"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 18 avril 2015

Du droit de vote au devoir de voter?






Les pouvoirs publics aiment à s’occuper de notre santé, ou plutôt nos santés physique, morale ou civique. En bon redresseurs de torts, ils ne cessent de nous indiquer quoi boire, quoi manger, quelles substances éviter, ce qu’il est bon de dire et donc de ne pas dire, ce qui est républicain et ne l’est pas, etc.. La liste est longue fort longue de ces incitations, devenant objurgations avant de devenir obligations ou interdictions. Il serait vain de vouloir la dresser ici. Aussi me limiterai-je à cette lubie qui frappe en ce moment quelques individus soucieux de notre santé civique et qui veulent rendre le vote obligatoire. Donc transformer un droit en un devoir. L’avantage d’un droit est effectivement qu’on a aussi le droit de ne pas l’exercer. Il est d’ailleurs rare qu’on vous reproche cela car d’une façon fréquente cet exercice est préjudiciable aux finances de l’Etat. Si par exemple vous avez payé trop d’impôts et que vous ne réclamez pas votre dû, il y a peu de chances qu’on court derrière vous pour vous rembourser.

Dans le cas du droit de vote les choses sont un peu différentes. Pas vraiment l’inverse car l’exercer coûte à l’Etat, mais rapporte à d’autres. Chaque voix à son profit rapporte en effet quelques centimes au parti concerné dans le cadre de la loi du financement de la vie politique. Mais je n’oserai pas croire que c’est cela qui motive les défenseurs des vertus civiques et en particulier M. Bartolone, président de l‘Assemblée nationale. Je ne serai pas non plus mauvaise langue en pensant que puisque les abstentionnistes se rencontrent davantage dans certains endroits que dans d’autres, appartiennent davantage à certaines catégories que d’autres dont on suppose puisqu’ils appartiennent à la population-cible de Terra Nova que leurs voix iraient à gauche, cela relève d’un calcul bassement politicien. Non, non, loin de moi ces idées ! Bartolone et les autres agissent pour le bien de la démocratie, pour notre bien à nous dont l’immunodéficience civique est avérée.

Et donc Bartolone qui est un homme qui pense a trouvé la solution pour restaurer le civisme en France. Il fallait y penser ! Et nul doute qu’une telle réflexion nous montre la valeur d’un homme dont on se demande pourquoi il n’est que le quatrième personnage de l’Etat dans l’ordre protocolaire. Il pense en effet que l’abstention serait moindre, et même beaucoup moindre sans doute, si les abstentionnistes étaient condamnés à une amende. Bien sûr ça reste à tester, mais si ça marche nul doute que Bartolone rejoindra les Mirabeau, Danton ou Desmoulins au panthéon des grands promoteurs et défenseurs de la démocratie. Car cet homme a la tête bien fixée sur les épaules.

En fait, n’ayant pas eu accès au rapport présenté au président de la république, je ne connais pas très bien les arguments de ceux qui sont pour transformer le droit de vote en devoir de voter.
Quand j’étais jeune, on m’avait bourré le mou avec cette réflexion sur ceux qui s’étaient battus et étaient parfois morts pour que j’exerce ce droit. Et j’avoue que ça a marché pendant une quinzaine d’années jusqu’à ce que mes activités m’amènent à observer de près des hommes et femmes politiques, de tous bords et de tous niveaux (du conseiller municipal au ministre). Le comportement général de cette caste, c’est le nom qui convient, même si évidemment il y avait des exceptions qui d’ailleurs ne pouvaient pas être corrélées ni à leur appartenance politique, ni aux responsabilités qu’ils exerçaient, m’a profondément dégouté et détourné des urnes pendant une dizaine d’années. Depuis mon civisme s’est amélioré même si par ailleurs je vote davantage contre que pour.
Et finalement cet argument des anciens qui se sont sacrifiés ne tient guère si on s’amuse à observer les taux de participation aux élections qui se sont déroulées pendant la période révolutionnaire. Prenons par exemple les législatives de 1792, celles qui devaient désigner la fameuse Convention, avec un corps électoral élargi à tout Français âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant du produit de son travail. Le taux de participation se situe sous les 12%. Ce qui semble indiqué, mais peut-être me trompé-je, que le droit de vote n’était pas une revendication forte de l’époque.

