Ben
oui quoi, poser une question basique à une ministre sur un sujet
basique relevant de son domaine de compétences, enfin disons plutôt
d'attributions, ça ne se fait pas. C'est même un piège grossier.
Reprenons.
Un journaliste-vedette, même si on ne sait pas trop pourquoi, devient
le point de passage obligé de tous ceux qui ont quelque chose à dire et
surtout rien. C'est devenu une règle. On peut échapper à Ruquier d'abord
parce qu'il n'est pas journaliste et parce que les interrogatoires qui
sont menés dans son émission le sont par de sales cons, con et conne
pardon, faut pas oublier la parité, dignes représentants d'une gauche
des bons sentiments qui n'existent plus que sur les plateaux-télé et
dans Libé, et auxquels j'imagine que celui qu'ils assomment de leurs
questions idiotes et de leurs réprobations morales quand il n'appartient
pas au camp du bien a au bout d'un moment davantage envie de leur
coller des baffes que de se livrer à un simulacre de dialogue. Du coup
si on n'est pas sûr de pouvoir se retenir, mieux vaut ne pas aller dans
ce genre d'émission. Mais Bourdin, lui, on ne peut guère y échapper.
Même si le fait qu'il ait été pressenti pour aller faire la pige chez
Ruquier qui dut renoncer à cause de son tarif trop élevé, c'est une
vedette, non?, peut donner une image du personnage. Mais statut oblige.
Et donc tout le gratin de la politique finit devant Bourdin dont le but,
son statut de vedette l'y obligeant, est de casser son invité, de
montrer sa nullité, son incompétence, et de mettre en évidence le fait
qu'il usurpe son poste ou n'est pas capable de tenir celui auquel il
prétend. C'est une certaine vision de l'information. Qu'on aime ou qu'on
aime pas, on doit subir.
Cela
dit quand on va chez Bourdin, connaissant tout cela, il est de bon ton
de se préparer, voire même d'apprendre le B.A BA de son boulot si on ne
l'a pas fait encore.
Aussi
m'est-il difficile de trouver la moindre circonstance atténuante à la
faute commise par notre jeune et récente ministre du travail. C'est en
plus une double faute qu'elle a commise. Sans parler de celles commises
ensuite quand elle tenta de se dédouaner de ce fâcheux incident, car
évidemment ce n'est pas elle qui pouvait être mise en cause, après ce
flagrant délit d'ignorance avoué, donc à moitié pardonné, après un
immonde bafouillage et une piteuse tentative d'éluder la question en
répondant à côté. Du coup le demi-pardon est annulé. Et toc!
En
effet, Madame El Khomri, ministre du travail en titre, ignorait une
chose élémentaire, en plus une mesure prise quelques semaines avant sa
prise de fonction par le gouvernement auquel elle appartenait déjà en
tant que secrétaire d'Etat à la ville, une chose que j'imagine chaque
salarié du privé connait parce que le CDD fait trembler ceux qui y sont
soumis. Et comme par ailleurs un quart des chômeurs le sont suite à une
fin de CDD, on pourrait s'imaginer que le ministre du travail faisant
partie d'un gouvernement ayant fait de la lutte contre le chômage, et
avec le succès que l'on sait, sa priorité, puisse s'intéresser à ces
petites choses. Première faute professionnelle donc!
Ensuite
en allant chez Bourdin, notre jeune ministre devait s'attendre à une
question de ce type. Question trop facile peut-être, et donc pas
vraiment un piège, et qui l'a prise à contrepied. Reste néanmoins qu'en
tant que membre du gouvernement elle ne peut se rendre à ce genre
d'invitation qu'en ayant tous les biscuits. Elle est là pour porter une
parole, une parole supposée redonner confiance aux millions de chômeurs
que compte notre pays. Ceux-là auront été servis. Elle se doit d'avoir
une communication d'autant plus irréprochable que désormais nos
politiques ne sont plus guère que ça, des communicants. Seconde faute
professionnelle.
Du
coup, son CDD à elle pourrait bien et même devrait être révoqué avant
son terme. Mais chez ces gens la faute professionnelle grave ne saurait
être un motif de révocation. Sinon il n'y en aurait plus beaucoup en
place.
Voyons maintenant les arguments de la défense. Bien pitoyables.
Enfin
que du classique quand il s'agit d'interventions venues de ceux qui,
parce qu'ils ont la carte du parti, parce qu'ils sont sympathisants,
parce qu'ils sont de cette bonne vieille gauche qui ne saurait faillir.
On a évidemment les trucs habituels du genre : "oui mais, Truc (évidemment de droite) ne savait pas combien coûtait une baguette lors des élections de 1902 (la date importe peu évidemment)", "Et Machine qui croyait que le ticket de métro coutait 4 euros, ah ah ah!. Elle est pas nulle, elle?".
