"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 11 juillet 2015

L'Europe, la Grèce et les autres, surtout les autres





Il parait que le cynisme est une forme avancée du désespoir. C’est sans doute vrai, d’autant plus vrai, quand on n’est plus condamné qu’à être le commentateur d’un spectacle dont on connaissait le scénario à l’avance. Tout était effectivement écrit et il n’a pas manqué de gens éclairés pour nous prévenir de la catastrophe dans laquelle nous nous engagions, le sourire aux lèvres et l’espoir en bandoulière pour beaucoup.

Je fais partie de ceux qui ont voté « non » au référendum sur le traité de Maastricht. A ce titre, je pourrais faire le malin et dire à tous ceux qui malgré la sombre réalité demeurent attachés à cette Europe qui part en quenouille, qui est déjà morte d’ailleurs : « alors c’est qui qu’avait raison, bande de nases !». Lesquels me répondraient sans doute : « le nase c’est toi ! Si ça ne marche pas bien c’est parce qu’il n’y a pas assez d’Europe encore. L’avenir nous donnera raison ! ».



J’ai tenté d’expliquer dans un récent billet proclamant la mort de l’Europe pourquoi ça ne pouvait pas marcher. Et en particulier parce qu’il n’existait pas de peuple européen, ce qui avait obligé l’Europe que nous connaissons à se construire contre les peuples d’Europe dans un esprit fondamentalement antidémocratique. Comment imaginer qu’une Europe accomplie, donc une Europe politique, puisse fonctionner alors que par exemple la Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie, l’exemple est sans doute meilleur, ne sont pas parvenues à durer dès lors qu’un pouvoir fort, pas démocrate donc, cessait d’exister à leur tête. L’Europe ne remplit que la condition antidémocratique mais ne dispose pas d’un pouvoir fort, ceci au passage l’obligeant à se livrer à un simulacre démocratique une fois tous les 5 ans en nous faisant élire un parlement fort coûteux dont on ne sait guère à quoi il sert, sans doute à pas grand-chose, sauf à caser dans des conditions très avantageuses les rebus politiques des pays membres. Comment un truc aussi bancal pourrait-il fonctionner et même prétendre aller de l’avant ?

Mais comme j’avais tenté de l’expliquer, le cadavre est encore trop beau pour qu’on le mette en terre. Les intérêts ne manquent pas pour lui donner encore et pour longtemps les apparences de la vie, ce qui réjouira les eurobéats et remplira de consternation ceux qui, comme moi, ont cessé depuis longtemps de croire en cette Europe qu’on nous a vendue sous cette forme. Mais pas davantage que les flatulences d’un mort peuvent être considérées comme une forme de vie, les agitations de l’Europe ne constituent une preuve de son existence.



Ainsi comme je viens de le dire, l’Europe est « trop intéressante » pour qu’on puisse officialiser son échec et donc sa fin… avant peut-être de revenir à une forme plus acceptable où seraient prises en compte les aspirations des peuples et leurs identités (nationales) sur lesquelles on ne peut pas s’assoir sauf à s’assurer un échec. Mais ce n’est pas vers cette voie qu’on se dirige. C’est même la voie honnie par ceux qui ont tout intérêt à ce que la forme existante subsiste.

L’Europe est en effet intéressante dans la mesure où elle a réussi ce tour de force de ne pas exister sur le plan politique tout en affaiblissant les Etats nationaux devenus donc eux-mêmes des nains politiques. C’est devenu l’intermédiaire rêvé pour imposer aux peuples ce dont ils ne veulent pas sans qu’ils puissent à aucun moment intervenir. Dans mon billet précédent je parlais du TAFTA. C’est l’Europe qui a la main. Leurs Etats dont les dirigeants sont tout simplement complices de cette imposture resteront transparents. Ils n’en porteront même pas les responsabilités futures. L’Europe est donc devenue le cheval de Troie du libéralisme le plus débridé, des multinationales américaines.

S’agissant de la politique étrangère c’est exactement la même chose. C’est Washington qui dicte le tempo et arrache les unanimités les plus improbables négligeant les intérêts particuliers et généraux de l’Europe et de ses peuples et s’affranchissant des priorités quant aux menaces qui les guettent. L’Europe est donc aussi devenue le cheval de Troie de l’OTAN ; donc des intérêts géostratégiques des Etats-Unis.

