Je n'aime pas la démocratie.
Enfin, notre démocratie française, européenne, à vocation mondiale,
universelle. Je ne l'aime pas simplement parce qu'elle n'est qu'une apparence,
un joli masque mais déjà un peu fané posé sur une figure hideuse, une
hypocrisie post-moderne, une trahison.
Je n'aime pas notre démocratie
car elle nous impose un horizon unique, celui d'un monde sans frontières, où
les cultures se côtoieraient en se respectant avant de se diluer dans un
ensemble informe où l'homme-citoyen, l'homme-identité perdrait sa place au
profit de l'homme-consommateur. Plus de haine, mais plus d'amour non plus,
juste la jouissance éphémère de la consommation souvent inutile.
Je n'aime pas notre démocratie
car elle tente de disqualifier toutes les alternatives à ce modèle vers lequel
elle veut nous faire tendre. Vous refusez ce monde radieux qu'on veut vous
offrir, donc vous êtes facho, populiste, réac, bref une ordure.
Je n'aime pas notre démocratie
car elle ment. Elle ment comme ont menti le communisme, le socialisme, enfin
tous ces "ismes" qui ne relient rien, surtout pas le passé au présent
ou au futur, et qui au contraire effacent, nient, suppriment, dans toute
l'acceptation du mot, ce qui fut, pour nous donner ce qui jamais ne sera. Marx,
mais d'autres avant lui, Hegel par exemple, et d'autres après lui, ceux qui comme
Fukuyama voyaient dans la chute du communisme la fin de l'histoire, se sont
trompés. L'histoire s'arrête là où nous sommes. L'histoire n'a pas de sens et
l'humanité n'a d'autre destin certain que celui de disparaitre, demain, dans un
siècle, dans dix siècles, dans quelques millénaires. Qui sait? Mais
certainement pas celui de parvenir à une forme d'organisation définitive où
chacun vivrait en harmonie avec son prochain. Jamais personne ne pourra se
proclamer le dernier homme, l'homme abouti.
Je n'aime pas notre démocratie
parce qu'en nous mentant elle cesse ne nous protéger. En nous forçant à aimer
ceux qui ne nous aiment pas, en nous demandant de renoncer peu à peu à ce que
nous sommes, en exigeant de nous qu'on fasse une place de plus en plus grande à
ceux qui ne veulent pas devenir nous, en sollicitant notre compassion pour ceux
qui refusent de se battre pour leur liberté, elle nous trahit. Et pour cela
tout est bon, et même l'odieux. L'image d'un jeune garçon mort sur une plage
vaut tous les arguments pour nous convaincre, tandis qu'elle est censée réduire
à néant ceux qui s'opposent à cette vision. L'image à la place des mots, la
compassion à la place des idées. Voilà où en est ce qu'on appelle le débat
démocratique.
Mais quel débat? De débat il n'y
a pas, de débat il n'y a plus. Les choses doivent avancer comme c'est décidé.
Par qui? Pourquoi? Comment? Ne posez pas ces questions, vous n'aurez pas les
réponses ou vous en aurez qui n'y répondent pas mais fustigeront votre cœur
sec, quand il s'agira de recueillir des malheureux, forcément malheureux, votre
populisme, quand il s'agira par exemple de porter une appréciation sur le
bien-fondé de l'évolution de l'Union
Européenne, votre racisme, votre islamophobie, quand vous critiquerez certains comportement et mettrez en doute le
modèle actuel d'intégration à la française. Etc. Donc ne posez pas ces
questions, posez les-vous et tentez d'y répondre. C'est la seule voie encore
possible dans notre belle démocratie, même si elle devient de plus en plus
étroite.
Car à cela aussi on veille notamment par le
biais de ce qu'on appelle l'éducation nationale mais qu'il faudrait sans doute
renommer rééducation nationale puisque c'est bien l'entreprise que sous-tendent
les différentes réformes dont elle est l'objet en remplaçant ce qu'on appelait
la culture de l'honnête homme ou mieux la culture générale par un
endoctrinement à ces magnifiques valeurs en pointe, inutile d'en faire le
triste inventaire, qui aideront à mieux rejeter un passé que de toute façon on
n'enseigne plus ou juste de façon fragmentaire pour montrer à quel point il est
urgent de couper les liens qui nous unissent à lui. Chacun aura pu remarquer
que ce sont toujours en premier ce qu'on nomme par défaut les matières
littéraires, en fait tout ce qui n'est pas scientifique, qui sont la cible de
tous ces changements. On ne peut guère se passer d'ingénieurs,
d'informaticiens, de scientifiques en général, mais on peut éviter qu'ils pensent
trop hors de leur domaine de compétence.
