"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

lundi 1 février 2016

Comprendre ce qui nous arrive




La France, comme beaucoup de pays européens, est confrontée à une crise majeure. Chacun le perçoit, à sa manière. On notera tout de même de larges évolutions dans cette tentative d'appréhension d'un phénomène dont on peut se demander s'il est global ou s'il n'est qu'une accumulation d'événements sociaux disjoints ayant peu, voire pas, de rapports entre eux. Peut-on lier par exemple la révolte des cités de 2005 avec le terrorisme islamique qui se manifeste sur notre territoire?

Certains ne franchiront pas ce pas. C'est le cas par exemple de Hollande qui dans ses vœux voit l'ennemi en Syrie et nous conte qu'une fois l'EI éradiqué, le danger terroriste islamique sera écarté. Ce n'est évidemment pas mon avis puisque je vois dans les manifestations d'hostilité meurtrière qui nous ont frappés en 2015 le point paroxystique d'un phénomène entamé avec, chez nous, le regroupement familial décidé en 1974 par Giscard et Chirac, et peut-être même avant avec la guerre d'Algérie. En tout cas le regroupement familial nous faisait passer d'une immigration de travail donc supposée transitoire à une immigration de peuplement donc durable et même souvent définitive. Mais sans que pour autant soient réévaluées les exigences en termes d'intégration ou d'assimilation, sans que pour autant les règles en termes d'acquisition de la nationalité, droit du sol, naturalisations, ne soient durcies, voire remises en cause. On peut donc s'émouvoir du fait que des Français tuent aujourd'hui des Français, moi, ce qui m'émeut, c'est que ceux qui tuent des Français aient pu devenir Français. Ou pour être plus clair, aient pu devenir Français sans qu'on se soit assurés qu'ils partagent les mêmes valeurs fondamentales que les Français, et qu'ils aient le sentiment d'appartenir à la même communauté nationale.



Mais, reconnaissons-le, cette position ne fut pas très en vogue durant ces dernières décennies. Et même oser l'affirmer vous classait immédiatement dans le camp des nostalgiques des heures les plus sombres de notre histoire. La situation a bien évidemment évolué depuis quelques années. Ce qui ne pouvait être dit sans passer pour la réincarnation de Hitler commence à l'être. Certes les réactions restent virulentes, et même le sont de plus en plus. Désormais on dresse des listes, la liste de la fachosphère, celle des néo-réacs, celle de ceux qui font le jeu de qui-vous-savez, tout ça étant évidemment bien vide de sens mais destiné à frapper les esprits. Du reste on se demande lesquels. La majorité de la population ne les entend plus, on appelle ça la dérive droitière. Sacré dérive! Qui déborde même souvent la droite qu'on appelle républicaine sans doute pour signifier qu'elle fut très longtemps et demeure encore très perméable au fameux discours dit lui progressiste car tressant les louanges de tout ce qui est différent, crachant son mépris sur ceux qui s'accrochent à l'identité française forcément nauséabonde et encensant ceux qui revendiquent la leur, étrangère. Cela dit, on a quand même un peu le sentiment que le dernier carré sentant sa défaite proche en fait un peu beaucoup. C'est un chant du cygne qui ressemble au croassement du corbeau.

En attendant il faut continuer à souffrir ceux-là et surtout à souffrir de leur influence qui reste disproportionnée par rapport à leur volume, grâce aux médias, même si ça commence à faiblir, grâce aux associations par nous subventionnées, grâce à la culture officielle également subventionnée. On comprend d'ailleurs pourquoi tout ce beau monde s'accroche à ses positions. Et puis c'est quand même plus sympa et confortable de s'admirer mutuellement le nombril en se disant qu'on est des gentils, des précurseurs d'une société harmonieuse, en ayant les moyens d'éviter les inconvénients de celle qui existe, que de jouer les Cassandre. C'est plus facile de dire que les difficultés rencontrées dans cette marche vers le nirvana sont le fait d'une société nostalgique et rance (devenus synonymes) qui ne veut pas disparaitre et se referme sur elle-même, que d'avouer qu'on s'est planté et que ce qu'on appelle la diversité pour ne pas dire le multiculturalisme est source de tous les désordres et même, on le voit clairement désormais, de toutes les haines. Ce refus de reconnaitre ses erreurs explique très bien ces réactions démesurées de rejet vis-à-vis de ceux qui dénoncent les dérives du modèle qui était la référence.



