Mon
 précédent billet n’avait aucunement l’objet de faire une apologie de 
l’Algérie Française et des militaires qui participèrent au putsch de 
1961, mais d’émettre une critique sur les appréciations de certains 
membres éminents, juste par la place qu’ils occupent et non par leur 
personnage, de ce gouvernement à propos de la décision du conseil 
municipal de Béziers de débaptiser la rue du 19-mars-1961 pour lui 
donner le nom d’un officier français ayant pris part à ce putsch. Je 
trouvais en effet indécent qu’au nom d’un combat politique 
circonstanciel contre le FN, on en vienne à faire des amalgames douteux 
entre Hélie de Saint Marc, dont j’ai rappelé brièvement les références, 
et un parti qualifié d’antirépublicain, on se demande d’ailleurs à quel 
titre puisqu’il n’est pas interdit et participe à a vie politique 
française depuis une quarantaine d’années, et qu’en même temps on 
dénonce la nostalgie, mais aussi la douleur, de Français arrachés à leur
 terre de naissance et celle de leurs ancêtres.
Curieux
 ce pays où il faut comprendre et surtout ne pas fustiger l’attachement 
des immigrés à leurs racines, tandis que des Français se voient dénier 
ce droit et doivent subir les insultes d’un premier ministre.
Curieux
 également ce pays où un homme décoré de la francisque a pu devenir 
président de la république, tandis qu’un officier résistant, déporté, 
ayant combattu pour la France en Indochine puis en Algérie, ne pourrait 
pas être honoré par la pose d’une plaque portant son nom sur les murs 
d’une rue, à cause d’actions pour lesquelles il a été puni et privé de 
liberté avant d’être plus tard amnistié puis réhabilité dans tous ses 
droits civils et militaires. Que penser alors de ces distinctions qui 
lui furent décernées ultérieurement dont la plus haute dignité qui 
puisse être obtenue, celle de Grand-Croix de la Légion d’Honneur qu’il 
reçut des mains du président de la République en 2011 dans la cour des 
Invalides, ce panthéon des militaires ? Comment penser qu’un homme 
titulaire d’une telle distinction (en fait dans le langage LH, c’est une
 dignité) soit indigne de voir une rue de France porter son nom ?
 Il
 y a là vraiment quelque chose qui ne colle pas. Et ce quelque chose 
c’est avant tout dans la tête d’un ministre dont on se demande bien ce 
que lui a donné à la France, et qui ose déclarer « Avec Denoix de 
Saint Marc, Ménard et FN montrent leur visage : réécrire l’Histoire, 
mépriser la mémoire et s’en prendre à la République » (Le Foll – au
 moins un qui porte bien son nom). Voilà le sort fait à la mémoire d’un 
homme dont la République a jugé qu’il était digne de la plus haute 
récompense qu’elle pouvait lui accorder, il y a juste 4 ans.
Mais
 ce que n’a pas compris ce ministre, ce que n’a pas compris le premier 
ministre, c’est que la décision de Hélie 
de Saint Marc au moment où il décide de rejoindre le général Challe n’a 
rien à voir avec l’Algérie française, avec un amour immodéré de la 
colonisation et de toutes ces choses auxquelles on tente de le rattacher
 par des paroles abjectes.
Car
 c’est bien à cela qu’ont mené certains commentaires faits à l'occasion de cette affaire, peut-être pour justifier les paroles indignes de 
ministres ou autre individus de gauche, à ramener le sujet sur toujours 
le plan de la morale qu’affectionnent ces gens : la colonisation, c’est 
pas bien, donc les putschistes qui aimaient la colonisation, c’est pas 
bien. Ou encore on se la joue légaliste : comment honorer une personne 
qui s’est rebellée contre la République ? Aux auteurs de ces 
commentaires, Hélie de Saint Marc aurait pu répondre ceci, écrit dans 
« Toute une vie » : « Je crains les êtres gonflés de certitudes. Ils me semblent tellement inconscients de la complexité des choses… » .