Quant à ceux qui échapperaient au
formatage, et qui donc pourraient penser autrement, on peut aussi s'occuper de
leur cas. Si on ne peut les empêcher de penser, empêchons-les de s'exprimer.
D'abord en les identifiant grâce au moyens de surveillance, désormais légaux
grâce au terrorisme, la peur devenant évidemment également un outil de
gouvernement en démocratie, et en les réprimant ensuite grâce à une nième loi
avant la prochaine qui sera encore plus rigoureuse parce que ça le vaut bien
sur l'égalité et les discriminations.
Mais comment on est-on arrivé là?
Sans doute pour commencer à cause
de la peur. Et comme chacun sait la peur conduit à l'irrationnel. Quand après
la guerre l'Europe sinistrée, en reconstruction, s'est sentie menacée par la
puissance soviétique elle s'est tourné
vers son grand allié et lui a confié les clés de sa défense. La France empêtrée
dans ses guerres coloniales, que le grand allié au passage s'acharnait à lui
faire perdre, a connu un sursaut à ce qui figurait un premier abandon de
souveraineté. C'était sous de Gaulle. Mais ce fut juste un moment que le
tropisme atlantique de ses successeurs, à partir de Mitterrand, a définitivement
ravalé au rang d'épisode historique. La politique de défense a été sans cesse
sacrifiée, par tous, sans exception, en même temps que l'esprit du même nom. Je
ris de ceux qui réclament avec insistance le rétablissement du service national
mais refuseraient de voir leurs enfants combattre pour la France. Et ce ne sont
pas nos interventions africaines que jamais nous ne mènerons jusqu'à leur
terme, faute de moyens, qui pourront cacher nos énormes lacunes en termes de
défense. S'agissant des autres pays européens, mis à part la Grande-Bretagne
sensiblement à notre niveau, ce fut encore pire. Tous, nous sommes devenus des
nains, aimant jouer aux grands dans les G quelque chose, parfois grâce à un
siège de membre permanent au conseil de sécurité de l'ONU. Une première
inversion des normes s'est produite : ce n'est pas la puissance qui donne le
poste, mais le poste qui procure l'illusion de la puissance. C'est juste une
honte, une honte pour nos dirigeants successifs d'avoir préféré vivre sur une
rente que de s'être donné les moyens de tenir leur rôle. Les curieux jetteront
un œil sur l'utilisation par pays du droit de veto. C'est édifiant! France et
Royaume-Uni, les deux pays européens sont à la remorque. Même en 2003, après le
flamboyant discours de Villepin, il ne fut pas utilisé. Mais quelle diplomatie
peut-on espérer dès lors qu'on se prive d'un de ses outils majeurs? Et comment
ne pas lier souveraineté, donc possibilité pour la démocratie de s'exercer, et
diplomatie?
Ensuite il y a l'affaissement de
la nation en tant qu'idée. La nation ce n'est pas ce que ces adversaires
veulent en montrer, ni non plus les divagations de certains de ceux qui
prétendent la défendre à coup de battes de base-ball. Les deux en ont une même
conception étriquée, caricaturale, fausse. Je vous renvoie à Renan pour
comprendre ce qu'est la nation. La nation s'oppose à la fois à l'universel et
au particularisme en son sein. On ne confondra pas particularisme avec
folklore, traditions régionales, croyances. Le particularisme c'est refuser un
héritage commun et se réclamer d'un autre, c'est placer sa communauté
particulière au-dessus de la communauté nationale, c'est n'envisager un projet
commun que dans la mesure où ses intérêts, ses croyances en constitueront le cœur.
De Gaulle dans ses interventions,
dans ses discours, dans ses écrits parle de la France et finalement très peu
des Français. Parce que c'est un ensemble, parce que les intérêts de la
première sont ceux des seconds, parce que ces derniers lui sont subordonnés.
