Quand la semaine dernière je disais que l'affaire libyenne démontrait les faiblesses et les contradictions de l'occident je ne me trompais guère. Même une fois le conflit en marche elles ne cessent d'apparaitre.
S'agissant de l'attaque suite à la résolution de l'ONU, j'ai cru pendant un certain temps qu'elle n'aurait jamais lieu, comme j'ai cru que la résolution de l'ONU ne serait jamais votée. Même si je me suis trompé sur ce coup-là, je pense pouvoir dire qu'il y a une semaine de cela rien n'indiquait, au vu des réticences des uns et des autres qui auraient pu, entre autres, se traduire par un double veto au Conseil de Sécurité de l'ONU, qu'une résolution suivie d'un engagement militaire serait votée. La position plus qu'ambigüe de la Ligue Arabe, qui n'en a pas fini de se contredire, pouvait également renforcer dans cette opinion.
Cependant la résolution 1973 a été votée et désormais les armes font office de relations diplomatiques avec la colonel Khadafi, ce qui, entre nous, constitue un dialogue beaucoup plus franc.
On peut cependant regretter que cette résolution soit arrivée trop tardivement. Son retard a permis à notre bédouin de faire reculer les insurgés et de renforcer ses positions et oblige donc à une réaction bien plus forte que si nous étions intervenus dès qu'il fut avéré que l'aviation et l'artillerie libyennes tiraient sur les insurgés et autres populations. Mais néanmoins le fait d'intervenir avant la chute de Benghazi et sans doute de la rébellion devrait tout de même nous réjouir. Pourtant la réjouissance éprouvée est fortement atténuée par d'autres considérations et pourrait, si certaines choses devaient se passer, virer à la consternation.
Si nous considérons la manière dont a été arrachée la résolution de l'ONU, incontestablement une victoire diplomatique française, nous pouvons constater plusieurs choses. Tout d'abord l'Union Européenne a une nouvelle fois prouvé son absence d'unité en matière de politique étrangère révélant donc ainsi sa nature de nain politique incapable de peser sur les affaires internationales. Il ne serait pas, à ce propos, superflu de renvoyer à ses fourneaux Lady Ashton qui dispose d'un charisme équivalent à celui d'une asperge et ne risque pas de donner de l'éclat à une diplomatie européenne qui n'existe d'ailleurs pas. Par ailleurs l'attitude ambigüe des Etats-Unis qui ne cesse de se confirmer remet en cause, sinon son leadership, la confiance que peuvent avoir beaucoup de pays du monde, notamment les pays occidentaux, qui se sont trop reposés sur eux, dans sa capacité à promouvoir et assurer la défense de certaines valeurs. Ne parlons pas enfin des Arabes approuvant une résolution mais s'en démarquant le plus rapidement possible. Il y a aussi la position nettement en retrait des Etats africains, trop faibles pour peser sur la décision, mais dont les dirigeants bien souvent arrosés par Khadafi pour un nombre significatif d'entre eux et qui en avaient d'ailleurs fait "le roi des rois traditionnels d'Afrique" en 2009 en l'élisant à la tête de l'OUA. Et pour terminer n'oublions pas les deux grandes puissances que sont la Chine et la Russie qui n'ont pas usé de leur droit de veto, se sont abstenues mais qui voient la chose d'un mauvais œil qui pourrait éventuellement faire reconsidérer les choses si le conflit s'éternisait et faisait l'objet de discussions ultérieures à l'ONU.
Tout cela dès le départ est donc bien fragile à tel point on se demande par quel miracle cette résolution 1973 a pu être adoptée. La corde de l'émotion a sans doute été utilisée ainsi le fait que le colonel autoproclamé (il était capitaine lors du coup d'Etat de 69, mais reconnaissons qu'il a eu tout de même le triomphe modeste) est pour le moins un emmerdeur de première dont personnellement je me demande pourquoi il existe encore. C'est vrai que Reagan avait essayé de le dessouder, mais sincèrement je pense qu'on a été bien charitable envers cette ordure.
