"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 20 mars 2016

Commémorations du 19 mars, célébrations de la honte et du mensonge





Il ne s'agit pas ici de refaire la guerre d'Algérie ou de juger positivement ou négativement la colonisation. Cela ne serait certes pas inutile car ceux qui en parlent le plus, et notamment nos politiques, sont assez ignorants de l'histoire pour ne pas se rendre compte qu'ils sont en plein paradoxe de retournement historique.
Je m'explique rapidement sur ce point. La colonisation de l'Algérie, mais d'autres régions de l'Afrique et d'Asie fut fermement soutenue pendant longtemps et même jusqu'à son terme par ceux dont les héritiers font aujourd'hui le plus de zèle à battre leur coulpe et à trainer la France dans la boue de la repentance. Je pourrais rappeler les propos d'illustres gens de gauche comme Ferry ou Blum, finira-t-on par débaptiser les lieux publics portant leurs noms, qui considéraient la colonisation comme un devoir, un devoir de civilisation. La droite conservatrice, et, soyons juste, la gauche nationaliste (Clémenceau) se montrèrent pour leur part hostiles à la colonisation. La gauche a fait prospérer la colonisation et la droite y a mis fin. C'est une réalité historique. La gauche actuelle, socialiste essentiellement, jette tout aux orties, n'hésitant pas à salir la France, tandis que la droite, en apparence tout du moins, nuance le bilan de la colonisation (souvenons-nous du débat houleux autour des "apports positifs de la colonisation"), et se pose, malgré quelques malheureuses concessions dont Sarkozy fut un spécialiste, en rempart contre le phénomène de repentance. On en déduirait presque, si on voulait ignorer l'histoire, ce pas étant allégrement franchi par beaucoup, que le colonialisme, c'est la droite, et l'anticolonialisme, la gauche. Alors que c'est exactement l'inverse. Au moins Mitterrand qui connaissait l'histoire et se souvenait sans doute de ce qu'il disait quand il était ministre de l'intérieur sous la 4ème République, des trucs dans le style "L'Algérie, c'est la France" s'est-il toujours refusé, très fermement, à faire ce que ceux qui se présentent comme ses héritiers pratiquent avec zèle.
C'est en effet après lui que ça a dérapé, et très vite d'ailleurs puisque dès 2002, alors qu'une majorité socialiste occupe les bancs de l'Assemblé nationale, une loi est votée créant "une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc " le 19 mars. Il faudra attendre plus de 10 ans, le 8 novembre 2012 exactement, pour que le Sénat passé de façon éphémère à gauche, vote également cette loi et rende possible sa promulgation. Ces 10 années de placardisation de la loi auraient pu au moins faire réfléchir sur le fait qu'elle avait ce caractère particulier de diviser les Français, notamment quant à la date retenue. Chirac l'avait compris qui célébra la même chose le 5 décembre, date neutre qui correspondait à l'inauguration par lui-même du monument aux victimes de la Guerre d'Algérie, quai Branly. Au demeurant on s'interrogera aussi sur cet amalgame qui est fait entre l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, très différents tant au niveau des événements qui se sont déroulés dans ces pays que du statut de ces différents territoires à l'époque coloniale. Si on veut faire ce curieux amalgame pourquoi ne pas choisir le 2 mars, date anniversaire de la fin du protectorat au Maroc ou encore le 20 mars qui marque l'indépendance de la Tunisie. Au moins ces dates  n'amèneraient pas les polémiques entretenues autour de la date du 19 mars choisie dans leur sagesse par nos valeureux parlementaires.

Sans doute inspiré, peut-être même dopé par cette loi votée par lui en tant que député en 2002 et qu'il pouvait enfin promulguer en tant de président de la République, Hollande se rendait en Algérie en décembre 2012 où il reconnaissait les souffrances infligées au peuple algérien (on se demande quel peuple?) par la France pendant la période coloniale. Cet épisode m'avait à l'époque inspiré un billet qui peut être lu ici. C'est d'ailleurs pendant ce voyage qu'il rendra hommage au traitre Maurice Audin sur la place portant le nom de ce désormais héros du panthéon de la gauche. Quelques semaines auparavant on aura enfin trouvé une sépulture définitive au Général Bigeard après plus de deux années de tergiversations empreintes de cette louable volonté de ne pas heurter les milieux anti-patriotes qui auraient préféré voir les cendres du grand soldat terminer au fond d'une benne à ordure. La France de la repentance, c'est ainsi : on célèbre ceux qui se sont battus contre elle et l'ont trahie, et on crache sur ceux qui se sont battus pour elle. Gloire éternelle aux porteurs de valises! Et honte à ceux qui qui combattirent en son nom!