Mais revenons au présent ou plutôt à la période contemporaine, celle de la 5ème République.
Monsieur Bartolone qui normalement possède davantage de moyens que moi pour s’informer devrait étudier de près les taux d’abstention en fonction des différents types d’élection ainsi que leur évolution. Et il en tirerait peut-être des conclusions. Un homme si brillant !
En effet le taux d’abstention varie en fonction de l’élection, mais aussi dans le temps.
La présidentielle échappe avec les referendums à cette règle de l’évolution dans le temps.
C’est à la présidentielle que le taux d’abstention est le plus bas, autour de 20% en moyenne, souvent moins d’ailleurs, mais quelque fois un peu plus, mais jamais au-dessus de 30% (sauf au second tour de 1969 où c’était plié, la gauche ayant été éradiquée dès le premier tour). Même au second tour de 2002, mais sans doute est-ce le signe du succès de la quinzaine anti-Le Pen (bouh !, qu’est-ce qu’on a eu peur de sombrer dans le fascisme !), le taux d’abstention était proche des 20%.
S’agissant des referendums, c’est la question qui prévaut. Aucun intérêt pour le statut de la Nouvelle-Calédonie (63% d’abstention) ou pour l’instauration du quinquennat (69,8% d’abstention). Par contre les referendums touchant à l’avenir institutionnel de l’Europe, Maastricht et traité constitutionnel, connaissent une participation honorable, respectivement 69,3 et 69,7% de participation. Mais vu ce que les européistes de gauche et de droite ont fait du dernier, il n’est pas sûr que ça se reproduise. D’ailleurs il ne semble plus qu’on ait envie d’essayer au niveau politique de renouveler l’expérience. Le calamiteux traité transatlantique, malgré toutes les incidences qu’il pourra avoir sur notre vie, se négocie et sera adopté sans que les citoyens aient leur mot à dire et soient même d’ailleurs informé autrement qu’en termes très généraux leur vantant une avancée au moins égale à celles qui ont précédé, et c’est pas peu dire.
Puisqu’on en est à l’Europe, parlons un peu des élections des parlementaires européens. Si les électeurs parviennent à se mobiliser assez bien quand ils ont à se déterminer directement sur l’avenir de l’Europe, il semble en revanche qu’ils n’aient pas perçu l’utilité d’être représentés au sein de cette Europe ou formulé autrement qu’ils aient perçu la profonde inutilité des parlementaires de Bruxelles ou Strasbourg en fonction des dates. Certes dès le début ça n’a jamais été très fort. On est parti en effet de 39,29% d’abstentionnistes en 1979. Mais pour arriver à 56,5 en 2014, un progrès néanmoins par rapport à 2009 où on en était à 59,4% d’abstentionnistes. Faut dire que ce parlement semble davantage utile à recycler les perdants des élections nationales ou quelques potes qu’à autre chose. On comprend donc que se déplacer pour attribuer une rente, une belle rente, à un loser ou un has been, ne suscite pas forcément un grand enthousiasme.
Les législatives connaissent elles une profonde évolution dans le temps. On passe de taux d’abstention à peu près similaires à ceux des présidentielles à des taux de plus en plus hauts à partir de 1988 jusqu’à devenir calamiteux aujourd’hui puisqu’ayant presque atteint les 45% en 2012. Mais Monsieur Bartolone, président de l’Assemblée Nationale a sans doute une explication à cela. Enfin au moins il a la solution. J’avancerai quand même trois raisons : en 1988, 2002, 2007 et 2012, les législatives suivent de très près les présidentielles et donc le résultat semble joué, faisant de l’Assemblée une simple chambre d’enregistrement ; par ailleurs désormais que la télévision est entrée à la chambre, chacun peut constater l’absentéisme chronique des parlementaires, même lors de discussions et de votes qui paraissent essentiels ; enfin désormais que le paysage politique a évolué, beaucoup ont sans doute l’impression, mais ce n’en est pas une en vérité, que l’Assemblée est loin de représenter dans sa composition l‘électorat dans ses différentes sensibilités.
Les départementales et régionales ne connaissent pas non plus un grand succès. C’est une constante pour les départementales qui ont toujours connu un taux d’abstention élevé et atteignant désormais les 50%. Les régionales les ont rejointes mais passant d’un taux honorable de 25,2% en 1986 à un taux de 49,5% en 2010. La décentralisation n’a pas donc enthousiasmé les foules et le rôle et l’action des parlements régionaux ou départementaux ne semblent guère mobiliser. Le sentiment de gaver des inutiles existe là sans doute aussi. Peut-être parce que nous ne sommes pas un Etat fédéral et que donc les différences interrégionales ou interdépartementales ne sont guère perceptibles, du moins sous l’angle politicien.
Les communales connaissent un plus grand succès, malgré là aussi une hausse, mais plus modérée, du taux d’abstention. On est passé en 55 ans de 25% à 39% d’abstentionnistes. Ce n’est pas terrible mais ça résiste mieux. Sans doute à cause de la proximité et de la capacité de percevoir ce qui est accompli.

