La nouvelle crise que connait
actuellement l'Europe est certainement beaucoup plus révélatrice de l'inconsistance
de cette dernière que n'importe quelle autre crise l'ayant précédé.
Si la précédente crise grecque a
pu démontrer que seul un modèle économique était envisageable au sein de l'UE,
quitte à briser une nation, quitte à jeter sa souveraineté, et même un semblant
de souveraineté aux ordures, la crise des migrants nous entraine sur un terrain
beaucoup plus sensible puisqu'il touche aux valeurs, et à des questions de
culture et de civilisations. Et on ne pourra pas traiter une crise sous-tendue
par de telles questions par une suite de réunions nocturnes permettant aux
dirigeants européens quand l'aube commence à blanchir de s'auto-congratuler de
leurs performances et de vanter la solidité d'une Europe qui sait vaincre les
obstacles qui se présentent à elle et donc continuera à avancer. Alors tout le
monde est content (sauf les Grecs) parce qu'on peut continuer à faire semblant.
Non cette fois les choses sont
plus graves, bien plus graves, parce qu'il ne s'agit pas de modèle économique,
mais de civilisation. Et c'est là que les pays de l'Europe des quinze doivent commencer
à se les mordre, je ne vous dirai pas quoi, d'avoir accueilli des nations qui ne
semblent guère avoir envie d'évoluer dans le "bon sens". Ça ne manque
pas d'ailleurs d'ironie, ou disons que la situation est pour le moins paradoxale
puisque les Etats qui ont fini par rejeter dans les faits, par principe
idéologique ou par faiblesse, le concept d'intégration chez eux, en sont à
reprocher à ceux qui préservent ce principe jalousement de ne pas s'intégrer à
une certaine Europe des valeurs, leurs valeurs. C'est un peu comme cet esprit Charlie
qui permet de tout exprimer sauf ce qui va contre la pensée dominante ou cette
jurisprudence désormais établie qui permet d'insulter Morano mais surtout pas
Taubira.
Donc si on se situe au niveau de
l'Europe on distingue deux blocs. Le premier occidental disposé à accueillir
massivement et sans être trop regardant sur leur qualité des migrants ou des
réfugiés, et le second oriental, correspondant aux Etats jadis sous la coupe
soviétique, très attaché à l'idée de nation, à la préservation de sa culture et
à une certaine conception de la civilisation européenne. Il peut certes y avoir
quelques variantes, comme par exemple le Danemark, qui bien que faisant partie
du bloc occidental ne semble guère disposé à accueillir de migrants, mais dans
l'ensemble la coupure suit le tracé au
nord de la frontière Oder-Neisse et plus au sud de ce qui fut le rideau de fer.
Concrètement dans les discours ça
donne ça :
"Les migrants qui fuient la guerre, les persécutions, la
torture, les oppressions doivent être accueillis. Ils doivent être traités
dignement, abrités, soignés. Notre devoir, c'est de trouver des réponses
durables, fondées sur des valeurs : humanité, responsabilité, fermeté."
(Valls). Ne me demandez pas ce que fermeté vient faire là-dedans. C'est juste
un mot que Valls se doit de placer dans chacun de ses discours, même si ça
tombe comme un cheveu sur la soupe.
