Malgré tout le respect que je peux avoir pour Jean Daniel,
ses vœux en date du 21 décembre diffusés sur les blogs du nouvel obsm'ont passablement dérangé.
Je ne les reprendrai pas in extenso, mais m'attacherai à certains passages que je trouve pour ma part inquiétants, d'autant plus qu'il ne manque pas de commentateurs pour les approuver.
Jean Daniel dans ses vœux porte haut l'exigence de vérité pour son journal. Ce qu'on ne pourra certes pas lui reprocher. Et le voilà donc, et cela constitue le centre de ses vœux, qui en profite pour nous parler d'immigration et d'islam. Ce qui est d'ailleurs intéressant puisque désormais il est acquis que les deux termes deviennent quasiment inséparables. Et que donc que nous, c'est-à-dire les pouvoirs publics et nous-mêmes, ne pouvons désormais envisager une politique d'immigration et ses conséquences sans en même temps prendre en considération la place de l'islam chez nous. Et quand je dis chez nous, je veux parler d'Europe. Car il serait illusoire ou mensonger de considérer que ce problème d'immigration/islam ne concerne que la France. Je n'essayerai de convaincre personne sur ce point tant cela me semble évident. Cette évidence en amène d'ailleurs une autre : il est absolument réducteur, ou alors il faut être guidé par des idées malveillantes du type "juste retour des choses" ou "repentance oblige" pour lier immigration et décolonisation. Sauf bien sûr si on estime qu'au moins la colonisation offrait la possibilité d'une meilleure régulation de l'immigration. J'ai une amie norvégienne et accessoirement enseignante en Norvège, dont les observations sur l'intégration des immigrés musulmans et dont les conditions de travail avec des élèves issus de cette immigration, sont tout à fait comparables à la situation française : mêmes difficultés et aussi mêmes lâchetés.
Voilà donc ce que nous dit Jean Daniel :
"[…]Heureusement voilà un domaine dans lequel nous n'avons jamais menti. Depuis presque un demi-siècle, nous demandons que la France se prépare à accueillir une immigration sans commune mesure avec celles qui tout au long de notre histoire ont fait de notre pays, une nation.
Il fallait bien sûr que l'on préparât d'abord les Français au caractère inéluctable des flux migratoires qui proviendraient en grande partie des pays jadis colonisés[…]
[…]rappeler que le problème n'est pas seulement entre les musulmans et les « infidèles », mais sépare aussi les musulmans entre eux .Nous savons qu'il y a un islam français, un islam républicain dont les militants réclament notre aide et ne l'obtiennent pas. Mais il ya aussi des musulmans qui n'aiment pas qu'on parle de l'islam français et républicain, et leurs premiers adversaires, ne sont ni les Français, ni les républicains, mais leurs propres frères[…]
[…]Nous n'assistons à rien de moins qu'à la fin de l'arrogance occidentale. C'est-à-dire que nous changeons véritablement de monde. La cécité des droites américaines, européennes et israéliennes est de ne pas observer ce basculement de la planète et cette irréversible redistribution des cartes[…]
Je vois dans ces phrases des choses à la fois effrayantes et contradictoires.
La France est un vieux pays d'immigration. Même si l'intégration des populations immigrées ne s'est pas toujours faite dans une ambiance "bon enfant", elle s'est faite longtemps de manière satisfaisante pour la France parce qu'elle reposait sur des exigences, des exigences qui faisaient que souvent dès la seconde génération on pouvait conclure à une assimilation réussie. Certes, cela s'est fait aussi dans la douleur, mais peut-on réussir une intégration sans souffrance, car toute acculturation est effectivement souffrance. Bien évidemment cela se passe mieux quand elle est consentie, quand on perçoit que son intérêt à l'accepter rejoint le sien et celui du pays d'accueil. Et c'est au prix des sacrifices exigés par la France qu'effectivement les immigrés se sont fondus dans la nation.
Or, en demandant la France à se préparer à accueillir une nouvelle immigration sans commune mesure avec les précédentes, qu'a-t-on effectivement demandé ? De renoncer à l'exigence d'assimilation. Au nom du relativisme culturel, de la repentance ou je ne sais quoi. On voit le résultat. A moins que dans l'esprit de Jean Daniel le "sans commune mesure" se rapporte à la croyance religieuse des nouveaux immigrés, et que donc au nom d'une croyance peu répandue en Europe il fallait s'adapter. Il n'a pas tort : il fallait effectivement mettre en œuvre tous les outils pour parer le choc, soit être encore plus exigeant, en prenant la laïcité comme guide d'intégration. Mais je ne crois pas, hélas, que les choses aient été considérées dans ce sens par l'Obs quand il demandait à la France de se préparer.