Mais au-delà de tout cela, ce qui est frappant, c'est souvent la faiblesse des analyses censées expliquer notre situation. Si dans le futur, et à condition que cela reste possible car les positions dominantes actuelles ne nous offrent que de sombres perspectives quant à la possibilité de réfléchir et de s'exprimer, on entreprend de caractériser notre époque, on dira sans doute que c'était une période du vide de la pensée. Ceux qui se risquent en effet à une pensée dissidente mais construite sont davantage la cible de ceux qui pensent se situer dans ce qu'on pourrait appeler le sens de l'histoire, chose éminemment absurde, que ceux qui s'opposent à eux par un discours qui n'est que le miroir du leur. Pour être plus clair, ceux qui se présentent comme nos élites et qui n'ont de cesse de réduire une pensée qu'ils estiment dissidente tandis qu'elle est juste différente et mérite d'être envisagée autrement que par des anathèmes en forme de slogans, ceux qui font de Onfray, Finkielkraut et consorts des porte-paroles du FN, en finissent par nous imposer de choisir entre justement le FN et leurs délires multiculturalistes. On remarquera au passage la responsabilité des politiques incapables de se saisir de cette pensée différente et qui pourtant semble correspondre à ce que ressent une bonne partie de nos citoyens et qui nous enfoncent dans cette triste alternative. C'est la crise de la démocratie.

Donc et sans véritablement grossir le trait, on en est arrivé à ce triste sociologisme de comptoir sans issue et qu'on pourrait résumer par les analyses qui pourraient être faites d'un même ensemble de faits. Je vous livre en intermède ce qui pourrait être dégagé d'une même observation concernant un jeune des cités.

La première accable la société française qui rejette ce jeune, donc forcément une victime, tandis que la seconde lui colle tout sur le dos :

"Le jeune M. sort de son immeuble dont les récentes rénovations ont du mal à dissimuler la vétusté. Les yeux rivés sur ses chaussures de sport si nécessaires au confort de ses pieds tellement sollicités depuis que la société de bus qui desservait sa cité a, pour des raisons économiques, décidé de fermer la ligne deux kilomètres plus loin, il marche de façon mécanique, anticipant déjà les déceptions qui l'attendent pour cette journée, les mêmes que la veille, les mêmes que demain.

A peine a-t-il parcouru 200 mètres qu'il se fait arrêter par une patrouille de police pour un contrôle d'identité. La routine pour lui. Et c'est donc machinalement qu'il tend ses papiers d'identité à trois policiers qui l'observent d'un œil égrillard. Dans sa tête lui reviennent des images qu'il n'a pas connues, mais qui sont devenues aussi claires que s'il avait vécu l'événement tellement on lui a raconté. 1957, Alger, la casbah, les contrôles systématiques par les paras de Bigeard. Les salauds. C'était du temps de ses grands-parents, les colonisés, les sous-hommes. Finalement rien n'a changé, se dit-il. C'était là-bas, et maintenant c'est ici. Un sentiment de révolte s'empare de lui. Ce n'est pas la première fois, mais aujourd'hui il le maitrise. Sinon ce serait le poste illico, comme la dernière fois, avec passage à tabac sans doute. Non aujourd'hui il faut qu'il contrôle son envie de se révolter contre ces injustices. Il a besoin d'un boulot, juste pour vivre. Il doit donc aller à pôle emploi. Peut-être que là-bas… aujourd'hui… Mais non, aujourd'hui, c'est comme hier, comme demain. Sauf qu'aujourd'hui il a de la chance. Un portefeuille égaré sur le trottoir croise son chemin de retour. Marcher en regardant ses pompes peut être utile. Pas de papiers à l'intérieur, juste quelques billets. Il hésite. S'il entre au commissariat pour le rendre, ça va encore mal finir pour lui. Alors il se résout à prendre les billets. Au moins il mangera ce soir."



" A son réveil, il est midi passé, M. décide qu'il est temps de se rendre en ville. Il chausse les nike qu'il a fauchées la veille, bien pratiques pour courir vite quand on est poursuivi par les keufs. Il sort de son immeuble refait à neuf il y a juste 6 mois et déjà dans un état pitoyable, portes arrachées, boites aux lettres explosées, peinture difficile à trouver sous les tags… Il est d'ailleurs assez fier des siens qui lui assurent une certaine notoriété dans ce domaine. Un artiste méconnu sans doute. Ça, ça le fait marrer. Bon, putain, faut marcher jusqu'à l'arrêt de bus qui se trouve à deux bornes. Lui et ses potes ont tellement caillassé les bus qui arrivaient jusqu'à la cité qu'elle n'est plus desservie aujourd'hui.

Tiens! Les keufs! En arrivant à leur hauteur, il crache sur le sol à quelques centimètres de leurs rangers et marmonne une injure. Gagné! Encore un contrôle! Si la sociotruc repasse je vais pouvoir hurler mon désespoir d'être stigmatisé, pense-t-il en se marrant! Mais aujourd'hui il n'ira pas plus loin dans la provocation. D'abord pas question de les traiter de racistes comme la dernière fois puisqu'il y a un renoi et un rebeu parmi les trois qui le contrôlent. Pas question non plus de leur parler de l'Algérie et de leurs méthodes. Pas le temps aujourd'hui. Faut aller pointer pour toucher les indemnités mensuelles. Là-bas faudra faire semblant de chercher tandis qu'ils feront semblant de croire que je cherche. J'aurais dû faire acteur, comme Djamel. Et c'est ainsi que les choses se passèrent. Avec quand même une consolation pour M. qui ne se sera pas levé si tôt pour rien. Facile à tirer le portemonnaie de la mémé qui avait mal fermé son sac!"

