Ils n'ont rien compris. Ou ils ne
veulent pas comprendre. Comprendre que leur temps est révolu qu'il faut qu'ils
s'en aillent ou reviennent sur d'autres bases. Mais en sont-ils capables,
peut-on leur faire confiance.
Dimanche dernier il y avait un
débat très coloré, pas du fait de la couleur des participants, mais de leur
langage, organisé par Le Point. Il y avait en particulier Philippe Tesson dont
la verve, même si elle peut en énerver certains du fait de sa cible préférée, suscite l'admiration quand
on sait l'âge du bonhomme. Il y avait Jean-François Kahn qui remis de sa sortie
sur le troussage des domestiques a retrouvé toute sa vigueur ou verdeur langagière.
Et aussi Elisabeth Lévy pas mal à l'aise
dans le registre "poissonnière", ce qui n'est pas péjoratif dans le
sens où je l'entends. Au contraire. Enfin on n'était sorti d'un langage
convenu, d'une analyse plate comme une limande, de l'autocensure, de la peur de
se faire trainer dans la boue à case d'une parole considérée comme malheureuse
ou honteuse par nos belles âmes sensibles. Hollande fut insulté, traité de
crétin des Alpes par Tesson, de nullité par JFK. Mais pas seulement lui. En fait il y en avait pour tout le monde, à
droite, à gauche, au centre, pour toute la classe politique, et plus
particulièrement pour les deux partis qui s'autoproclament si modestement, à
moins que ce ne soit de l'arrogance, de gouvernement, mais dont finalement on
se rend compte que les Français ne veulent plus guère ou même plus du tout
quand ils voient où ces gens les ont mené depuis plus de 30 ans.
Notre classe politique est d'une
nullité crasse. C'était en quelque sorte le point d'accord de nos débatteurs. Mais
il sera plus dur de s'entendre sur les causes. Quand JFK prétend que les
institutions sont à bout de souffle, j'ai tendance à penser qu'il confond les
causes et les conséquences. La pratique institutionnelle peut être un garde-fou
contre des excès de pouvoir éventuellement, mais certainement pas contre la nullité
Les institutions de la 5ème République me semblent au contraire très
adaptées à la France et à son esprit paradoxal, cette curieuse synthèse entre un
esprit féodal et un esprit révolutionnaire pouvant conduire au meilleur comme
au pire. Mais est-ce bien finalement un paradoxe?
L'esprit féodal s'il faut le caractériser
en quelques mots, c'est cet attachement à la verticalité du pouvoir,
s'accompagnant à chaque échelon d'un corpus de droits mais surtout de devoirs
vis-à-vis des échelons supérieur mais aussi, et c'est peut-être l'essentiel, inférieur.
Les Français ne rechignent pas à être gouvernés, ne rejettent pas l'autorité
dès lors que celle-ci a pour objectif la cohérence sociale, la défense des
intérêts du peuple et de l'Etat ou mieux de la Nation qui peuvent parfois
sembler s'opposer mais qui à long terme coïncident le plus souvent. Et ce sont
justement nos institutions actuelles qui permettent de surmonter des
antagonismes ponctuels grâce à la stabilité du pouvoir qu'elles assurent. L'esprit
féodal actualisé c'est en quelque sorte un système fondé sur un contrat où la
majorité délègue à une minorité un pouvoir sur elle, à condition que ce pouvoir
délégué s'exerce à son profit. On n'est pas là dans le domaine de la morale,
mais dans celui de l'intérêt public. Et c'est d'ailleurs pour cela, et même si
ça en choque certains, que chez nous, en France, l'honnêteté n'est pas un
critère essentiel pour être élu ou réélu. C'est finalement peut-être ça notre vraie
exception culturelle.