Ou encore Merkel déclarant que "Les migrants sont l'avenir de l'UE"
Et à l'opposé on a ça : "J'ai aimé quand la chancelière a dit, il y a
environ un an et demi, que le multiculturalisme était mort [vous aurez
remarqué le coup d'estoc porté à Merkel ou plus gentiment dit le pointage d'une
contradiction]. Car la menace du
terrorisme est une chose. Mais il y a aussi le défi de l'intégration de ces
musulmans. En Europe, elle ne s'est pas faite: des sociétés parallèles vivent
les unes à côté des autres. Je ne dénie pas à une nation le droit de
fonctionner de telle façon. Mais nous, en Hongrie, nous ne voulons pas suivre
cette voie. Les musulmans ont une approche de la vie tout à fait différente de
la nôtre. Et face à eux, nous ne sommes pas du tout compétitifs. Si nous,
chrétiens, laissons les musulmans rivaliser avec nous sur le continent, nous
serons surpassés en nombre, c'est mathématique." (Orban)
Pour résumer les positions des
uns et des autres, on a d'un côté "nous
avons le devoir d'accueillir les migrants qui constituent d'ailleurs un bienfait
pour nous et même notre avenir" et de l'autre "nous avons eu le temps d'observer ce que vous avez fait de vos
migrants musulmans, la manière dont ils se comportent chez vous, et ça ne nous
donne vraiment pas envie, mais alors pas du tout, d'en accueillir. Il en va de
la survie de notre civilisation." Cette dernière position, même si
Orban reste à peu près le seul à avoir un langage clair sur le sujet,
c'est-à-dire qu'il ne tortille pas de l'arrière-train comme c'est de coutume
dans les milieux politiciens pour exprimer sa pensée, semble largement partagée
par ses homologues de l'est de l'Europe. Quand le président slovaque par
exemple déclare qu'il veut bien accueillir des migrants seulement s'ils sont
chrétiens il exprime les mêmes préoccupations. Enfin des islamophobes (voir le
sens de ce mot!) qui s'assument dans l'Europe molle et bienpensante! Et même
pas une association qui pourrait les trainer en justice!
Tout cela est bien beau et
pourrait paraitre simple : d'un côté les progressistes qui ont compris le monde
et considèrent ringard de vouloir défendre une civilisation qui n'est pas
supérieure aux autres et qui de toute façon va s'écrouler à cause de la
démographie (d'ailleurs qui paiera nos retraites si les migrants ne remplacent
pas les enfants que nous n'avons pas faits?), et de l'autre les ploucs arriérés
de l'Europe de l'est qu'on a sortis du communisme (!) et qui sont trop cons
pour comprendre comment les choses doivent fonctionner. De toute façon comme
ils sont minoritaires, comme ils ont
besoin du pognon de l'Europe, on finira bien par les mettre au pas. Le charisme
de Juncker y pourvoira.
Mais ce n'est pas si simple.
Parce qu'au sein des pays "progressistes" les opinions sont aussi
divisées qu'elles le sont au niveau des Etats européens. Plus de la moitié des
Français sont opposés à l'accueil de migrants par exemple, et sans doute n'est-ce
pas le seul pays concerné par cette dissidence d'ailleurs relayée par quelques
élus, rapidement mis au ban de la société et qui devront sans doute s'expliquer
devant un tribunal de leur déviance idéologique. Et ce n'est pas un nième
discours de Valls sur la fermeté qui fera changer les gens d'avis. "Il y a chez nos compatriotes un malaise, une
inquiétude, un sentiment de désordre …Je veux dire aux Français que le
gouvernement maîtrise la situation." La
dernière phrase d'ailleurs risque d'élever le niveau de méfiance! Ce ne sera
pas non plus une photo et même un diaporama. Le fait est que les résultats de
quelques décennies d'une immigration de type non européen, que l'échec d'une
intégration qui n'est d'ailleurs plus de mise, parlons désormais d'inclusion,
que l'avènement du multiculturalisme et ses grand succès, mais aux dépens des
populations de culture française, génèrent effectivement assez de malaise, d'inquiétude et sont suffisamment
sources de désordre pour qu'on ait guère envie d'ajouter du bordel à ce dernier. Et j'ose
imaginer que ça peut être pareil dans d'autres pays de l'ouest de l'Europe, et
peut-être même en Allemagne si on se réfère à quelques événements passés et
notamment ce besoin de Merkel il y a deux ou trois ans de décréter l'échec du "Multikulti".
Alors la question est donc de
savoir si la voix de l'Europe est la voix des Européens ou si elle la
contredit. Le porte-parole des Européens, du moins de leur majorité, est-il
Orban tandis que celui de l'Europe serait Merkollande? Et donc qu'en est-il de
la démocratie dans cette belle union? Mais là vous connaissez mon opinion à ce
sujet.