C’est en observant ce qui se
passe actuellement en Europe que m’est revenue à l’esprit cette dernière
supplique adressée par la du Barry à celui qui allait quelques instant plus
tard lui trancher la tête : encore un instant, Monsieur le Bourreau ! ».
C’est en effet une Europe déjà morte que je vois mais qui fait encore semblant
de bouger pour que ça ne se voit pas trop, qui fait semblant d’exister alors
que son destin ne lui appartient plus.
Mais le plus pitoyable dans tout
ça c’est que le seul vrai bourreau de l’Europe, ou plutôt des nations qui la
constituent, car elles suivent la même voie, c’est l’Europe elle-même.
Tout était couru d’avance, dès
lors que l’idée d’une Europe des Nations, idée gaullienne bâtie sur mesure
tandis que la France tenait le rôle de nation phare, ou dominante si on préfère,
dans cet ensemble encore restreint et d’où étaient volontairement exclus nos
frères ennemis britanniques, était jetée aux orties au profit de lubies plus ou
moins fédéralistes jamais abouties et qui jamais n’aboutiront.
Jamais en effet elles
n’aboutiront dès lors que l’Europe n’existe pas. Et si l’Europe n’existe pas
c’est parce qu’il n’y a pas de peuple européen et donc qu’il est impossible
qu’une nation européenne voit le jour, ou peut-être l’inverse, car le peuple
peut être à l’origine de la nation (cas de l’Allemagne par exemple) ou la
nation peut être à l’origine du sentiment de former un peuple (cas de la
France…enfin avant).
S’agissant de l’Europe, rien de
tout ça. Ni peuple, ni nation !
Le grand drame de l’Europe c’est
peut-être le traité de Verdun de 843, maudite loi franque, qui dépeça l’empire
carolingien. Tout était alors peut-être possible. A l’époque où l’Europe se
divisait avant de se morceler, naissait la Russie kiévienne dont l’expansion
commençait.
L’histoire a donc séparé les
peuples de l’Europe, a renforcé leurs particularismes, culturels et
linguistiques notamment, les a plongés dans des guerres incessantes dont une
longue paix, ce qui est très relatif par rapport à la pax Romana qui dura 5
siècles, ne peut effacer les séquelles. Aussi continueront-ils à se sentir
étrangers les uns aux autres, même si évidemment des proximités existent que
d’ailleurs l’Europe a refusé parfois de leur reconnaitre en rejetant par
exemple cette inscription dans ces textes d’une culture commune, donc d’un
ensemble de valeurs communes, fondée sur la religion chrétienne. Pourtant pas
besoin d’être chrétien pour admettre ça !
La seule solution consiste donc
en la constitution d’une nation européenne. Mais là ce n’est pas gagné et on
s’y est pour le moins mal pris (voir par exemple ma remarque sur le refus de
s’accorder sur un ensemble de valeurs communes parce que s’ancrant dans une
religion). On ne bâtit pas une nation sur des principes économiques, on ne
bâtit pas une nation sur le calibrage du concombre et de la tranche de
mortadelle, on ne bâtit pas une nation sur des idées généreuses, du moins
prétendues telles mais qui ne résistent pas à l’épreuve des faits, ni
d’ailleurs sur des promesses de paix et de prospérité dont on voit au passage
qu’elles sont vides de tout contenu. Car la prospérité n’est pas au
rendez-vous, bien au contraire, quant à la paix, elle n’a jamais été autant
menacée depuis des décennies tandis que l’Europe est bien incapable de faire
face aux multiples dangers qui la menacent et qu’elle-même génère parfois ou
favorise, plus d’ailleurs par allégeance au grand frère outre-atlantique que
par sa volonté propre.
Les nations se forgent sur une
identité ou sur une idée, ou un idéal suffisamment fort pour qu’on puisse se
battre et éventuellement mourir pour lui. Car c’est souvent dans la douleur
qu’elles naissent et au minimum dans le sentiment d’une certaine
exceptionnalité qui les distingue donc du reste du monde. Ni la taille du
concombre ou de la tranche de saucisson, pas davantage d’ailleurs que l’euro ou
encore la libre circulation des biens et des personnes ne donnent envie de se
sacrifier. Et que dire du fameux traité transatlantique, notre horizon
indispensable, celui où on se fait mettre profond !
Un traité pour le moins
exemplaire puisqu’il nous montre ce qu’est cette Europe, comment elle
fonctionne. Contre les peuples ou en les méprisant !
L’Europe c’est le déni de
démocratie parvenu à son aboutissement le plus parfait. Le plus parfait parce
que non seulement ça se fait d’une façon assez habile pour masquer la triste
réalité, même si le mur commence à s’effriter, mais aussi parce la propagande a
été suffisamment bien menée, relayée par les partis les « plus
démocrates » et les médias pour nous faire admettre qu’hors de cette
Europe point de salut et même qu’être opposé à l’Europe, dans sa forme
actuelle, est éminemment suspect, populiste, facho ou je ne sais quoi. L’Europe
est à ce point une évidence, en effet, qu’en contester le principe ou même
simplement critiquer la voie qui a été prise constitue un crime de la pensée.
Et quand quelque chose ne marche pas, c’est simplement parce qu’il n’y a pas
assez d’Europe. L’Europe c’est une marche en avant qu’on ne discute pas,
surtout si vous n’êtes pas d’accord.