En tout cas pas plus nulle que ceux qui brandissent ces
arguments-massues. Peut-on d'abord excuser l'incompétence des uns par
celle des autres? Si c'est le cas, le prochain gouvernement va être
peinard. Et par ailleurs, quel est le rapport avec le sujet. Le ministre
du travail c'est son job de connaitre un minimum des règles régissant
le droit du travail, et le sujet de la question fait, à mon avis, partie
de ce minimum. Quant aux autres, ils montrent, mais s'en étonnerait-on,
et ceux qui sauteront comme des cabris parmi les hommes politiques en
disant "j'ai eu tout bon, je savais" en donnant le prix exact
du ticket de métro qu'ils ne prennent pas sont évidemment dans le même
cas, qu'ils sont bien déconnectés des réalités du peuple qu'ils
prétendent gouverner. Ce n'est pas un compliment, bien sûr.
Et puis on a l'argument-choc, celui qui devrait faire taire tout le monde, mais qui fait rigoler, le truc du style "Demande-t-on au ministre de la santé d'être chirurgien et donc de savoir découper un patient?". C'est un peu comme si vous posiez cette question: "Demande-t-on au ministre du travail de savoir travailler?".
Sauf que les réponses ne sont pas les mêmes évidemment. A la première
on répondra par la négative, et à la seconde par l'affirmative, et même
que tous les ministres devraient travailler. Au moins leurs dossiers. Et
concernant le ministre du travail, ce serait même un plus s'il avait un
peu travaillé ailleurs que dans la politique, et encore même mieux s'il
avait travaillé en entreprise, au moins histoire d'en connaitre le
milieu autrement que par le biais des partenaires sociaux. Hélas, et ça
vaut pour tous les partis, c'est rarement le cas, très rarement. Ce
n'est pas un secret que notre classe politique est complétement
déconnectée de ce qu'on appelle curieusement "la vraie vie", cela
supposant que la leur n'en est pas une. J'aime bien ces expressions
devenues courantes comme "les vraies gens" qui en disent quand même
long.
Et
puis on a l'intéressée elle-même qui tente de se défendre, sans doute
après s'être pris un avoinée par Pépère au conseil des ministres, même
si finalement cet épisode l'arrange bien, faisant passer l'histoire
ridicule de Lucette au second plan. J'imagine aussi le lâche soulagement
du Catalan prognathe et de Bercy. On en viendrait presque à croire que
El Khomri, en tant que dernière arrivée et benjamine est victime d'un
bizutage salvateur pour tous ces incapables.
Voilà donc ce qu'elle dit pour sa défense.
Tout d'abord la chose classique, tout rejeter sur l'interviewer : "Jean-Jacques
Bourdin avait préparé son coup, il voulait son buzz, il a eu son buzz,
je ne suis pas la première, je ne serai pas la dernière." C'est
évidemment s'enfoncer car si elle savait que c'est un truc classique
chez Bourdin, elle devait d'autant plus se préparer à affronter
l'interview, ou se faire porter pâle et envoyer un grouillot de service à
sa place.
Et puis il y a des choses assez amusantes : "J’ai
répondu trois parce que, pour moi, c’est trois contrats. Donc voilà, ce
n’était pas exact par rapport à la question du renouvellement, mais ça
fait trois contrats quand on peut renouveler deux fois." C'était
donc juste un problème d'intervalles, comme ceux qui préoccupaient les
petites têtes blondes quand j'étais à l'école primaire. Entre deux
poteaux il y a un seul espace, combien y a-t-il d'espaces quand il y a
trois poteaux? La prochaine fois on parlera de robinets qui coulent ou
de trains qui se croisent.
Ou encore des trucs qui embrouillent la tête : "La
vérité, c’est que pour répondre à cette question, il y a autant de
formes de CDD possibles qu’il y a de dérogations possibles, et si,
justement, nous menons cette réforme du droit du travail, si nous
apportons ces clarifications, c’est bien, en effet, parce que c’est
complexe." Et ben voilà! On a compris! Elle a fait l'âne par égard
pour nous ou pour ne pas monopoliser l'antenne pendant des heures! Mais
on peut être rassuré, grâce à elle et à sa réforme, les choses vont
changer. Après tout on est capable de réformer sans connaitre l'existant
quand on est ministère socialiste.
Que
ceux donc qui voudraient lui faire un procès en incompétence en soient
pour leurs frais. Le ministère est entre de bonnes mains. Parait même
que le nombre de chômeurs a baissé depuis l'arrivée de ce brillant
ministre.
Je
ne voudrais pas terminer ce billet sans une petite mise en garde qui
prendra la forme d'une invitation à la réflexion. Mais rassurez-vous
c'est facile, bien davantage que les histoires d'intervalles.
Certains,
pas réflexe, penseront que mon propos est sous tendu par le fait que
Madame El Khomri est issue de la diversité et que c'est une femme, ce
qui n'est évidemment pas le cas même si je pense la même chose pour
Dati, Yade, Belkacem. Du coup je commence à avoir un doute. Cela dit
avant d'entrer dans une longue introspection, je me demande, et la
présence dans ce même gouvernement d'une double compatriote de ce
ministre à un poste important où son action est particulièrement
fantasque (j'aurais pu dire dangereuse, irresponsable, calamiteuse…) si
sa nomination n'est pas due davantage à cela qu'à des compétences
avérées, vérifiées. Je dis ça évidemment après avoir jeté un œil sur le
CV de la dame.
Et vous qu'en pensez-vous?
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