Mais il a néanmoins participé à la préparation mentale des Français aux flux migratoires nouveaux, mais également à cette évidence qu'il ne serait tout de même pas très correct de montrer de reprocher à nos nouveaux hôtes le fait qu'ils aient une culture différente dont ils n'est pas question pour eux de se débarrasser, le fait qu'ils souhaitent continuer à respecter ostensiblement cette culture, et le fait que ce serait désormais à eux Français de s'adapter et de voir cette culture s'imposer de plus en plus à la leur.
Je me suis déjà exprimé sur le fait que nos immigrés viennent essentiellement de territoire colonisés. Le phénomène touche aussi les pays qui n'ont pas été colonisateurs. En plus ça devrait être une circonstance aggravante puisque d'une part on les connait depuis longtemps, et d'autre part ils prouvent qu'ils ont été bien incapables d'assumer leur indépendance donc devraient faire preuve d'un minimum d'humilité et de discrétion vis-à-vis de l'ancien colonisateur obligé de les nourrir du fait de l'incurie des régimes qu'ils se sont donnés.
Le paragraphe sur l'islam est assez délirant. Il indique qu'en fait tout est centré sur l'islam. Les musulmans et les infidèles. Comme si l'islam devenait la référence. Alors que le sujet devrait être "l'Etat laïc et ceux qui refusent la laïcité".
Il y a aussi cette tirade sur l'islam de France qui existerait. Comme si une religion pouvait se diviser en religions nationales. L'islam béret baguette de ce côté du Rhin, l'islam choucroute de l'autre.
A moins de considérer que la religion anglicane est le catholicisme anglais, il n'y aura jamais d'islam de France. Ou il y aura alors un schisme. La religion ne changera pas, c'est aux musulmans de changer et de la pratiquer selon les usages du pays, c'est-à-dire avec la discrétion qui doit accompagner l'esprit de la laïcité. Si l'islam leur interdit cette démarche, et bien il y a un problème majeur, un problème d'incompatibilité dont nous ne saurions être les victimes. Mais ça je n'y crois pas car la religion est chose humaine, comme Dieu peut-être, mais ça je ne sais pas, donc peut se soumettre à l'homme. Les autres religions l'ont montré.
Et nous voilà repartis sur le thème de l'arrogance occidentale. Peut-être y a-t-il confusion entre arrogance et fierté ? Mais je ne crois pas qu'il en soit ainsi dans l'esprit de l'auteur. Ça ne repose pas sur grand-chose cette affirmation. Juste un parti pris, ou une haine de soi.
En tout cas, au quotidien l'arrogance n'est pas particulièrement occidentale. Ce ne sont pas les occidentaux qui sont arrogants quand ils sont invités à baisser les yeux quand ils croisent certaines bandes d'immigrés musulmans, ce ne sont pas les occidentaux qui sont arrogants quand les musulmans s'emparent de leurs rues pour y prier, ce ne sont pas les occidentaux qui sont arrogants quand dans certains endroits on les oblige, souvent à leur insu, à bouffer hallal pour respecter les prescriptions religieuses des musulmans présents... C'est vrai que de temps en temps ils expriment leur mécontentement. Mais est-ce de l'arrogance ou de la légitime défense ? Défense de leur culture, défense de la laïcité…
Et bien évidemment pour boucler l'affaire, on peut aussi taper sur les droites occidentales, Israël inclus bien évidemment. Ces droites qui n'ont rien compris, qui n'ont pas saisi un mouvement inexorable, qui devrait bouffer cette arrogante civilisation occidentale et qu'elles s'obstinent à défendre, un peu mal(adroitement) à mon goût d'ailleurs. Ça veut dire quoi ? Soyez de gauche et munissez-vous de tubes de vaseline pour mieux supporter l'inexorable insupportable.
Voilà les vérités de l'Obs selon Jean Daniel. Mais pour ma part je ne vois aucune vérité là-dedans. Juste une vision désespérante pour les uns, souhaitée pour les autres, de l'avenir. Mais je persiste à croire que l'avenir n'est pas écrit, qu'il n'y a rien d'irréversible selon les termes de l'auteur. L'avenir sera ce que nous en ferons à condition de vouloir cesser de subir.