Soyons
 clairs, il ne s’agit pas ici de faire l’apologie ou le procès de la 
colonisation, celle de l’Algérie en particulier puisque ce fut notre 
seule colonie de peuplement. Il ne s’agit pas d’opposer les grands 
moralistes porteurs d’une vérité définitive pour lesquels tout est à 
rejeter, pour lesquels tous ceux qui y ont participé, militaires, 
médecins, missionnaires, instituteurs, bâtisseurs, grands et petits 
propriétaires, agriculteurs, ouvriers, employés, fonctionnaires,…, 
étaient des salauds, à ceux qui regrettent cette époque (aussi parmi les
 anciens colonisés) ou à ceux qui préfèrent s’attacher à sa complexité 
et refuser toute certitude définitive à ce sujet, qui peuvent à la fois 
noter les injustices et même le caractère oppressif tout en relevant les
 bénéfices qu’ont pu en tirer les colonisés. Non, ce n’est pas le sujet 
et ça ne peut pas être le sujet si on s’intéresse au cas de Saint Marc 
et aussi de beaucoup de militaires. On pourrait commencer par Bugeaud 
qui eut ce rôle déterminant qu’on connait dans la conquête tandis qu’il 
était plus que réservé quant à son opportunité.
Il
 ne s’agit pas non plus de regarder cela sous le prisme de la légalité. 
Les putschistes savaient qu’ils étaient hors-la-loi, savaient ce qu’ils 
risquaient et n’avaient d’ailleurs sans doute pas de grande illusion 
quant aux chances de leur succès. Mais ça ils l’ont assumé. Saint Marc 
s’est lui-même constitué prisonnier et a accepté la justice de son pays,
 mais sans jamais regretter ses choix qu’il a assumés sans jamais tenter
 de rejeter la faute sur un échelon supérieur.
Oh,
 non ! Le problème est bien plus complexe que cela. Peut-être pour 
comprendre cela peut-on reprendre cette déclaration du général de 
Pouilly, qui ne participa pas au putsch, lors du procès Salan : « Choisissant
 la discipline, j’ai également choisi de partager avec la Nation 
française la honte d’un abandon… Et pour ceux qui, n’ayant pas pu 
supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira 
sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre. » Ceux qui 
ont pu parler avec des officiers ayant participé à cette guerre, 
putschistes ou légalistes, et notamment des officiers ayant commandé des
 harkis, n’auront pas manqué sans doute de noter cette ambiguïté chez 
certains : des légalistes pas vraiment fier d’avoir choisi la 
discipline, la voie considérée comme honorable, et portant sur eux un 
poids que les années n’atténuaient pas, et des réprouvés n’éprouvant 
aucun regret quant à leurs choix pourtant coûteux pour eux.
Et
 quelle était la place de l’Algérie française dans le cœur de ces 
derniers quand ils se sont rebellés ? Souvent bien moindre que celle 
d’avoir à choisir entre ce qu’ils considéraient être un déshonneur et 
leur honneur. Evidemment à ce niveau, l’incompréhension peut submerger 
certains esprits à la vision trop étriquée.
Pour
 les aider à y voir plus clair, voilà une autre citation, une très 
vieille citation du Maréchal de Monluc qui servit François 1er, Henri II, François II, Charles IX et Henri III : « Mon épée au Roi, mon âme à Dieu, mon honneur à moi ».
 Retirons la référence à Dieu, et il reste en actualisant, le devoir et 
l’honneur, le devoir vis-à-vis de la nation et l’honneur qui appartient à
 chacun. Trop souvent on mesure l’honneur d’un individu à la façon dont 
il accomplit son devoir. Or c’est juste écart par rapport à une norme 
qui est mesuré et qui ne présage en rien du sentiment que peut éprouver 
celui qui fait l’objet de cette appréciation. La citation du général de 
Pouilly est plus qu’éclairante à ce sujet. Il n’y a pas d’honneur dans 
l’obéissance aux ordres, il peut y en avoir dans la désobéissance. Il 
n’y a pas d’honneur à faire son devoir, celui qu’on attend de celui qui 
choisit de s’y soumettre. On le fait bien, mal, avec toutes les nuances 
possibles. C’est dans les situations d’exception que se manifeste 
l’honneur, par un choix qui peut faire sortir de la voie du devoir. 