Juncker, président du conseil
européen au moment du referendum français de 2005 sur la constitution
européenne, interrogé sur la poursuite du processus de ratification au cas où
la France dirait non expliquait que « si c'est oui, nous dirons donc : on
poursuit ; si c'est non, nous dirons : on continue ! ». En quelques mots
il nous dévoilait la triste réalité que nous allions devoir affronter, à savoir
le traité de Lisbonne approuvé par la classe politique de gauche et de droite,
enfin vous savez, la non-populiste, et le mépris dans lequel il tenait, mais
pourquoi employer le passé, le mépris dans lequel il tient lui et les autres
les peuples d’Europe. Et c’est évidemment dans cet esprit que sera ratifié le
fameux TAFTA, sans que les peuples à un moment quelconque, ainsi même que les
parlements nationaux, leurs émanations imparfaites, y soient associés. Or le
TAFTA, pour ce qu’on en sait, et si on observe les conséquences par exemple du
traité ALENA qui concerne le continent nord-américain, d’une part assujettira
les Etats de l’Europe aux multinationales américaines et aura des conséquences
terribles pour les peuples d’Europe tant sur le plan social que sanitaire.
Quant à l’Europe elle ne sera qu’une technostructure fantôme, c’est-à-dire sans
pouvoir servant juste de relais ou d’instance de contrôle sous-traitante. C’est
déjà ce qu’elle est d’un point de vue militaire et donc en termes de politique
étrangère, soumise aux volontés des Etats-Unis. Ces derniers peuvent bien l’humilier
sans même prendre la peine de cacher ses activités d’espionnage vis-à-vis de
dirigeants dont on veut s’assurer les parfaites fidélité et coopération, une
fois les protestations de principe effectuées, rideau de fumée à l’usage des
peuples, on fait comme avait dit Juncker : on continue.
Il y a en effet des choses
troublantes quant au fonctionnement de l’Europe. Comment expliquer que quand
les Etats-Unis sont impliqués, sont maitres d’œuvre, l’Europe parvienne à l’unanimité,
et que quand elle est concernée en propre cette unanimité soit très difficile à
trouver. Comment expliquer que 28 pays soient unanimes pour décréter des
sanctions contre la Russie, tandis que certains d’entre eux souffrent sévèrement
de leurs conséquences et affichent même explicitement des sympathies vis-à-vis
du régime russe en bilatéral, et que ces mêmes 28 soient incapables de traiter
les sort de 40000 migrants ? Au passage, et concernant le premier point,
vous noterez l’évolution : en 2003 la France et l’Allemagne étaient capables
de dire non aux Etats-Unis au sujet de l’intervention en Irak, en 2015, aucun pays
européen n’est plus capable de dire non, mais tous sont capables de se voiler
la face sur un régime ukrainien dont les dirigeants s’enrichissent alors que le
pays s’enfonce, qui pratique le crime politique et place les collaborateurs des
nazis au cours de la dernière guerre au rang de héros de la nation ukrainienne,
sans parler évidemment du fait qu’il s’assoit sur les accords dont ensuite on
impute le non-fonctionnement à la Russie pour pouvoir proroger des sanctions.
On aimerait que les pays européens soient autant unanimes et fermes pour lutter
contre l’islamisme radical, pour par exemple sanctionner les acteurs qui
apportent, au nom d’une religion partagée, aide logistique, matérielle et
financière à l’état islamique et autres officines pratiquant le terrorisme. Mais
ne rêvons pas. L’Oncle Sam y est sans doute opposé. Et puis faut bien écouler
notre armement.
Car c’est cela l’Europe. Elle n’est
pas guidée par des principes de quelque sorte que ce soit, elle n’est pas guidée
par des intérêts communs et surtout ceux de ses peuples. Elle fonctionne « bien »
uniquement sous la pression, extérieure. Et pour encore « mieux »
fonctionner elle doit aller jusqu’au bout de cette logique, d’où la prochaine
ratification du TAFTA.
L’idée était peut-être bonne, à l’origine,
généreuse. C’était peut-être une offre de paix et de prospérité à des pays et
des peuples qui s’étaient trop battus, avaient trop souffert. Mais faute d’avoir
su se limiter, en ambitions, géographiquement, faute d’avoir fixé des objectifs
clairs et atteignables admis par tous, ses promoteurs en ont fait une machine
folle échappant au contrôle démocratique et de plus en plus au contrôle des
Etats-membres. Aussi comprendra-t-on aisément la tournure qu’a prise la crise
grecque. Ce n’est pas ou plus une question d’argent, on sait de toute façon qu’on
ne le reverra jamais, mais une question de politique. Enfin c’est mal posé, ce
n’est pas une question de politique, c’est plutôt une lutte contre le retour de
la politique dans cet ensemble appelé Europe et qui a renoncé justement à la
politique en choisissant la soumission.
L’Europe est donc morte. Même si
son cadavre bouge encore et bougera encore un certain temps, au rythme des vers
et asticots le dévorant, venant de l’intérieur et de l’extérieur, car la bête,
même morte a su garder une certaine allure et conserve de belles pièces à
ronger. Ceux-là tiennent à lui donner encore l’apparence de la vie, car leurs
intérêts en dépendent. Alors les uns se réunissent souvent, discutent, mais ne
décident rien, tandis que d’autres lui donnent une impression d’existence en l’écoutant
tandis qu’ils la manœuvrent. Mais reste qu’elle est morte, juste soutenue par
une com dont l’art dans la thanatopraxie est encore redoutable.
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