L'agression par un djihadiste en
herbe, fier de son acte, n'exprimant aucun regret, d'un homme portant kippa
dans la rue nous interpelle évidemment. Mais sans doute pas de la façon dont
cet acte devrait le faire.
En effet le problème a été posé
d'une façon qui ne le résoudra en rien. Le débat qui en est ressorti s'est
focalisé sur une alternative que je juge malsaine car elle acte et favorise
même le communautarisme qui est la véritable plaie qui est source de douleur de
notre société. L'alternative posée est donc : dois-je revendiquer mon
appartenance communautaire, religieuse dans l'espace public, ou dois-je me
faire discret pour garantir mon intégrité physique? A ces deux questions, j'ai
envie de répondre non et non. Je vais m'en expliquer.
Il y a quelques jours, dans un
billet consacré à l'analyse des vœux présidentiels, j'affirmais que Hollande
n'avait rien compris, ou ne voulait pas comprendre, en pensant, et là je ne
discuterai pas sur le caractère ridicule des moyens que nous pouvons mettre en œuvre
pour cela, combattre le terrorisme islamique en balançant des bombes sur l'Etat
islamique. J'expliquais que l'éradication de ce truc infâme ne résoudrait aucun
problème tant qu'il existerait sur notre sol des individus d'importation ou
établis depuis plus longtemps, voire même depuis de nombreuses générations, sur
notre territoire puisque la conversion suivie de l'engament dans le djihad
devient de plus en plus courante, perméables aux pires idéologies, en
l'occurrence l'islamisme, et haïssant suffisamment leur pays ou leur terre
d'accueil pour prendre les armes contre eux. Avant l'EI, il y a eu al qaida,
avant encore le GIA, et après sa disparition il existera évidemment un autre
truc, sous un autre nom pour reprendre la bannière de l'immonde, pour nous
proposer au moyen d'égorgements, fusillades, explosions, ce merveilleux monde
qu'est celui qui sera unifié sous la bannière verte du tout-puissant. Un monde
à prendre ou à laisser, à prendre de force ou à laisser en même temps que sa
vie.
La lutte est donc avant tout à
mener sur notre sol pour rendre infertile le terreau actuellement propice au recrutement
de terroristes capables de frapper leur propre pays, celui où ils ont grandi,
celui où ils ont été éduqué.
Et ce terreau c'est le
communautarisme. Et ce communautarisme est d'ordre religieux. Il n'existe pas
de communauté italienne, polonaise, portugaise et même algérienne ou marocaine
en tant que telle, puisant sa source de cohésion dans une appartenance mystique
à une nation étrangère et qui pourrait influer sur la marche de notre société.
Quand on parle de communauté, on parle uniquement de communauté musulmane, de
communauté juive. Même pas de communauté chrétienne d'ailleurs, celle-ci, par
défaut et par excès étant assimilée à une communauté qui serait nationale.
Le communautarisme fait des
ravages, disloque la nation, interdit ce qu'on appelle le vivre-ensemble qui au
mieux est devenu un vivre-à-côté, et au pire et de plus en plus fréquemment une
tension permanente, une intolérance à l'autre, une volonté de subjuguer voire
d'annihiler. Il ne date pas d'hier, ni même du jour où on a découvert avec
Mehra qu'un Français pouvait tuer d'autre Français parce qu'ils étaient juifs
ou militaires supposés musulmans et donc traitres à la "cause". Oh
certes, on a quand même tenté pour ne pas rompre "le charme" de nous
parler de loup solitaire et d'autres sornettes, fumeuses théories démenties par
des réactions ignobles de soutien aux actes assassins de l'individu, sur les
réseaux sociaux, sur les murs de certaines cités. Mais devait-on s'étonner de
ces réactions tandis qu'on avait eu les mêmes un peu plus de 10 ans plus tôt après
les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis? Celles-ci sont relatées dans
"les territoires perdus de la République", cet ouvrage collectif qui
après et avant d'autres livres ou rapports nous alertait avec force sur les
manifestations de ce communautarisme qui nous dévore. Personne ne peut dire, et
surtout pas ceux qui nous ont dirigé et nous dirigent, qu'il ignorait cette
situation. Pourtant rien ne fut fait ou presque et les Mehra, Kouachi et autres
Coulibaly décrits dans les "territoires" ont pu grandir, devenir
adulte et cultiver leur haine du juif et de leur pays. Ils ont même été encouragés
en cela par ceux qui n'ont vu en eux que des victimes de notre société
tellement injuste à leur égard. Ils y ont été encouragés par ceux qui, se
servant et prétendant servir une cause palestinienne qu'ils sont bien
incapables d'analyser objectivement, ont donné à un antisémitisme camouflé sous
le masque de l'antisionisme une certaine respectabilité, voire légitimité.