L’appréciation qui est portée ensuite par les autres, et qui dépend 
essentiellement du résultat de ce choix n’a qu’une importance relative 
pour celui qui le fait. De Gaulle, général rebelle en juin 1940, a 
choisi l’honneur. Saint Marc, officier rebelle en 1961, a aussi choisi 
l’honneur. Ils ont choisi leur honneur parce qu’ils considéraient que 
suivre les ordres, que rester dans la légalité, allait contre ce qu’ils 
étaient au plus profond d’eux-mêmes. Ni l’un, ni l’autre au moment où 
ils font leur choix, ne se soucient des conséquences, pour eux, pour 
leurs proches.  L’histoire a donné raison au premier, reconnaissant le 
droit et même le devoir de désobéissance dans certains circonstances, et
 redéfinissant ainsi la norme mais juste de façon provisoire. Elle a 
donné tort au second, devenu traitre à son pays, et devant en subir 
toutes les conséquences. Même démarche, mais résultats opposés avec 
cette ironie qui voit le rebelle de la veille vouloir la peau de celui 
qui se rebelle contre lui. Mais il ne peut en être autrement et sans 
doute est-ce raisonnable que cela se passe ainsi pour le bien du pays.
Mais
 ensuite ? Ensuite vient le temps de la réconciliation, par nécessité, 
de Gaulle se montrant finalement davantage impitoyable avec les 
putschistes qu'avec les collabos dont la France avait besoin pour son 
administration, ils étaient si nombreux, ou par souci d’apaisement. Et 
puis peut venir le temps de la compréhension et pourquoi pas de la 
réhabilitation. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi Saint 
Marc et d’autres ont choisi cette voie. Il faut lire et relire cette fameuse déclaration
 qu’il fait à l’occasion de son procès pour comprendre que ce n’est ni 
l’ambition, ni la haine de la République, ni la défense de la 
colonisation qui est au cœur de sa décision, mais juste l’impossibilité 
d’obéir à des ordres remettant en cause la conception qu’il a de son 
métier et de lui-même.
Je reprends quelques éléments de cette déclaration : « En
 Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous 
avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir 
l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, 
l’égalité politique[…] Et puis un jour, on nous a expliqué que cette 
mission était changée […] qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon 
possible de l’Algérie […] Alors nous avons pleuré […] Nous nous
 souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années 
d’abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de 
l’évacuation de la Haute-Région (référence à l’Indochine), des 
villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en 
pleurant dans la poussière de la route […] Nous pensions à toutes ces 
promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à 
tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient 
choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient 
chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces 
inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas 
d’Algérie : “ L’Armée nous protégera, l’armée restera “. Nous pensions à
 notre honneur perdu. » Que dire de plus après ces mots?
Faut-il
 être petit, minable, pour penser que l’auteur de ces paroles et compte 
tenu des services qu’il a rendus à son pays ne mérite pas de donner son 
nom à une rue !
 
 
Merci, Mon Colonel, pour cet article. Il remet les choses en place, et les faits à leur juste valeur. Notre valeureux ancien n'en avait pas besoin, bien sûr, mais cela fait chaud au cœur de certains (pas tous...) de vos compatriotes.
RépondreSupprimerJe vous remercie pour votre lecture et ce commentaire.
SupprimerJe crois qu'il faut rester vigilant, c'est notre devoir de veiller sur la mémoire des homes de cette trempe. Des personnages comme Hélie de Saint Marc, du fait de l'inculture historique crasse qui envahi la tête de nos jeunes contemporains, peuvent à dessein être présentés comme les pires salopards par ceux qui se pensent dans le "camp du progrès" et pire par des gouvernants dont le premier devoir devrait être d'honorer la mémoire de ceux qui ont consacré leur vie à leur pays d'une façon exemplaire, mais préfèrent aller s'afficher avec l'ancien ennemi pour faire acte de repentance.