Ce qui nous amène aux objectifs réels du conflit qui se déroule depuis samedi dernier. La résolution « Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'arrangements régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen. »
Autant dire qu'en termes de définition d'objectifs militaires on a déjà fait mieux. Protéger les populations et les zones civiles n'est pas vraiment une mission de type militaire surtout dans un pays où fait rage une guerre civile, où sont étroitement imbriqués combattants, réguliers ou non, et civils et le tout, dans un premier temps, nous y reviendrons, à partir du ciel. Il semble clair que pour protéger certains civils il faudra sans doute en sacrifier d'autres. Ce qui revient en d'autres termes à prendre parti, pour les insurgés bien entendu. Mais ceci serait mieux si c'était exprimé clairement. L'avenir de Khadafi, du moins celui dont on qu'on souhaiterait qu'il soit le sien, n'est effectivement pas précisé ou alors de façon contradictoire. Quand certains hauts responsables, d'un même pays parfois, déclarent pour les uns que l'objectif est son départ alors que d'autres disent que l'objectif n'est pas de lui faire quitter le pouvoir, on est quand même un peu dans le brouillard, même si on peut comprendre que finalement c'est la première option qui semble l'emporter, la seconde étant de pure convention pour rester dans les clous d'une résolution bien vague. Mais tout cela gagnerait à être précisé, car toute roquette lancée ou toute bombe larguée, tout cadavre ou tout blessé, peuvent amener à contestation. Et c'est déjà commencé.
Ainsi la Ligue Arabe ne passe guère une journée sans faire trois pas en avant et deux en arrière, tiraillée entre une opinion publique elle-même partagée, et des dirigeants nationaux qui pour les uns verraient volontiers le cadavre de Khadafi se balancer au bout d'un lampadaire, tandis que les autres comme l'Algérie ou la Syrie, par exemple, voient d'un œil inquiet l'éventualité que l'emporte l'insurrection.
Et puis il y a ceux qui se sont abstenus ou encore ceux qui y sont allés timidement de leur soutien et qui constatent, ô miracle, que des missiles, des bombes et des roquettes, ça fait des dégâts et parfois aussi des morts. Même la presse d'un pays comme la France, pourtant en pointe dans l'opération, n'hésite pas à faire pleurer dans les chaumières, photos à l'appui. Ainsi dans Libération, on pouvait lire dès lundi : "…Un peu plus loin s'étale un vrai jeu de massacre, une petite armée littéralement pétrifiée par le feu venu du ciel. Une quarantaine de véhicules calcinés, retournés, enchevêtrés dans un champ. Des dizaines et des dizaines de corps de soldats gisent là, morts dans l'instant, certains presque des enfants dans leur treillis trop grands, certains avec la peau très sombre, la moitié. Ils ont été foudroyés par les Rafale français entre 5 et 7 heures du matin….". Enfin, la guerre, quoi ! Avec son cortège de morts et de blessés !
Tout ceci n'est donc pas très sain. Les opinions publiques, majoritairement favorables à l'intervention, pourraient vite se retourner. Mais le pire serait que des pays membres de la coalition se retirent. Or, déjà des réserves apparaissent chez certains, citons les Norvégiens et les Italiens par exemple. Par ailleurs les Américains semblent impatients de passer le relais du commandement à quelqu'un d'autre, une des puissances engagées ou encore l'OTAN, ce qui génère des conflits entre membres de la coalition. Le scenario du pire n'est donc pas à écarter, c'est-à-dire la dislocation à terme de la coalition ou sa réduction à sa portion congrue, France et Grande-Bretagne, tandis que l'objectif d'écarter du pouvoir Khadafi n'aura pas été atteint et que ce dernier conservera son pouvoir de nuisance vis-à-vis de son peuple, mais aussi vis-à-vis de certains coalisés dont nous ferons partie avec les méthodes lâches et sournoises qui ont toujours été les siennes.
En fait, à mon avis, il existe actuellement trois scenarii possibles y compris celui que je viens d'indiquer.