Les politiques qui nous gouvernent parlent très peu de la France, pas beaucoup
des Français, mais s'intéressent à ce qu'on appelle les minorités. Il n'y a
plus de France, mais des groupes, des communautés avec leurs intérêts propres
et dont le but est souvent de montrer combien ils ont été et sont maltraités
pour obtenir sollicitude et réparations. On oppose souvent, et avec raison,
égalité et liberté, mais quand une nation se disloque en communautés, celle
d'origine, celle qui fait le lien entre le passé et le présent, la nationale,
devenant la laissée pour compte, la méprisée pour ses actes passés et
soigneusement sélectionnés, c'est la fraternité qui est mise à mal bien
davantage que la liberté. Même si corrélativement, comme évoqué un peu plus
haut, la liberté d'expression se trouve de plus en plus menacée pour que ne
s'exprime pas justement la dislocation du lien fraternel qui accompagne l'idée
nationale.
Si je m'exprime sur la nation,
c'est parce que je pense que c'est le cadre idéal pour la pleine expression de
la démocratie. Quand les références sont communes, quand le socle des valeurs
est le même pour tous, quand la volonté de continuer à vivre ensemble existe,
on peut préparer l'avenir ensemble. Et n'est-ce pas cela la démocratie que de
se choisir un avenir, un projet communs. Quand ce que je viens de décrire n'existe
plus, la démocratie est condamnée à terme, même si elle passe par diverses
formes de simulacre entre temps. Ce sera le coup de force d'une communauté pour
faire prévaloir ses droits sur ceux des autres, ou alors si on veut rester dans
un cadre légal et rester patient la démocratie se réduira à l'expression d'un
vote ethnique ou religieux et aura comme seule référence la démographie. Ces deux
voies existent sur d'autres continents, un en particulier. Et ce sera une farce
de l'histoire que de voir celles-ci importées chez nous tandis que nous nous targuions
d'exporter nos universelles valeurs.
Je ne m'étendrai pas sur les
délégations de souveraineté que nos pays démocratiques ne cessent d'opérer.
J'ai évoqué plus haut le cas de la diplomatie. J'ai amplement parlé de ça et
d'autres domaines dans d'autres billets consacrés à l'Europe dont on voit bien
qu'elle commence à avoir hâte elle-même de déléguer à un plus puissant qu'elle ce
que lui ont délégué ses membres. C'est juste une question de temps, pas
beaucoup d'ailleurs. L'organisation de la société, les rapports sociaux sont
eux-mêmes soumis à des juridictions extérieures, cour européenne de justice,
cour européenne des droits de l'homme par exemple. L'uniformisation est en
marche, foulant aux pieds des siècles d'histoires, de traditions et d'esprit
nationaux.
Or que vaut la démocratie si les décisions
concernant son pays, concernant sa communauté nationale, sont prises ailleurs,
et échappent complètement aux personnes qu'on élit supposément pour faire ce
travail en notre nom.
Que valent des élections qui se
réduisent à un grand spectacle du style star'ac, où on choisit davantage des slogans
que des idées dont on sait qu'elles ne se traduiront pas en actes? En 2007 ce
fut "La France tu l'aimes ou tu la quittes" qui avait remporté le
grand prix du jury, le jury c'est nous, en 2012 ce fut "Mon ennemi c'est
la finance". Ceux qui n'aimaient pas la France ne l'ont pas quittée (ce serait
d'ailleurs ceux qui l'aiment qui auraient tendance à la déserter) et d'autres qui
ne l'aimaient pas davantage y sont venus en masse. Quant à la sortie sur la
finance prenons ça pour une blague dont est coutumier celui qui en est
l'auteur, et tant pis pour ceux qui y ont cru.
Mais ne nous y trompons pas, les
deux bords qui se partagent le pouvoir depuis des décennies finiront par
s'unir, un peu comme cela se fait en Allemagne. Leurs conceptions globales du
monde ne varient qu'à la marge, j'allais dire sociétale (et encore, ce sont
souvent des postures!). Ils devront faire bloc contre ceux qu'on nomme souvent
avec mépris les souverainistes pas encore organisés, très dispersés, puisqu'on
les trouve de part et d'autre de l'échiquier politique et même parfois au sein
des partis dits de gouvernement, et trop souvent mal représentés. J'ai la
faiblesse de croire que les souverainistes sont majoritaires, au moins en France,
du moins ceux qui pensent que c'est à eux de déterminer leur destin au sein d'une
même communauté nationale. Mais ils ont forcément tort puisque ce n'est pas la
voie qu'on nous somme de suivre. Le vote "utile", le système
électoral auront de toute façon raison d'eux.
Non je n'aime pas une démocratie
d'où le peuple est très absent et le sera de plus en plus.
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