Comme la délégation de pouvoir
n'est que temporaire, les élections assurent cette fonction de soupape dont ne
disposait pas la monarchie, permettant de déléguer à d'autres un pouvoir si mal
utilisé par ceux qui les précédèrent. On change de roi tous les 5 ans ou tous
les 10 ans, de ducs, de barons et de comtes, s'ils ont failli, ou bien on les reconduit
si on en a été satisfait.
Ça semble simple, mais les choses
se compliquent dès lorsque le nouveau roi et la nouvelle noblesse ne font pas
mieux que ceux qu'ils ont remplacé, ne se distinguant à la marge d'eux que par
des mesures symboliques ou catégorielles. Alors on recommence un cycle parce
qu'on n'a pas bien compris. Une fois, deux fois, trois fois,…, jusqu'au jour où
on se dit que le système est pourri et qu'il faut en changer. Avant on faisait
la révolution, désormais on se sert des élections qu'on transforme de soupape
de sécurité garante de la pérennité du système en manifestation de rejet de ceux
qui s'intitulant partis de gouvernement, et s'étant effectivement partagé le
pouvoir pendant des décennies, incarnent ce système. Et alors on ne vote plus
ou on vote en masse pour un parti "pas de gouvernement" mais qui, et
là je reprends les propos d'un ancien premier ministre de gauche, pose de bons diagnostics,
en fait décrit la vie que vivent les gens et dont ceux qui gouvernent disent
que ce n'est pas la vie qu'ils vivent mais un sentiment, une illusion,
renforçant ainsi le fossé qui les sépare du peuple. Qu'importent les solutions
proposées. De toute façon elles ne peuvent pas être pires que l'absence de
solutions proposées par ceux qui nient les problèmes. Il n'y a pas d'insécurité
mais un sentiment d'insécurité, il n'y a pas de problèmes d'immigration, il n'y
a pas de problèmes d'intégration avec les étrangers ou les personnes d'origine
étrangère, l'Europe vous enrichit et vous offre le plein emploi… Bref tout va
bien!
Tout va bien et on va vous le
montrer! En cassant le thermomètre ou en tentant de faire périr le porteur de
mauvaises nouvelles. Et en vous changeant un peu les idées. Allez hop, c'est parti
pour une nouvelle quinzaine anti-le Pen. Les collégiens et lycéens dans la rue,
les chanteurs engagés à vos guitares, Lambert Wilson et Balasko au 20 heures!
Vite, la République est en danger. No pasaran! Et François Hollande à Clairefontaine!
Vous n'aurez peut-être pas de pain, mais de jeux on va vous gaver.
Black-blanc-beur power! C'est pour bientôt. Ouf! Les élections auraient pu
tomber à une plus mauvaise période, hein!
Rassurez-vous braves gens, la vie
va continuer. Comme avant.
En fait ils n'ont rien compris ou
ne veulent rien comprendre. Sous l'œil médusé des Français notre président
déclare que le résultat fut douloureux, et on comprend qu'un second coup de
pied dans le cul à deux moins d'intervalle ça peut faire mal, mais qu'il va
continuer comme avant. D'ailleurs dès le lendemain à l'Assemblée on discute
d'une réforme pénale dont les Français ne veulent pas.
A droite, Juppé, l'homme en
pointe, droit dans ses bottes, déclare qu'il faut que la droite se rapproche du
centre. La tambouille politicienne devant être sans doute le remède au malaise
des Français.
Il n'est pas question qu'eux se
remettent en cause, avouent leur échec, reconnaissent qu'ils n'ont pas œuvré
depuis tant d'années au profit du peuple et de l'intérêt national, qu'ils ont
trahi ce contrat qui les unissait aux Français. Ils vivent hors sol, dans leur
monde politicard, caressant leurs ambitions et tentant de réduire à néant celle
des autres. Ça leur prend tout leur temps et ça les empêche donc de comprendre
ce que veulent les Français et de produire des idées. Ces gens sont en campagne
électorale permanente. Quand ce ne sont pas les échéances nationales, c'est la
désignation de leur candidat à la présidentielle qui les occupe. Les partis
politiques (de gouvernement) servent juste à abriter des batailles d'écuries
dont l'issue vise à accaparer les postes présidentiel et ministériels. C'est la
course permanente pour le pouvoir, pour y accéder, pour le conserver. Juste pour
ça. Ce ne sont pas les institutions qui sont malades, ce sont les partis et
ceux qui les peuplent.
