La France va mal. Croissance
nulle au premier trimestre, le retournement c'est pas encore pour maintenant,
chômage toujours en hausse, on n'ose même plus parler d'une inversion qui n'a
pas eu lieu à l'échéance promise, insécurité en hausse, c'est les statistiques
qui déconnent, immigration incontrôlée, c'est un pur fantasme, l'Europe n'est
pas une passoire, demandez aux Italiens, intégration en panne, oui mais avec
l'inclusion vous allez voir ce que vous allez voir, diplomatie en berne, vite
Barack dis-nous ce qu'on doit faire, politique industrielle en panne, les
patrons c'est tous des cons, des salauds et des menteurs dixit le ministre en
charge, dette qui n'en finit pas d'augmenter, bon va falloir vous sacrifier,
enfin certains…
Bon on va s'arrêter là. On aurait
pu parler de l'écotaxe ou de l'éco-pas-taxe mais redevance, des prochaines
ponctions sur le budget de la défense, de l'Europe… Les sujets ne manquent pas
pour nous porter au pessimisme.
Par contre il y a un domaine où
il semble que la France ait fait de réels progrès. C'est en matière d'éducation
nationale. Ayant porté les élèves à ce haut niveau de connaissances, de compétences, de capacités
de raisonnement, bref toutes ces choses qu'on nous envie, n'est-ce pas?,
d'ailleurs y a qu'à voir les statistiques ou les chiffres des résultats au bac et même à
la licence, des chiffres qui ne déconnent pas eux et qui démontrent
l'excellence de notre système éducatif, donc ayant pleinement réussi au moins
dans le domaine de l'instruction, l'éducation nationale pour ne pas trahir son
nom, peut enfin se consacrer à l'éducation de nos enfants.
Après quelques tentatives parfois
houleuses dans les classes maternelles et primaires, un rectorat, celui de
Nantes a cru bon devoir démontrer qu'il avait compris le sens du combat à mener
pour que filles et garçons cessent de faire des différences entre eux.
Mais soyons justes et rendons à
César ce qui lui appartient. L'initiative qui consiste à mettre un maximum de
jeunes et pourquoi pas leurs professeurs en jupe ou encore, pour ceux qui
auraient honte de leurs jambes trop velues à porter un badge de soutien, vient
de lycéens conscients du caractère insupportable des inégalités entre filles et
garçons, entre femmes et hommes (respectons l'ordre alphabétique) les premières
ne cessant de subir des discriminations dans notre horrible société. Tout le
monde le sait. Sous-payées dans le privé, sous-représentées dans la vie publique,
harcelées sexuellement dans les armées, etc., c'est un véritable calvaire que
vivent les femmes en France. Il faut donc lutter. Et qui reprocherait à de
jeunes lycéens, bientôt citoyens ou même l'étant déjà pour certains se
s'engager dans des combats qui leur permettront dans 25 ou 30 ans de dire à
leurs enfants combien ils étaient progressistes quand ils avaient leur âge
quand ces derniers leurs reprocheront leur embourgeoisement qu'ils décèleront
derrière ce souci obsédant parfois d'avoir de quoi les nourrir, les habiller et
payer leur éducation. Mais cessons de nous projeter dans le temps et louons cet
esprit jeune qui permet de se mobiliser pour ces combats à la mode qui font
prospérer les associations et permettent au gouvernement de se trouver du grain
à moudre à bon compte. Au moins pendant qu'on s'occupe de ces sujets, on occupe
les esprits. Et puis il fait bien trouver quelque chose pour simuler des
divergences idéologiques entre gauche et droite, faute de pouvoir en trouver
dans les domaines économiques , sociaux et financiers, puisque c'est l'Europe
qui décide.
