout cas, je me souviens avoir été frappé du caractère prémonitoire de ces réflexions qui témoignent du nationalisme de l'auteur qui pourtant saura se démarquer du national-socialisme au risque de sa vie. C'est sans nul doute son aura de héros de la première guerre mondiale qui le sauvera. Mais je m'égare. Je voulais parler plutôt de cette mutation qui se fait chez l'homme dans ces périodes particulières que sont les guerres. Cette mutation qui permet de supporter l'insupportable, cette mutation qui permet de supporter de voir ses camarades mourir sans qu'on ait les temps de les regretter, de porter leur deuil, cette mutation qui permet de ne pas devenir fou. Un jour ou plutôt une nuit le lieutenant Jünger doit relever avec sa compagnie une unité qui se trouve en première ligne. L'agent de liaison qui les guide s'égare, et la compagnie tourne en rond pendant un certain temps. Au bout d'un moment Jünger qui comprend qu'il ne faut plus compter sur cet homme place sa compagnie dans un boyau et part avec lui en reconnaissance. A peine a-t-il avance de quelques petites centaines de mètres qu'une forte explosion retentit derrière lui. Un obus est tombé… sur sa compagnie. Le récit est presque banal en temps de guerre, si est raconté par un acteur extérieur. Quand il est raconté par un des principaux acteurs, Jünger en l'occurrence, il prend une autre dimension et on s'attend à une montagne d'émotion. Eh bien non, il le raconte presque comme je viens de le faire et parle aussi de tous ces camardes tombés avec cette quasi-absence de sentiments, car c'est cela qui permet de survivre. C'est cela aussi qui donne toute cette difficulté pour le soldat à reprendre ensuite une vie normale. Cette difficulté, c'est un sentiment que souvent les militaires éprouvent encore lors d'un retour de plusieurs mois d'opérations maintenant, bien sûr atténué et de durée plus brève car les conflits ne sont pas les mêmes, l'échéance pour soi de l'opération, sauf accident, est connue à peu près.
Le 11 novembre, c'est aussi des films comme encore "les Croix de bois" avec Charles Vanel, des films qu'on ne voit plus, qu'on ne verra plus, sans doute même invendables en DVD, et remplacés avantageusement par la star'ac, ou les experts. Ah si, on pourra parfois voir quelques films où on montrera des soldats fraterniser par delà leurs tranchées un soir de Noël avant de se foutre sur la gueule le lendemain parce que des chefs terribles et inhumains pourvoiront à ce relâchement, à cette fraternité humaine, pardon. Quand j'habitais encore en France, je pestais, tous les 11 novembre parce qu'on était infoutu de nous présenter un film sur cette guerre mondiale. Ici, c'est l'inverse. Le 9 mai, date pour les Russes de la capitulation, et même avant et après c'est tout un festival de films récents et anciens qui exaltent le sentiment patriotique porté à son point culminant lors de la grande guerre patriotique, comme on nomme la seconde guerre mondiale, la guerre patriotique étant celle menée en 1812 contre les Français. Conscience nationale et patriotisme d'un côté, cries d'orfraie quand on ose prononcer les termes d'identité nationale de l'autre. Les taupes ont bien œuvré à l'ouest. Encore un petit effort et on supprimera cette première guerre mondiale, devenue sans témoins, des livres d'histoire.
 
En attendant, on retire à ce 11 novembre, et donc à la guerre dont il est le dernier jour, son caractère particulier. Je ne veux même pas évoquer le fait que pour beaucoup, une majorité certainement, cette date a surtout l'avantage d'être un jour férié, avec ouverture des magasins sans doute, et qu'elle ne signifie rien d'autre. Même on ne manquerait pas de voir ceux pour qui elle ne signifie rien monter les premiers au créneau, descendre dans la rue sous les banderoles des la CGT, CFDT, SUD, FO et autres officines, si le gouvernement, prenant acte de cette réalité, supprimait ce jour férié. Peut-être même certains oseraient dire que leurs arrières grands-parents se sont battus pour cet acquis social.
Non, ce qui m'intéresse surtout c'est de voir que désormais, le 11 novembre est devenu l'occasion de rendre hommage à tous les soldats morts pour la France. C'est un peu un concentré, une date amalgame dont bientôt on aura oublié la réelle signification. Dans quelques années quand on parlera du 11 novembre, on dira que c'est la journée des soldats morts pour la France quand on voudra être poli, et la journée des crevures de militaires tués parce qu'ils sont payés pour ça ou aux ordres d'un pouvoir impérialiste, colonialiste, oppresseur, et autres joyeusetés pour ceux qui n'auront pas envie d'être polis et qui bénéficient bien évidemment d'une totale liberté d'expression surtout quand c'est pour salir la France et ses symboles. Pour moi, cet amalgame est une bêtise. D'abord parce que les guerres n'ont pas les mêmes significations, même si les soldats qui meurent pendant celles-ci meurent effectivement pour la France. Surtout parce que la première guerre mondiale est sans doute la dernière manifestation de la prééminence de la nation sur le reste, le reste étant les opinions politiques, philosophiques, religieuses…, et de la capacité du peuple français uni, à travers ses forces les plus vives, à défendre la France. Même les pacifistes ont fait cette guerre sans rechigner, parce que la France était menacée. Et cette guerre, parce qu'elle fit beaucoup de victimes, parce qu'elle dévasta durablement une partie importante de notre pays, parce que ses vestiges sont toujours présents, parce qu'elle marqua la fin du monde ancien, même si les soubresauts qui suivirent furent violents, cette guerre mérite de conserver sa place particulière.

2 commentaires:

  1. j'ai les mêmes souvenir que vous, à peu de chose prés

    mélanger les commémorations en mélangeant les buts des guerres

    nos guerres actuelles ont un lointain lien avec la sécurité directe de la France: on porte la paix la liberté ailleurs, pour autrui

    nos anciens se sont battus et sont morts pour nous, on va oublier ça

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  2. Bonjour Cimabue,
    content de vous retrouver.
    Effectivement les temps ont changé et la manière d'honorer nos anciens qui se sont sacrifiés aussi.
    Ce rejet du devoir de mémoire qui se manifeste désormais dès l'école me laisse pantois. Une action de sape de quelques petites dizaines d'années aura suffit à en venir à bout. désormais si nos enfants ou petits-enfants veulent savoir, il ne faudra plus compter que sur nous, désormais que l'empire du Mali a davantage de chance d'être enseigné que l'Empire français. Mais on s'étonnera ensuite du déficit d'intégration des étrangers, ou même des Français d'origine étrangère.

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