Il faut faire péter ces
enveloppes que sont les partis. Eventuellement pour en recomposer d'autres,
puisqu'il faut des structures, mais correspondant aux vrais enjeux, et même aux
lignes de fracture de la société française. Le "combat" qui opposait
récemment Juppé et Guaino était tout à fait révélateur de l'inadaptation des
partis politiques aux véritables enjeux. Juppé est sans doute plus près d'un
Sapin, pas pour des raisons capillaires, mais sur le plan idéologique, que de
Guaino. Tandis que celui-ci se sentirait sans doute en meilleure compagnie avec
Chevènement. De même que les libéraux ont les mêmes intérêts objectifs en ce
qui concerne l'immigration que la gauche de la gauche. Or ce ne sont ni
l'Europe, ni l'immigration et la manière de gérer cette dernière et ses
conséquences qui structurent les partis. Les lignes de fractures les traversent
tous, sauf sans doute les extrêmes bien plus cohérents. Du coup quand on vote
UMP ou PS on ne sait guère pour quoi on vote, pour quel projet réel pour la France,
pour quel avenir commun (nation, pas nation?). Ce ne sont pas des simplifications
comme on peut les lire (et en blogo ça ne manque pas) entre parti des riches ou
des patrons, et parti des pauvres ou des plus démunis qui sont éclairantes.
D'autant plus que ça ne résiste pas aux faits. Certains ont un cerveau en
glaciation depuis des lustres pour encore raisonner comme ça (on pourrait même
écrire résonner dans leur cas). Mais peut-on leur en vouloir tandis que les
politiques de ces fameux partis de gouvernement tendent à leur faire croire que
c'est encore ainsi que ça fonctionne. Ça les aide sans doute à se partager le
pouvoir, du moins ses signes et ses avantages. Ils seront d'ailleurs d'accord
pour diaboliser ceux qui parlent aux Français de leurs vrais problèmes et
préoccupations, pour les discréditer (ou s'en servir dans leurs tactiques
politiciennes), pour se maintenir là où ils ne sont pas dignes de rester.
Dimanche dernier, en ne votant
pas, ou n votant dans des proportions jamais atteintes pour le FN, les Français
ont donné un sévère avertissement à la classe politique qui les dirige depuis
une quarantaine d'années maintenant (je pense pour ma part que le dernier
président davantage attaché à la France qu'à lui-même fut Pompidou). Je crains
que cet avertissement n'ait pas été reçu, qu'il n'a pas fait l'objet d'analyses
l'expliquant et qu'il n'en fera d'ailleurs pas. L'intérêt national, l'écoute
des Français a été remplacé par les petits intérêts personnels, les petites
tambouilles politicardes, les petits arrangements entre amis, les connivences
entre majorité et opposition dites républicaines. C'est l'esprit de la 4ème
République dans le corps de la 5ème, ce qui paradoxalement, alors
que les institutions étaient faites pour éviter cela, lui permettent de
perdurer plus longtemps, ce qui témoigne au moins de leur résistance. Ça ne
veut pas dire qu'elles sont mauvaises. Ce sont juste les hommes et femmes
politiques qui sont mauvais, pour la plupart, parce qu'ayant perdu le sens de
l'intérêt général. C'est donc peut-être eux qu'il faut réformer (aussi dans le
sens que les militaires donnent à se terme, c'est-à-dire renvoyer dans leurs
foyers) en leur donnant un statut allant dans la déprofessionnalisation de la
vie politique, par exemple en limitant le nombre de mandats en temps cumulés.