Donc cette belle initiative
lycéenne a été, disons saluée plutôt que récupérée par le rectorat de Nantes
sans doute quelque peu désœuvré depuis les succès de l'enseignement signalés
plus haut. Le rectorat effectivement enthousiasmé et trouvant sans doute
l'initiative en résonnance avec le combat mené par notre charmante ministre des
femmes au sourire si carnassier en liaison avec l'éducation nationale, a
apporté son soutien plein et entier à l'initiative en encourageant son
développement. Dans un dossier de presse montrant son implication le rectorat décrit
les objectifs de cette journée de sensibilisation et les modalités de
participation, cite les lycées méritants, du moins qui participent, mais c'est
pareil, et souligne le caractère international du combat en précisant qu'un
élève à l'origine de l'initiative qui séjourne actuellement aux Etats-Unis, à
Seattle, dans le cadre d'un échange scolaire est parvenu à persuader le lycée
où il se trouve de réaliser la même chose. Le génie français s'exporte encore.
Dommage par contre qu'il n'y ait pas de programme d'échange avec le Nigéria.
Alors évidemment l'initiative, et
sans doute bien davantage parce qu'elle a été reprise par le rectorat qui lui
donne ainsi un visage quasi-institutionnel, n'a pas manqué de soulever des
débats. C'est le retour de la théorie du genre pur les uns, c'est un combat
légitime pour les autres. Au passage on remarquera que les esprits sont loin
d'être apaisés et qu'à la moindre étincelle, les feux se rallument. On pourra
se demander comment on en est arrivé là.
Mais tentons plutôt de comprendre
le sens de cette initiative.
J'ai entendu parmi les défenseurs
du projet et notamment d'une des lycéennes à son origine cette référence au
film "La journée de la jupe", excellent film où le personnage campé
par Adjani montre à la fois la difficulté d'être une fille/femme dans les
banlieues et enseignant dans un lycée de ces zones qui échappent à la
République.
Mais le problème est justement
que ce que dénonce le film n'est pas du tout la même chose que ce que dénoncent
les lycéens. C'est même presque l'inverse.
D'un côté s'élève la
revendication pour les filles et les femmes de pouvoir assumer leur féminité,
donc de pouvoir marquer leur différence, tandis que de l'autre il s'agit de
gommer les différences en demandant aux garçons de singer une féminité qui
n'est pas la leur.
D'un côté on dénonce une
stigmatisation de la féminité, de l'autre une inégalité sociale entre les
hommes et les femmes. C'est loin d'être la même chose. Le droit à la différence
se situe à un autre niveau que celui de l'égalité. Les deux sont légitimes, peuvent
même être menés de front mais ne doivent pas se confondre.
Et donc plutôt que de suivre
béatement un mouvement peut-être bien sympathique, l'éducation nationale,
puisqu'elle se targue de vouloir éduquer, devrait attirer l'attention dur le
sens des mots, sur la nature des causes qu'on revendique, et sur les moyens mis
en œuvre dans ce cadre.
On pourrait commencer par souligner
que faire évoluer symboliquement les garçons vers la condition de fille par le
port de la jupe, revient tout aussi symboliquement à reconnaitre une
infériorité à la femme. Pour obtenir l'égalité on demande au dominant de se
transformer en dominé, donc de s'abaisser, de rejoindre une condition
inférieure. La voie la plus simple.
On pourrait faire remarquer que
l'égalité n'a de sens que dans la différence, que la recherche de l'uniformité
n'a rien à voir avec elle, que si on est tous pareils on cesse d'exister,
d'être un autre.
Et puis on pourrait leur dire à
ces jeunes, qu'à un mois du bac, ils feront davantage pour leur condition
future d'apprendre et de réviser que de perdre leur temps dans un carnaval qui
les distraira bien plus qu'il ne leur apportera. Et que leur place dans la
société, dans la nôtre, dépend bien plus d'eux, de leurs talents, de leurs
compétences, de leur travail, que de ce qui se trouve sous la jupe qu'ils
porteront lors de cette journée.
C'est davantage cela qu'on a le
droit d'attendre de l'éducation nationale que ce suivisme bon marché.
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