Alors quid du port de la kippa
dans tout ça? Je comprends que certains vont me trouver injuste. Parce
qu'effectivement il y a un peu plus de deux siècles, par un travail en commun
avec Napoléon et sous l'impulsion de ce dernier, même si ce fut davantage
qu'une impulsion, la communauté juive,
et c'était une communauté au plein sens du terme puisqu'exclue de jure de la
communauté nationale, a su renoncer aux impératifs religieux qui empêchaient
son intégration dans cette communauté nationale. Parce que même maltraitée
comme elle le fut depuis, inutile d'entrer dans des détails connus mais que je
symboliserai ici par l'affaire Dreyfus, l'entre-deux-guerres et la période de
Vichy, elle n'a jamais revendiqué autre chose que son appartenance à la France.
Parce que les Juifs ne revendiquent pas de manger casher dans nos cantines,
parce qu'ils ne se font pas exploser dans la rue au nom de leur dieu. Et
j'ajouterai même une chose qui me plait beaucoup, parce qu'ils ne sont pas
prosélytes.
Par contre, et même si je sais le
peu de poids que ça peut avoir dans une lutte sérieuse contre le
communautarisme, celui qui soustrait les enfants de France à leur pays en les
orientant vers une autre allégeance, celui qui sape l'idée nationale, celui qui
pourvoit en bras assassins une idéologie religieuse hégémoniste, je reste
persuadé de la nécessaire interdiction des signes d'appartenance religieuse
dans l'espace public, celui-ci commençant sur le pas de la porte de mon
appartement et se terminant à l'entrée de la mosquée, la synagogue, l'église,
le temple.
Et à ce titre je n'ai pas
davantage envie de voir dans la rue une kippa qu'un voile islamique ou encore
une croix portée ostensiblement. Je ne
devrais même jamais en voir hors de circonstances fort rares m'amenant dans un
lieu de culte quelconque. De même que quand je croise un individu je n'ai pas
envie de savoir quel dieu il prie chez lui, ou ne devrait prier que chez lui.
Et c'est donc pour cela que cette
affaire m'indispose. Parce qu'elle s'est orientée, par la faute de tous ceux
qui n'ont pas été capables de lutter contre le communautarisme, à la
transformer en un enjeu non seulement identitaire, mais au sens le plus restrictif
du mot, mais aussi de domination. Je vais exprimer ça autrement. Ça revient à
dire : "si je refuse d'indiquer de manière ostentatoire (lire avec fierté
légitime) mon identité communautaire (lire religieuse) parce que des gens d'une
autre communauté me considèrent comme leur ennemi et menacent ma vie ou mon
intégrité physique, j'admets que ces derniers ont gagné et que leur violence à
mon égard a assuré leur domination sur la société environnante." Et
considéré comme ça, c'est terrible! Car évidemment on a, j'ai envie de dire : "mettez
tous votre kippa et prêtez m'en une aussi pour monter à ces gens qu'ils n'ont
pas gagné et qu'ils ne gagneront pas!" Mais en même temps c'est institutionnaliser
davantage que le communautarisme, c’est-à-dire la lutte entre communautés ou
alliances de communautés. Dans ce cadre plus personne n'est français, ou être
français n'est plus que la marque d'une naissance ou de l'établissement durable
sur un territoire donné au bout de l'Europe. Et le sens de notre existence
n'est plus de vivre ensemble, autour d'une histoire, de valeurs partagées,
d'une vision des rapports humains commune, dans le cadre d'une communauté
nationale et pour laquelle nous serions capables de donner notre vie le cas
échéant, ainsi que l'ont fait nos ainés, il n'y a pas si longtemps que cela puisqu'on célèbre le centenaire de leurs
combats et de leurs souffrances. Cette conception de notre vie commune qui fut
la nôtre doit-elle s'effacer définitivement pour faire place à une lutte pour
l'hégémonie de son dieu, ou le droit de pouvoir l'honorer, cela sous les yeux
médusés ou parfois indifférents de ceux qui auront choisi, de toute façon ils
n'auront guère d'autre choix s'ils n'ont pas de dieu auquel croire et que
n'existera plus la communauté nationale, de préserver leur petite vie et de n'en
mesurer la valeur qu'à l'aune de son aisance matérielle qui plus elle sera
grande leur permettra de s'éloigner des zones de conflit?
C'est bien parce qu'on a laissé
se mettre en place et même encouragé le communautarisme, au moins objectivement
soit en refusant de le voir lui et ses effets dévastateurs, soit en le louant
comme une manifestation d'une heureuse diversité que les combats qui nous sont
aujourd'hui proposés sont de mauvais combats. Les conséquences d'un acte
antisémite perpétré par un jeune islamiste, du moins les seules voies qui nous
sont proposées pour réagir à cet acte en témoignent parfaitement en même temps
que de l'état de notre société.
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