Donc dès novembre 2012, les jalons étaient posés. La date de commémoration officielle devenait le 19 mars, chose à laquelle tous les présidents précédents et notamment Mitterrand s'étaient opposés. Restait encore à franchir ce pas décisif de commémorer. Bon! On sait qu'avec Hollande ce processus de franchir le pas peut être long et même parfois ne jamais aboutir tant peut être difficile la synthèse entre faire et ne pas faire et qui n'est pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, toujours faire à moitié. Il laissera donc passer 2013, 2014 et 2015 avant enfin de se lancer. On se demande pourquoi! Si c'est pour faire plaisir à Bouteflika, ce cher malade familier du Val-de-Grâce (vous aurez compris que quand j'emploie le terme cher, c'est dans un sens bien précis), et à sa clique du FLN, c'est raté. Ils n'en n'auront jamais assez puisque la surenchère est le dernier moyen qui leur reste pour se garantir une si faible légitimité.  Dans ces temps troubles pour notre gouvernement, sans doute qu'un clin d'œil adressé à l'aile gauche du parti et au-delà a pu sembler opportun, juste histoire de faire croire que la gauche et la droite c'est pas pareil tandis que les convergences sur les plans économiques et sociaux deviennent de plus en plus évidentes, Europe et mondialisation obligent. Mais là-aussi ça risque d'être un peu léger dans la balance. Les gains électoraux en fonction des histoires des gens directement ou indirectement concernés par ce conflit n'apparaissent pas non plus évidents.
Alors peut-être notre glorieux président agit-il par conviction? Peut-être que dans ce corps présidentiel réside une âme de porteur de valises? Et même la valise qui va avec? On se souvient que dès le lendemain de son investiture à l'issue de primaire socialiste du 16 octobre 2011, le candidat Hollande allait déposer une gerbe au pont de Clichy et reconnaissait la répression du 17 octobre 1961, vous savez ce jour où on jetait par centaines les Algériens à la Seine et dont curieusement un seul remonta à la surface. C'est peut-être là, et seulement là, que se situe l'explication de ce choix dont il ne peut ignorer les conséquences de commémorer le 19 mars les victimes de la guerre d'Algérie et le reste.

Car c'est vraiment un drôle de choix, appelons-ça plutôt un bras d'honneur adressé à la France et à ceux qui l'ont servie, qu'ils proviennent de la rive Nord ou de la rive Sud de la Méditerranée, que cette date du 19 mars.
Le 19 mars, c'est le début officiel du cessez-le-feu au lendemain de la signature des accords d'Evian. Mais c'est surtout le début des grands massacres par le FLN de ses opposants, ce qui allait amener paisiblement l'Algérie vers la démocratie et le bonheur que l'on sait, des notables ayant sympathisé avec les Français, des harkis qui avaient combattu aux côtés de ces derniers, et bien sûr des Européens, Pieds-Noirs auxquels on laissa si on ne les avait pas égorgés le choix "entre la valise et le cercueil" et autres dont encore quelques militaires du contingents notamment.
Le 19 mars, c'est le début d'un moment de honte pour la France, et s'il y a lieu de se repentir, c'est à l'occasion des événements qui suivirent cette date qu'il faut le faire, quand elle abandonna ceux qui avaient cru en elle et s'étaient battu à ses côtés, quand elle sanctionna les officiers qui estimèrent que leur honneur était d'évacuer leurs harkis vers la France plutôt que de les laisser se faire égorger, quand elle assista l'arme au pied aux massacres de ses compatriotes, quand elle tira elle-même sur eux (rue d'Isly), quand en un mot elle demeura totalement passive alors que les accords signés le 18 mars étaient chaque jour violés.

Et c'est donc cette date du 19 mars, non pas celle d'une défaite militaire, car de défaite il n'y eut pas, bien au contraire (contrairement à ce que laisse entendre Sarkozy dans sa critique du choix de cette date), mais celle d'une défaite de l'honneur, du reniement de la parole donnée, de l'abandon des siens que nous sommes supposés accepter comme celle devant commémorer les victimes civiles et militaires de ce conflit tandis qu'un part énorme de ces victimes en fut la conséquence.
En ce jour funeste, je me sens, ô combien, bien plus proche du pauvre harki trahi puis maltraité par la France que de n'importe lequel de nos dirigeants ayant approuvé cette date de commémoration.