Désolé pour cet analyse un peu longue mais néanmoins trop courte dont l’objectif est de montrer que le phénomène de l’abstention est complexe et qu’y répondre par une répression sans nuances ne résoudra pas le fond du problème si le point de référence est la citoyenneté.
On peut être tenté d’exclure du traitement du problème un noyau dur d’abstentionnistes, des gens qui ne vont jamais voter et qui si on se réfère aux taux de participations à toutes les élections doivent constituer entre 15 et 20% de l’électorat. Ceux-là vivent de marge de la République pour diverses raisons dont certaines pas glorieuses, et il y a fort à parier que les emmener dans l’isoloir entre deux gendarmes ne leur fournira pas l’esprit citoyen qu’ils n’ont pas.
Et puis il y a les autres, ceux qui votent épisodiquement, surtout en fonction de l’élection, et qui prouvent donc que l’abstention n’est pas une fatalité. On pourrait considérer qu’ils constituent entre 30 et 40% de l’électorat, ce qui est énorme. C’est sans doute davantage à ceux-là qu’il faut s’intéresser qu’aux premiers, car ce n’est pas forcément leur esprit citoyen qui est en cause mais autre chose. Mais s’y intéresser suppose qu’on tente de comprendre leur attitude et aussi pourquoi ils sont de plus en plus nombreux. Les menacer d’une amende semble plus efficace à Bartolone and co. que d’opérer cette démarche. Il est vrai que le risque, mais à ce niveau-là ce n’est plus un risque mais une certitude, que ça reviendrait à une mise en cause de la classe politique et de ses pratiques.
Comme je ne voudrais pas être trop long, je ne reviendrai pas sur certains points évoqués (défaut de représentativité, sentiment de l’inutilité de certains types d’élus, manque de compréhension de leur rôle dans certains cas – c’est lié - …). On pourrait ajouter les promesses non tenues. Et aussi et peut-être surtout l’échec, un échec qui dure depuis des décennies – combien de nos concitoyens n’ont jamais autrement vécu que sous la crise qui commence dans les années 70 ? – et dont on ne voit pas le bout qu’on ne cesse pourtant de nous annoncer, « parce qu’avec moi ça sera mieux qu’avec ces nuls qui gouvernent actuellement ». Tout ça ne prend plus guère désormais et renforce le sentiment d’inutilité d’une classe politique dont on a le sentiment qu’elle vit en vase clos, pour elle et refusant tout sacrifice tandis qu’elle exhorte les Français à en faire. Les régimes spéciaux des parlementaires, les amortisseurs dont ils disposent quand ils ne sont pas réélus, et autres avantages paraissent légitimement une insulte à une population en difficultés surtout quand ceux-ci s’opposent à tout effort qui pourrait au moins donner l’illusion qu’ils participent à ceux qu’ils demandent. Discours populiste me dira-t-on ! Non, simplement le fait qu’en démocratie aucun citoyen ne devrait se sentir au-dessus des autres, simplement le fait qu’aucune réforme ne peut être acceptée dès lors qu’elle est considérée comme contraignante ou pénalisante par les citoyens si l’exemple de vient pas de leurs représentants. Le sentiment de rupture, qui peut s’accompagner de dégout, entre le peuple et la classe politique est sans doute un des moteurs de l’abstention. Trop facile de penser masquer cela par la contrainte d’aller voter.
Peut-être faudrait-il aussi que les politiques pensent au spectacle qu’ils nous offrent au quotidien. Ils ne sont pas forcément les seuls responsables, les médias les aidant largement dans cette œuvre de spectacularisation d’une vie politique qui nous rapproche du pire de ce que nous offre la télé-réalité. On observe désormais les Valls, Sarkozy, Hamon, Jupé, Le Pen et autres, car la liste est longue, avec le même œil, intéressé, méprisant, caustique, énervé, désabusé (rayez la ou les mentions inutiles) que celui avec lequel on observe Nabilla, l’appréciation des formes en moins. Plus de gens observent désormais notre président sous l’angle de ses frasques rapportées par closer que sous l’angle des réformes qu’il n’a pas faites. C’est ainsi qu’on nous les montre, les petites phrases remplaçant les idées, le déjeuner de truc avec chose qui ne peuvent pas s’encadrer remplaçant les projets. Comment respecter ensuite ces gens qui prétendent nous représenter, nous guider, nous diriger ?

Alors, il est toujours possible de mettre un pistolet sur la tempe de ceux qui ne veulent plus cautionner ça en n’allant plus voter. Mais ça ne changera rien au malaise ressenti, ça sera même pire. Ça ne changera rien au fait que notre démocratie se porte mal. Obliger à voter n’est que le traitement du symptôme d’une maladie qu’apparemment ceux qui en sont la cause, et Monsieur Bartolone en fait partie, ne désirent pas soigner.

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