J'aimerais beaucoup que ces discours ne soient que des caricatures. Mais ce ne sont que de pâles copies de ce qu'on nous sort quotidiennement, de cette absence totale d'analyse qui tente de s'en donner les apparences en faisant coller ses délires idéologiques aux faits.

Prenons un, ou des exemples concrets. Quand en Europe des femmes par dizaines se font violenter, violer pour certaines, par des hordes d'étrangers, les associations féministes n'y voient que la manifestation d'un patriarcat universel. Tous les hommes sont des salauds et les femmes des victimes. Quand des hommes foncent dans une foule avec leur véhicule en invoquant leur dieu, ce sont des déséquilibrés. La même chose quand un jeune envisage de découper un homme d'une autre religion que la sienne à la machette. En fait à chaque fois on s'en tient à une piteuse analyse d'un événement daté sans surtout tenter de l'inclure dans une logique plus vaste. Et encore! Quant on ne tente pas de le dissimuler purement et simplement!

Il semblerait que, hors de slogans habituels, il soit désormais interdit de penser, de raisonner en prenant les faits pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire le résultat d'un ou de processus qui ne peuvent apparaitre clairement que si on ose investiguer en des lieux et des époques parfois lointaines et/ou en s'appuyant sur des théories éprouvées dont on dirait qu'on voudrait qu'elles soient passées à l'oubli, même s'il reste de bon ton d'honorer ceux qui les ont produites. Je pense par exemple que pour expliquer ce qui se passe en Europe, et notamment les problèmes résultant d'une immigration massive et issue de civilisations extra-européennes, Levi-Strauss est bien davantage pertinent que Bourdieu. Le problème c'est que si on a dit beaucoup de bien du premier, il serait désormais sans doute devenu s'il vivait encore un membre éminent de la fachosphère, selon la définition que donnent les "vertueux" à cet ensemble. Déjà que "Race et culture" avait secoué en son temps! Quant au second, dont la sociologie s'est muée avec le temps en sociologie de combat, donc en toute autre chose que de la sociologie, il conserve les faveurs des progressistes, même si par ailleurs ils ne l'ont pas lu, notamment à cause de l'herméticité de son expression. Dans ce cadre par exemple une comparaison des évolutions respectives des civilisations européenne et japonaise serait fort instructive pour mesurer les effets de l'immigration sur la première, le Japon ne connaissant une immigration que résiduelle.

Et donc choisir la sociologie (et quelle sociologie!) plutôt que l'anthropologie pour expliquer les mutations d'un monde bouleversé par les effets de l'économie mondialisée et les flux migratoires qui en sont d'ailleurs en grande partie la conséquence, c'est déjà refuser d'aborder les problèmes et donc de les résoudre.



Mais il y a aussi la perspective historique qui est ignorée, hélas pas seulement délibérément, et les choses ne feront qu'aller de plus en plus mal dans ce domaine, cela étant largement encouragé par des gouvernants sous l'influence d'idéologues mal intentionnés. Quand par exemple, à part quelques spécialistes tout le monde sera persuadé que l'esclavage et la colonisation sont des phénomènes imputables aux seuls occidentaux, tout sera définitivement perdu. Or l'histoire sur le temps long est susceptible de nous éclairer sur la façon dont se côtoient les civilisations. L'histoire sur le temps long nous démontre par exemple que les rapports entre la civilisation occidentale chrétienne puis occidentale sécularisée et la civilisation islamique ont été essentiellement conflictuels, marqués par des guerres impitoyables, par de longues occupations dont certaines ont perduré… Cela non pas pour en déduire que forcément cela doive continuer éternellement, mais pour comprendre quels sont les éléments qui produisent cela et voire s'ils sont susceptibles de sauter… ou pas. On pourrait ainsi comprendre que sauter en criant que d'un côté il y a une religion de paix et d'amour et que de l'autre il existe une civilisation dominatrice est d'une complète absurdité.



Les clés existent pour comprendre le monde, notre monde, et tenter de l'améliorer. J'en ai cité quelques-unes, mais d'autres peuvent sans doute être mises en évidence. Mais force est de constater qu'elles ne sont guère utilisées. Et j'ose penser que si elles ne le sont pas c'est qu'elles impliquent au-delà d'une remise en cause de ses certitudes, du moins celles de certains, un retour à ce fondement de notre civilisation occidentale. J'ai cité la raison. Et celle-là n'est plus guère en faveur.

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