Il suffit de considérer ce qui s’est passé depuis la fin de l’URSS pour se convaincre de ces deux choses qui viennent d’être énoncées. Libérés du joug soviétique, les Etats qu’on appelle aussi PECO (pays de l’Europe centrale et orientale) ont tous ou presque, le presque est important car il explique la crise en Ukraine, été absorbés par l’UE et par l’OTAN. Un peu comme si la seule alternative possible au COMECON et au Pacte de Varsovie, même après leur fin, était l’UE et l’OTAN. On pourrait sans doute étudier le profil des dirigeants visibles ou de l’ombre de ces pays qui n’ont pas considéré qu’ils pouvaient échapper à cette alternative et devenir enfin souverains, oubliant au passage que la position « entre deux mondes » n’est pas toujours dénuée d’intérêts, et voir leurs liens avec les Etats-Unis par exemple. Certains sont de véritables produits d’exportation ! C’est encore pire que ceux qui eurent et ont chez nous cette étiquette de « youngs leaders » et qui nous dirigent, ce label désignant davantage une allégeance qu’un statut de leader. Hollande considéré comme un leader, ça relève du gag, non ?

Et donc on comprend aisément qu’il serait difficile de se passer de cette Europe « attrape-tout » et même que le simulacre de sa survie est indispensable. Certes pas à nous, mais à des groupes d’intérêts qu’il me semble inutile d’énumérer.



C’est donc dans ce cadre qu’il faut tenter de comprendre la crise grecque et anticiper son dénouement.

Il faut partir de deux postulats de base : l’euro doit être sauvé, et les gouvernements sortant d’une ligne orthodoxe doivent être éliminés.

L’euro doit être sauvé, on pas pour le bien des Européens. Seuls les pays-membres performants, en gros, l’Allemagne et les pays du Nord, en tirent profit. La politique de la BCE et les contraintes imposées par la commission sont d’ailleurs adaptées à ces pays. Les autres, dont la France, moins performants, perdent en compétitivité à cause d’une monnaie trop forte. Ils subissent les conséquences de l’introduction d’une monnaie qui constitue une erreur majeure dès lors qu’aucune harmonisation, sociale ou fiscale en particulier, n’a été opérée en amont. Les Etats-Unis aiment cette monnaie surévaluée qui, malgré la chute de la parité de ces derniers mois, leur assure une bonne compétitivité. Donc l’euro sera sauvé. Les observateurs auront peut-être noté l’implication d’Obama et même de Clinton (F) dans la crise grecque et dans le nécessaire sauvetage de la monnaie européenne. Un coup de fil de l’un et l’autre à Angela aura fait infléchir le discours intransigeant de cette dernière. Mais ça ne suffira peut-être pas, quoique j’ai vraiment le sentiment qu’un accord va être trouvé.

Mais s’il n’est pas trouvé, ça ne sera pas rédhibitoire pour la monnaie unique. Il suffira juste de maquiller une faiblesse structurelle en un accident de parcours, donc conjoncturel. Et on en arrive au second point. Ce sera de la faute à Tsipras, le non-aligné (préférons cette notion de non alignement à celle de non-orthodoxie afin d’éviter certaines confusions) si on ne débouche pas sur un accord. Il aura trompé son peuple qui aura donc été victime de ses penchants idéologiques néfastes. Avis aux amateurs futurs !

Reste que je ne crois guère en cette hypothèse car il existe d’autres enjeux. Il ne faudrait pas notamment que la Grèce, dont la position stratégique est intéressante, tombe dans l’orbite russe ou chinoise. Ce n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis. Donc un accord reste probable. On pourra même dire que l’Europe a montré sa capacité à résoudre une crise majeure (tu parles ! un pays qui ne représente que 2% du PIB de l’Europe !). Mais tout accord implique que Tsipras sera allé à Canossa et aura donc perdu toute crédibilité vis-à-vis de ses électeurs. Sa chute prochaine semble donc inexorable. Ce qui fait que dans tous les cas de figure, on se sera débarrassé de lui. Mais tout cela était programmé dès son élection.

En fait ce n’est pas tant à lui qu’on en veut qu’à ce peuple qui a tenté de sortir de sa position de peuple soumis. Il n’y a pas d’Europe démocratique. En janvier dernier Juncker le rappelait en déclarant : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Aussi est-il illusoire pour les peuples européens de prétendre s’émanciper du système qui les broie. On ne peut donc tolérer certains choix démocratiques, comme celui de désigner un Tsipras à la tête de son pays. On peut à la rigueur tolérer qu’un peuple vote contre un ennemi déclaré de la finance si ce dernier est un « young leader ». On sait ce que vaut la parole d’un tel individu. Par contre un choix souverainiste, de gauche ou de droite, n’est pas pensable. Qu’on se le dise !



Et qu’on se dise aussi au passage que je ne suis pas là en tant que soutien à Tsipras dont je ne partage guère l’idéologie, même si au demeurant on peut concéder à l’extrême-gauche grecque un sentiment nationaliste qu’on aurait bien du mal à trouver dans la même mouvance en France. Mais j’ai quand même admiré sa lutte et apprécié son appel au peuple par referendum. C’est sans doute ma fibre gaulliste qui parle et qui me fait si mal considérer cette Europe qui serait donc notre horizon indépassable.

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