"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mardi 14 avril 2015

Une loi dangereuse





« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. » Benjamin Franklin

Je suis les débats autour de cette fameuse loi sur le renseignement que nous a concocté le pouvoir. Je remarque au passage qu’il n’y a guère de débats alors qu’il ne devrait pas en manquer à ce sujet et que même nos parlementaires, étant donné leur nombre sur les bancs de l’hémicycle, ne semblent guère concernés. Pourtant tout cela est grave.

La loi dans sa formulation est assez vague pour que des écoutes, des surveillances de l’activité internet, un espionnage personnalisé puissent toucher à peu près tout le monde. Je suis sûr que les écoutes de l’Elysée organisées par Mitterrand en son temps pourraient avec cette loi entrer de plain-pied dans un cadre légal. Il suffirait que le motif invoqué trouve sa place dans une des rubriques très générales de la loi. Facile !

Cela dit ne nous faisons pas d’illusions. Les moyens existent déjà et sont utilisés pour se renseigner sur les activités, les intentions de certains, et pas forcément terroristes ou constituant une menace pour la sécurité nationale. Hollande déclarait bien à des députés du PS et avant que ne soit révélées les écoutes le visant qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de Sarkozy puisqu’il savait tout ce qu’il faisait. Ben oui ! Mais plus généralement tous les moyens existent grâce aux cartes bancaires, aux activités sur internet, sites visités, mails envoyés ou reçus, aux téléphones portables ou non, de dresser le profil de chacun. Google et autres le font déjà à des fins commerciales. En fait nous sommes tous surveillés à titres divers.

Alors me direz-vous, où est donc le problème puisque finalement la loi qui nous est proposée, imposée au nom de la lutte contre le terrorisme, ne fait que reconnaitre une situation de fait ?
J’en vois au moins deux, majeurs.
Le premier est que plus rien ne pourra désormais arrêter le pouvoir, celui-ci ou un autre. Le droit de faire, sans limite sérieuse, ne peut qu’inciter à faire davantage que ce qui se pratique déjà de façon cachée, de façon sournoise.
Le second touche à l’utilisation de ce qui peut être recueilli comme information concernant une personne mais aussi, par impact, son environnement, humain, professionnel, associatif. Pour être plus clair, une information recueillie illégalement ne peut par exemple pas être utilisée comme une preuve à charge devant un tribunal. La loi le permettra donc. Et par expérience je peux vous dire qu’on peut aller très loin dès lors que le recueil de l’information devient licite.
Pour mieux illustrer ça, je vous livre une petite anecdote. J’ai connu le monde du renseignement militaire, notamment par l’utilisation de certains moyens concernés par cette loi, orientés évidemment vers un adversaire militaire potentiel ou réel. Cela dit quand, au titre de la formation des opérateurs ou de l’entrainement on opérait, hors cadre opérationnel, une analyse spectrale, on pouvait entendre plein de choses dont certaines auraient pu être utilisées à des fins malveillantes et même parfois judiciaires. Bien sûr, à cette époque, il y a une trentaine d’années, on ne faisait dans ce cadre aucun enregistrement, ni ne rédigeait de PV d’écoutes. On entendait mais on n’écoutait pas. Tout ça pour dire que si on va à la pêche, même en aveugle, on va trouver des choses, et qui n’ont rien à voir avec le terrorisme ou la sécurité nationale, mais qui désormais pourront être utilisées.
C’est bien cela la grande différence. Même si l’intrusion dans la vie privée existait, ses effets étaient limités par la loi.

Mais le terrorisme, me direz-vous ?  Bonne question puisque c’est au nom de cela qu’on légifère aujourd’hui. Sauf que la loi ne concerne pas que le terrorisme.
Et puis soyons sérieux ! Qui peut croire une seconde que le risque terroriste sera affecté par cette loi ?
Les Mehra, Kouachi, Coulibaly étaient connus et surveillés. Reste qu’ils sont passés à l’acte. Ce n’est pas la loi ni les moyens techniques de surveillance qui sont en cause, mais une défaillance humaine, collective ou individuelle, selon le cas. C’est une organisation du renseignement qui peut être en cause, éventuellement le volume humain consacré au suivi ou à l’analyse, ou une erreur d’appréciation sur la dangerosité des individus. Mais certainement pas la loi.
Par ailleurs les terroristes connaissent très bien les dangers d’une surveillance électronique. Ils s’y adaptent donc par divers moyens, soient les contournent. Finalement la poste, à moins qu’en plus de la lecture des mails on n’autorise aussi l’ouverture générale du courrier, est un bon moyen pour les terroristes pour communiquer. Mais d’autres possibilités existent. Une chose est sure par contre, c’est qu’on a peu de chance de les trouver sur yahoo, au moins avec leurs adresses mail et IP traditionnelles.
Par ailleurs, une massification de la collecte d’informations telle que va la permettre la loi va engendrer inéluctablement des problèmes de traitement donc augmenter les probabilités que les cibles (soi-disant) prioritaires car constituant une menace pour la sécurité nationale passent au travers des mailles du filet. La NSA qui dispose de milliers d’opérateurs à travers le monde et qui espionne tout azimut n’a pas pu empêcher le 11 septembre.

Donc s’il s’agit de lutter contre le terrorisme cette loi me parait inutile et même contre-productive. Quelques adaptations à l’existant, et dans le cadre unique du terrorisme, auraient pu éventuellement être envisagées pour que les terroristes ne bénéficient pas des protections juridiques du citoyen de base. Mais rien de plus.
C’est par contre sans doute le rêve de tout gouvernement d’avoir cette possibilité offerte par cette nouvelle loi d’exercer légalement une surveillance généralisée de la population. Les socialistes, profitant de la peur, l’ont fait. Chacun désormais pourra être surveillé impunément. Il suffira d’invoquer un motif de suspicion si la chose est découverte. C’est aussi simple que ça.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire