"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 6 février 2013

La marche vers le progrès : les salles de shoot


Ne reculant devant aucune innovation, n'hésitant pas à bousculer lois et traditions et à imposer sa conception de l'ordre, notre gouvernement va enfin lancer l'expérimentation des salles de shoot. Enfin une salle de shoot pour l'instant, semble-t-il. Et les heureux élus sont les habitants du Xème arrondissement de Paris sur proposition de leur maire, bienheureux élu PS qui sans doute ne compte pas se représenter en 2014. Car il semblerait que son initiative ne fasse pas que des heureux. Parce que le problème de ces initiatives, c'est que quand même on y est favorable, on ne veut surtout pas que ça se passe en bas de chez soi ou même à moins de quelques centaines de mètres de son lieu de résidence. La générosité n'empêche pas la prudence. C'est d'ailleurs assez curieux puisque la défiance de ceux qui sont favorables à un projet quand celui-ci se met en place près de chez eux indique bien qu'ils adhèrent finalement aux arguments de ceux qui sont contre, au moins en partie. De là à dire que leur adhésion est de pur principe, fonction de ceux qui sont le initiateurs du projet en question, il n'y a qu'un pas à franchir. Le troupeau bêle paisiblement jusqu'à ce que le berger fou introduise le loup dans la bergerie.

Mais revenons au projet lui-même. Il va donc faire l'objet d'une expérimentation. Ce qui peut paraitre sage. Mais aussi parfaitement inutile, car le dispositif en question est déjà testé en grandeur nature dans un certain nombre de pays, notamment chez nos voisins suisses, allemands, ou néerlandais et que donc on peut tirer déjà des conclusions de cette pratique et constater que les résultats ne sont pas forcément probants et révèlent parfois des comportements contraires à ceux escomptés. J'y reviendrai.

Avant tout il s'agit de bien comprendre ce qu'est ce projet, quels sont ses objectifs, de considérer les modalités pratiques et juridiques de son application, ainsi que les risques.
Il s'agit donc d'ouvrir des salles où viendraient se piquer ou sniffer des drogués dans de bonnes conditions d'hygiène. Sur place ils pourraient bénéficier de conseils avisés sur la bonne manière de se shooter, un peu comme on apprend aux diabétiques à se faire leurs piqures d'insuline. Et éventuellement ceux qui le désireraient, pourraient se voir conseiller dans une optique de sevrage. Mais le but premier affiché est l'amélioration de l'hygiène lors de la prise de drogue et l'abaissement de la mortalité chez les toxicomanes (overdose, hépatite C, SIDA) ainsi que la diminution des risques collatéraux, par exemple les seringues infectées dans les cages d'escalier ou les parcs publics. Vu comme ça, ça part effectivement d'une bonne intention, un de ces pavés dont ne manque pas l'enfer.
Vu sous l'angle juridico-pénal, cela consiste à créer une zone élargie de non-droit. Ainsi que le rappelle la ministre de la santé, il n'est pas question pour le gouvernement de baisser les bras quand il s'agit de lutter contre les trafics et la consommation de drogues. Sauf que là on crée un endroit où on peut venir consommer, en apportant sa marchandise. Ce qui est évidemment contraire à la loi. Parlant de zone élargie, je pense bien sûr au périmètre au sein duquel les forces de l'ordre seront invitées à ne pas faire de zèle et même à ne pas intervenir. Et pourquoi pas au-delà, tout individu pris en possession de drogue pouvant déclarer qu'il se rend dans sa salle de shoot préférée, si celles-ci sont généralisées? On peut d'ores et déjà imaginer les conséquences dès lors que les salles de shoot seront situées à proximité de hauts lieus de consommation et trafic de drogue. Si la salle expérimentale prévue se situe aux environs de la gare du Nord, il semble que ce soit l'hypothèse retenue, cette zone bien connue pour ses trafics deviendrait donc une zone de non droit reconnue officiellement.
Car parmi les risques envisageables, on peut imaginer que les salles de shoot deviendraient des pôles d'attraction pour les dealers sachant où trouver les clients potentiels. Sinon, certains pensent que c'est un encouragement à consommer et d'une manière générale que c'est en les aidant à se débarrasser de leurs addictions plutôt qu'en leur apprenant à bien consommer qu'on rend service aux toxicomanes. Ça se défend, non? D'autre part certains pensent aussi que ces salles rendent le quartier où elles sont implantées moins sûr. A vrai dire les riverains ne voient pas ces implantations d'un bon œil, aussi tolérants soient-ils.

Mais voyons ce qu'il en est concrètement dans les endroits où ces salles sont déjà en place depuis un certain temps (source Le Figaro).
Les associations de lutte contre la drogue, dans les pays concernés, estiment que l'état de santé des drogués s'est généralement amélioré, a réduit la mortalité par overdose et diminué les infections par l'hépatite C et le VIH. Donc un bon point.
Par contre ces salles de shoot n'ont absolument pas aidé à la diminution de la consommation de drogue, entrainant même une plus grande dépendance à ces dernières. Dans la seule salle de shoot existant en Australie, le bilan étant tel qu'aucun parti ne propose l'ouverture d'autres lieux de ce type, on a même pu constater que les conduites à risque étaient plus grandes, certains toxicomanes s'appuyant sur la présence de "spécialistes" pour tenter d'expérimenter des doses de plus en plus fortes. Chose constatée également à Vancouver où si les morts par overdose ont diminué, le Narcan, médicament utilisé en cas d'overdose justement est de plus en plus utilisé. Là non plus on ne constate pas davantage de baisse de consommation que davantage d'orientation vers des structures aidant au sevrage. En Allemagne où on trouve une vingtaine de salles on a même pu constater que si le taux de mortalité des toxicomanes avait diminué de 20%, leur nombre avait augmenté de 15%. Car il est possible que les salles de shoot génèrent de nouveaux consommateurs. Retour en Australie : un sondage indique que 1,6% des Australiens avouent avoir déjà consommé de l'héroïne; en Nouvelle Galles du Sud, 3,6% des habitants déclarent qu'ils en auraient consommé s'ils avaient eu à disposition une salle de shoot à proximité de chez eux. La salle de shoot rassure, banalise la prise de drogues dures.
Quant à la variation de consommation des clients anciens des salles de shoot, il semblerait qu'elle ne varie pas principalement à la baisse. A Rotterdam, 16% des gens fréquentant une salle de shoot déclarent consommer davantage qu'au début, tandis que seuls 12% déclarent consommer moins.
S'agissant des risques pour l'environnement, pour être clair l'arrivée de dealers sans les environs des salles de shoot, on a aussi quelques témoignages : "Il y a deux ans, je suis allé voir une salle d'injection dans le quartier rouge à Amsterdam, raconte Serge Lebigot, président de Parents contre la drogue. Il n'y avait presque personne à l'intérieur, mais une vingtaine de trafiquants autour, et sous les portes cochères, en plein jour, des gens qui se piquaient. La police n'a pas le droit d'intervenir dans un certain périmètre autour des salles." Tandis qu'à Genève : "l'avis des experts est peut-être très positif, mais pas celui des riverains!, fustige Patrice Bo-Sieger, de l'association Dites non à la drogue. Les dealers prolifèrent, parfois agressifs. C'est comme un supermarché, avec plein de petites boutiques tout autour… Des gens viennent même de France pour s'acheter leur dose".

Il semblerait donc que le bilan des salles de shoot existantes soit mitigé. Certes on peut constater une amélioration de l'hygiène lors de la prise de drogue, mais au prix parfois d'une hausse de la consommation des toxicomanes fréquentant ces salles, et souvent au prix d'une hausse du nombre de consommateurs. Quant aux risques collatéraux pour les riverains ils semblent également exister. Est-ce donc une bonne affaire dès lors que ces salles induisent de tels effets qui cette fois sont une atteinte à la santé publique (davantage de drogués) et à la sécurité. La protection sanitaire de quelques-uns, car en vérité une faible proportion de toxicomanes fréquentent ces salles, par peur d'être fichés, par refus des règles qui s'imposent à eux en ces lieux ou simplement parce qu'ils appartiennent à des CSP supérieures qui leur permettent de se droguer dans de bonnes conditions, donc la protection sanitaire de quelques uns mérite-t-elle qu'on prenne le risque de voir tous ces effets négatifs se développer. La création officielle de zones de non-droit, ici dépénalisation de fait de l'usage de stupéfiants, a forcément des effets pervers. Et un cout financier direct qui n'est pas anodin. Le rôle de l'Etat n'est-il pas de prévenir la toxicomanie et de venir en aide aux consommateurs davantage en les aidant, malgré eux s'il le faut, à se débarrasser de leur problème, plutôt que de leur permettre de s'y enfoncer dans de bonnes conditions d'hygiène. J'ai ma réponse.

2 commentaires:

  1. bonsoir

    c'est de l'ordre du compassionnel,comme les grandes solitudes de Soeur Thérésa and co

    les organisations bénévoles oeuvrent sous nos yeux dans la misère de cette population qui échappe (programmes d'aides aux injections) dans leurs arrières cuisines déjà et fond des miracles déjà dans ces cours des miracles

    de manière encore plus spectaculaire: salles de shoot institutionnelles comme le slogan de la dernière chance, en sauverait on quelques uns ....

    être inventif, je ne voyais pas ça comme ça, mais probablement il n'y a plus rien à inventer

    je vais vous faire une confidence, j'avais mon slogan, jadis: "si vous ne voulez pas que les malades crament et l'hopital avec, faites de l'aide à la cigarette un soin

    de la compassion vous dis je il ne reste que ça et c'est la République qui le dit

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  2. Effectivement vous avez trouvé le mot juste pour caractériser l’action gouvernementale : la compassion. Avec ça on s'évite d'avoir à réfléchir sur la prise en compte du problème. Et quel problème!
    Aveu d'impuissance peut-être. Ou juste la révélation de l'incapacité à penser large. On se contentera donc de veiller à ce que quelques centaines de toxico, car en fait peu fréquentent ces salles (10% enregistrés à Oslo par exemple)puissent consommer "bien". Sans même envisager que ça peut aggraver la situation

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