L'un de ces scenarii, et c'est celui que semble officiellement privilégier Juppé, c'est que l'armée libyenne va subir rien qu'avec les frappes aériennes un choc psychologique suffisant pour qu'elle laisse tomber Khadafi. A charge ensuite aux insurgés de finir le travail. C'est le meilleur des scenarii possibles, il me semble réaliste, mais évidemment on en est qu'au niveau des hypothèses.
Un autre, si l'armée libyenne reste fidèle, à condition que la coalition tienne ou demeure composée de suffisamment de membres de poids, et à condition également qu'on officialise la volonté de voir disparaître Khadafi de la scène, chez Chavez ou au bout de son lampadaire, peu importe, est un engagement terrestre pour aller chercher le colonel dans son bunker. On ne gagne pas des conflits rien qu'avec l'aviation et des missiles. En dernier lieu ce sont toujours l'infanterie et les blindés qui terminent le travail. Comme les insurgés ne constituent pas une armée, mais une bande armée, ce qui est fondamentalement différent, ils ne pourront pas le faire. Il faudra donc choisir de le faire pour eux… ou pas, auquel cas, on revient vite à un scenario catastrophe. Nous pourrons noter que la résolution 1973 n'écarte pas cette possibilité. Elle écarte simplement une force d'occupation étrangère, pas une force d'intervention.
Entrainement de soldats américains en Italie en ce moment, ce qui signifie que l'hypothèse terrestre est bien envisagée |
En fait cette résolution semble vraiment très mal ficelée. Elle permet en théorie beaucoup de choses, mais une interprétation restrictive pourrait être mise également en avant par certains pour faire capoter à terme cette opération au nom sorti d'un esprit sans doute un peu trop poétique alors qu'on va voir s'accumuler les cadavres. "Aube de l'Odyssée". On n'a pas idée !
Bonjour,
RépondreSupprimerIl n'y a pas de plan B, voilà tout
L''engagement est sous tendu, on l'espère, par une évaluation du renseignement des forces disponibles
du tribal en nuisances immédiates: le parc aérien et le dessein funeste de la colonne se dirigeant sur Benghazi
Le plan B aurait consisté à décider noir sur blanc: que faire si ça ne suffit pas
On aurait d'ailleurs pas trouvé de plan B ou plutôt pas osé l'écrire: commando masqué et balle dans la tête, mais Rambo est à la retraite, assassiner les dictateurs est rare
D'autre part éliminer ce bouffon commence à m'apparaître comme inutile, il y a quelque chose en sous bassement que je comprends mal
- les enfants kadhaf sont ils suicidaires ou ont ils un plan B digne de Machiavel
- on est parti sur une révolution d'un peuple et on arrive par certains discours à une guerre de tribus pour un territoire
40 ans que ce bédouin promu colonel amuse la planète, au jour d'hui il ressemble aux monstres avec lesquels les montreurs de foire font leur beurre
J'ai un plan B' digne d'une play station: raid aérien sur la ou les banques renflouent en papier vert tout ce clan genre famille Adams
Mais où est Machiavel est pour moi la question
L'Histoire nous le dira comme il est d'usage de l'évoquer quand plus personne ne sait qui est qui
PS: savez vous où sont passés les réfugiés tassés aux frontières , parce que Brauman, ancien MSF préfère dire des conneries stratégiques plutôt que de s'en tenir à sa compétence première: soins humanitaires
En fait je ne sais même pas s'il y a un plan A.
RépondreSupprimerQuand les objectifs ne sont pas fixés, on peut toujours prétendre avoir rempli la mission. Mais on peut aussi considérer qu'elle ne l'a pas été.
A moins d'éclaircir les choses, et ça en prend pas le chemin, officiellement tout le monde aura gagné rapidement. Sauf les insurgés et nous bien sûr.
Brauman il vise peut-être une place à la tête du quai d'Orsay dans un futur gouvernement d'ouverture.
Je crois qu'on est mal
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