4 commentaires:

  1. Bonjour Vald. Je m'attendais évidemment à ce genre de réaction, et je relève l'utilisation polémique du terme "honte" pour des situations opposées par vous et par Anna (de l'Obs).
    Bon, sérieusement, il fallait une date significative pour la mémoire des conflits de décolonisation, et ces dates des 18/19 Mars est un "marqueur" de la fin de l'implication militaire française dans la guerre d'Algérie. Le fait que les accords d'Evian aient été violés par la partie algérienne et également par les factieux de l'OAS est indubitable, tout comme il y a eu des débordements dans l'épuration d'après la libération. Mais la mémoire de ces victimes du transfert de souveraineté est associée à toutes celles de cette guerre. Reprendre la guerre du fait des violations par la partie adverse n'aurait mené qu'à plus de massacres et de victimes, n'en déplaise aux bellicistes et nostalgiques de l'Empire.

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    1. Bonjour Nolats,

      le choix d'une date de commémoration parfois s'impose d'elle-même (11 novembre, 8 mai). En général c'est quand tout finit "bien". Dans d'autres cas et évidemment c'est encore plus vrai quand les acteurs des événements vivent encore, ça peut être douloureux. Pensons par exemple aux Allemands dans les années 20 ou 30 si tant est qu'il se passait quelque chose le 11 novembre. Mais ceux d'aujourd'hui qui sont associés à l'événement n'éprouvent plus cette douleur. Ils commémorent juste. Le sacrifice, la fin des massacres ou je ne sais quoi... un souvenir teinté de reconnaissance ou de compassion, d'admiration peut-être pour ceux qui se sont battus pour leur pays dans l'honneur.
      Mais rien de tout ça ne peut être rapporté à l'Algérie. Il est tout à fait normal, c'est même un devoir de commémorer le sacrifice de ceux qui ont péri là-bas, quelle que soit leur catégorie, mais choisir une date aussi sujette à polémiques est une grave erreur. Les harkis se sont exprimés et prennent ça pour une insulte, une de plus. Je les comprends. Idem pour les pieds-noirs. La majorité des associations d'anciens combattants est également contre (seule la FNACA est pour je crois qui regroupe beaucoup d'anciens appelés). Comment peut-on envisager une commémoration, la commémoration de ceux dont les proches encore vivants furent aussi des victimes et qui considèrent cette date comme une tâche noire de leur histoire. Tout le monde, enfin tous les anciens président avaient rejeté l'idée de commémorer à cette date, et j'imagine qu'ils savaient pourquoi ils refusaient ça. Hollande fait exactement l'inverse et suscite immanquablement la polémique. Mais, désolé du propos, il faut être très con ou vicieux pour faire ça, surtout à un moment où on n'aurai tant besoin d'une unité nationale dont on se rend compte qu'elle ne peut guère durer au-delà des quelques jours d'émotion consécutifs à un drame national.
      Dans 50 ans, tout le monde se foutra de la date de commémoration d'une guerre qu'on n'aura sans doute oubliée. On ne commémorera d'ailleurs sans doute plus rien. En attendant, s'il faut commémorer, tentons de le faire sans heurter les mémoires, et donc pas le 19 mars. Le penser n'est pas se montrer nostalgique d'un empire très éphémère dans notre longue histoire, c'est comprendre qu'au regard de circonstances certes historiques mais dont une bonne partie de ceux qui les ont vécu sont encore vivants, il y a des choses qui ne se font pas.

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    2. Si les précédents présidents ne commémoraient pas les victimes de ce conflit, ce n'est pas tant à cause de la date que du fait que ça a très longtemps été considéré par la grande majorité de l'opinion de métropole comme des évènements à oublier. Or il me semble que c'est une forme d'injustice pour les victimes que de juste rester dans l'ombre. Chirac avait inauguré un monument à une date arbitraire, mais cela ne constitue pas un marqueur pour une commémoration.
      Donc à mes yeux, le problème n'est pas le choix de la date -aucune autre ne serait significative- ni la décision de célébrer (le discours relève bien les violations au traité qui ont été commises), mais la bronca partisane majoritairement issue des nostalgiques de l'AF qui veulent régler des comptes à la décolonisation, et la récupération politicienne par certains opposants qui renient le gaullisme.

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